La Croatie sur le terrain du nationalisme footballistique

© REUTERS / Max RossiAbwehrspieler der kroatischen Nationalmannschaft Domagoj Vida
Abwehrspieler der kroatischen Nationalmannschaft Domagoj Vida - Sputnik Afrique
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Deux membres de l’équipe de foot croate lâchent sans réfléchir des slogans de soutien à l’Ukraine, les réseaux sociaux s’enflamment, la FIFA réagit, les footballeurs essayent de laisser filer… trop tard! Sputnik France analyse comment l’affaire des propos de Vida et Vukojevic s’est envenimée et a été amplifiée par les nationalistes ukrainiens.

La Croatie affrontera la France en finale de la Coupe du Monde, ce dimanche. Une prouesse louable de l'équipe nationale croate qui a toujours su s'imposer contre ses adversaires. Mais si le comportement sur le terrain vert ne suscite que du respect envers l'équipe de Croatie, dans les coulisses des réseaux sociaux, deux footballeurs croates font parler d'eux sur un tout autre registre.

 

C'est une vidéo amateur qui a fait le tour du monde (et comme on l'a appris par la suite, pas seulement de la planète foot): après la victoire de la Croatie sur la Russie en quart de finale, le défenseur de l'équipe nationale Domagoj Vida et l'ancien joueur Ognjen Vukojević envoient quelques mots à leurs «amis ukrainiens». Malgré le style bon enfant (ou plutôt «sale gosse») des images, personne au pays d'accueil du Mondial 2018 n'a pu cacher son étonnement d'entendre l'expression «Slava Ukrainje» («Gloire à l'Ukraine», en ukrainien ou en russe), qui est le symbole de la période nationaliste peu glorieuse de la Seconde Guerre mondiale et qui est repris par le pouvoir actuel de Kiev.

«Je sais que j'ai fait une erreur. Je tiens à m'excuser encore une fois devant le peuple russe. […] Désolé, c'est la vie. Nous devons apprendre de nos erreurs», s'est rapidement repris Vida au micro d'un journaliste de la chaîne Rossiya 24.

Croatian defender Domagoj Vida during the Russia vs Croatia match in Sochi on July 7 - Sputnik Afrique
«Gloire à l’Ukraine!»: un footballeur croate risque la suspension (vidéo)
Malgré l'affirmation des deux joueurs croates qu'ils ont juste plaisanté avec leurs anciens camarades à Kiev où Vukojevic a joué pendant six ans entre 2008 et 2015 au Dinamo Kiev, avant d'y retourner en tant que recruteur en 2017, et Domagoj Vida a signé pour six millions d'euros avec ce même club un contrat de cinq ans, la sentence de la FIFA ne s'est pas fait attendre. Vukojevic est expulsé du tournoi et doit payer une amende de 15.000 francs suisses (12.800 euros), Vida s'en est sorti avec un avertissement.

Ognjen Vukojevic a également commenté cet incident, en parlant de la demi-finale contre l'équipe anglaise il a affirmé: «Un bon match, la Croatie méritait la victoire sur les Anglais. Quant à la situation avec Domagoi Vida, nous ne nous intéressons pas à la politique, seulement au foot».

Pour eux, l'incident semblait être clos, ils ont bien insisté: d'accord, c'était stupide, mais surtout c'était privé, «ne mets pas ton cœur sur toutes les paroles qu'on dit!».

Mais cette tournure n'est pas du goût de tout le monde. Et la discussion se déplace sur un autre terrain.

Juste après la publication de la vidéo, le député de la Rada suprême, le parlement monocaméral ukrainien, Andreï Pavelko — par ailleurs, le président de la fédération de foot d'Ukraine (FFU) — déclare vouloir prendre en charge l'amende de Vukojevic.

Le député précise ne pas voir d'aspect politique dans l'acte de Vukojevic: pour lui, les Croates ont ainsi exprimé leur soutien à l'Ukraine. Ce qui ne l'empêche pas de reprendre aussitôt, dans une interview à la chaîne 112 Ukraine la même formule nationaliste et clamer: «Les Croates sont nos amis. Gloire à la Croatie! Gloire à l'Ukraine! Gloire aux héros!».

Ognjen Vukojevic essaye de rester sur le terrain neutre et décline la proposition. «Je vais payer l'amende, je ne veux pas impliquer quelqu'un d'autre dans cette situation, je veux la résoudre moi-même. Merci à tous pour leur soutien», a déclaré le footballeur.

Domagoj Vida - Sputnik Afrique
Le Croate Vida écope d’un avertissement de la Fifa pour son cri «Gloire à l’Ukraine!»
Mais l'affaire est lancée, les anciens du Dinamo Kiev deviennent presque des héros nationaux en Ukraine, on s'apprête même à leur proposer un poste au sein de la FFU, les deux footballeurs sont célébrés comme de véritables combattants de la «cause ukrainienne».

Du coup, la contravention de la FIFA fait enrager. À tel point que la page Facebook de l'organisation est prise d'assaut par les nationalistes ukrainiens, elle croule littéralement sous les messages d'insultes finissant par «Gloire à l'Ukraine»… la page a finalement été mise temporairement hors service et les commentaires bloqués.

L'opération Web-commando nationaliste ne s'arrête pas là. À partir du mardi 10 juillet au soir, les internautes ont commencé à donner une note «1» à la société russe Gazprom sur Facebook et à écrire «Gloire à l'Ukraine» et «Gloire à la Croatie» dans les commentaires. Résultat: en quelques heures, le score s'est effondré à 1,5 point sur cinq et les administrateurs ont dû désactiver la fonction d'évaluation.
Dans cette affaire de coups et de contrecoups et de récupération politique, on aurait pu s'arrêter là, en assistant une fois de plus à une interprétation politisé de gestes inconscients ou maladroits. D'autant plus que Domagoj Vida répète: on ne fait pas de politique.

C'est alors qu'une deuxième vidéo est mise en ligne.

Russie - Croatie - Sputnik Afrique
La «Gloire à l’Ukraine» coûte son poste à un expert de la sélection croate
Sur celle-là, Domagoj Vida boit une bière avec Ivica Olic (qui a joué trois ans au CSKA Moscou et reste aujourd'hui entraîneur adjoint de la sélection nationale de Croatie) et parle de «mettre le feu à Belgrade». Une vidéo privée de plus, non datée, sans qu'on puisse déterminer son auteur. Certains supposent qu'elle a été tournée par un hôte du… restaurant Belgrade, tenu par un des amis serbes de Vida à Kiev, où il va régulièrement faire la fête. Cette fois-ci, le scandale monte autour de la ville de Belgrade, sans qu'on soit certain de l'interprétation.

Diverses spéculations et suppositions autour de l'affaire échauffent les esprits, surtout en Ukraine. Visiblement, l'affaire est arrivée aux oreilles des dirigeants du régiment Azov, connu aussi sous le nom d'«hommes en noir», une unité militaire spéciale d'extrême droite formée de volontaires ukrainiens et placée sous le commandement du ministère de l'Intérieur du pays. Dans une vidéo postée en ligne, le volontaire croate Denis a remercié les joueurs croates: «Continuez, les gars, nous sommes avec vous et vous invitons à nous rendre visite. Gloire à l'Ukraine!», a déclaré le combattant.

Entre-temps, à Moscou, les supporters croates font la sourde oreille aux spéculations nationalistes ukrainiennes et exposent dans différents endroits de la ville de grandes banderoles avec des remerciements adressés la Russie, tout comme les fans de l'équipe nationale croate ont étalé avant la demi-finale une bannière dans les tribunes du stade Loujniki avec l'inscription «Merci la Russie!», en russe.

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