En Algérie, un chambardement qui sent la chnouf

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En Algérie, les 701 kilos de cocaïne saisis à bord d’un cargo appartenant à un homme d’affaires influent n’ont pas fini de faire des vagues. De nombreux officiers de la police et de la gendarmerie en ont fait les frais, de même que des magistrats et autres fonctionnaires. Une "purge" qui révélerait une lutte de clans à l’intérieur du pouvoir.

En l'espace de quelques semaines, quatre haut-gradés de la sécurité nationale ont été débarqués en Algérie. Point commun? L'absence d'explication officielle. Elément déclencheur: le spectaculaire coup de filet de «l'affaire de la cocaïne». Mais pas que cela. Pour des experts de la sécurité approchés par Sputnik, ce remue-ménage obéit à pas moins de trois logiques.

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Tout le monde se souvient très bien avec qui la liste a commencé. Personne, en revanche, ne sait qui va la clore. Une loi des séries qui provoque les spéculations des observateurs et des médias algériens à propos de la martingale qu'elle renferme. Dernière «victime» en date: le chef de la sûreté d'Oran, Nouasri Salah. La «mise à la retraite» de ce septuagénaire, tout comme le limogeage du chef de la sûreté d'Alger, ont été décidés par Mustapha Lahbiri. Le tout récent impétrant de la direction générale de la sûreté nationale (DGSN) avait ainsi remplacé, contre toute attente, Abdelghani Hamel, qu'on disait, jusque-là, plutôt proche du Palais. Le commandant de la gendarmerie nationale, Menad Nouba, a lui aussi, fait les frais du remue-ménage sécuritaire.

Pour Akram Kharief, expert en sécurité et rédacteur en chef de Menadefense, il convient de faire une lecture à trois niveaux de ce chamboulement. La plus simple, et paradoxalement la moins évidente à deviner, alors que les nuages s'amoncellent dans les cieux de la politique algérienne, c'est d'abord «un changement naturel qui touche l'armée et les corps de sécurité lors de la fête nationale», le 5 juillet, de chaque année.

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Mais la circonstance n'aurait servi, tout au plus, que d'agent édulcorant, au même titre que la «mise à la retraite» est venue ganter une mesure dont personne, ne doute, aujourd'hui, de son caractère punitif. D'autant plus que «ce sont des changements qui n'obéissent à aucune logique opérationnelle», de l'avis d'une source proche des renseignements militaires algériens, approchée par Sputnik.

«Le patron de la DGSN, un général-major, est remplacé par un très vieux colonel, Mustapha Lahbiri, jusque-là directeur général de la protection civile. Le patron de la gendarmerie, un général-major, est remplacé par un général qui a été promu, en l'espace de deux ans, de colonel à commandant de la gendarmerie, avec un grade de général. D'un point de vue d'expert, ce sont des limogeages qui n'étaient pas du tout prévus.»

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Pas plus que n'était prévisible, semble-t-il, l'affaire de la cocaïne. Le 29 mai dernier, l'armée algérienne procédait à une saisie-record de 701 kilogrammes de cocaïne dans le port d'Oran. Le cargo, objet du coup de filet historique, transportait de la viande surgelée en provenance du Brésil, pour le compte de l'homme d'affaires controversé Kamel Chikhi, alias «le boucher». Une enquête est aussitôt ouverte. Très vite, les bruits courent que Chikhi a bénéficié de complicités en haut lieu. L'origine de sa fortune, qui se serait fortifiée à la faveur de nombreux passe-droits, n'était pas pour le blanchir aux yeux de l'opinion.

« S'il n'y a pas eu de relation établie entre certains officiers relevés et l'affaire de la drogue saisie, il reste que l'enquête a relevée que l'accusé Kamel Chikhi, alias le boucher, entretenait un grand réseau de trafic d'influence qui inclut des personnes dans les services de sécurité, mais aussi des magistrats et des fonctionnaires. Une partie des changements est peut-être due à cela», détaille Akram Kharief, en guise de seconde dynamique explicative de la vague de changements sécuritaires.

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L'importateur et des personnes de son entourage ont été aussitôt placés sous mandat de dépôt. Des dizaines d'autres personnes ont été interpellées. L'éclat d'obus touchera jusqu'au chauffeur personnel de Hamel…dont l'implication a été formellement démentie par le DGSN à l'occasion d'une conférence de presse, où «Hamel a accusé à demi-mots l'armée et la gendarmerie de faire une enquête sur mesure qui incrimine la police et la justice, puisque le chauffeur d'El Hamel a été convoqué pour être entendu, de même que de nombreux magistrats», rappelle encore Akram Kharief, qui en vient ainsi, à la troisième dynamique de la vague d'évictions.

«Cette affaire a créé de gros remous à l'intérieur du pouvoir et une sorte de lutte entre plusieurs tendances à la périphérie du pouvoir. On l'a vu dans le cas du patron du DGSN qui a menacé de dévoiler des dossiers, en disant "que celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre". Il a été viré tout de suite après», abonde Kharief.

Les tensions entre différents clans se sont exportées dans les médias et les réseaux sociaux. Des journaux proches de la présidence vantaient, ainsi, une opération mains propres pour extirper la corruption du pays, dominée par «les barons du système», alors que d'autres, sur les réseaux sociaux, interrogeaient les véritables motivations.

«Les dernières déclarations de Hamel. Ce qu'il dit est vrai. Ceux qui l'ont limogé ont peur que la vérité éclate au grand jour», dit en substance cet internaute.

«C'est une opération destinée uniquement à réduire au silence l'enquête. Je ne pense pas qu'ils ont quelque chose à voir avec le trafic», estime, pour sa part, la source proche des renseignements militaires.

«Les limogeages sont moins liés à l'affaire qu'à l'enquête sur l'affaire. On reproche à Hamel ne pas avoir prévenu à temps la présidence de l'opération de l'armée. Le patron de la gendarmerie, lui, a été éjecté pour que l'enquête reste au point mort sur les soutiens dont a pu bénéficier le fameux boucher. La présidence a pris l'affaire de la cocaïne comme une attaque contre l'éventualité de son 5ème mandat. Et elle a bien raison d'ailleurs.»

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Et pour cause, «cette affaire a parasité et parasitera davantage l'atmosphère de la précampagne présidentielle. Toute la séquence politique appelant le président à briguer un 5ème mandat a été souillée». Une «souillure» provoquée par une partie de l'armée qui

«a voulu donner un grand retentissement médiatique à cette affaire. On aurait pu saisir le bateau et dire qu'il y n'avait que 60 kilogrammes de cocaïne à bord, et personne n'aurait su. Or, on a voulu que le pétard pète fort, très fort…»

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Toujours selon cette source, le clivage se situerait actuellement au niveau des pro- et anti-cinquième mandat de Bouteflika, à l'occasion de la présidentielle du printemps 2019. Fortement diminué depuis un AVC qui l'a frappé en 2013, le président algérien n'a toujours pas révélé ses intentions, alors que la liste de ses soutiens politiques s'élargit.

«Il y a une nervosité venant du fait qu'à l'intérieur de l'Etat profond, le 5ème mandat (de Bouteflika) n'est plus à l'ordre du jour. D'ailleurs, l'apparition de Abdelmalik Sellal (ancien Premier ministre) après une très longue absence médiatique indiquerait qu'il pourrait être un choix plausible. Le clan Bouteflika sait qu'un nouveau Président rabattrait toutes les cartes. Le dernier pouvoir qu'il a entre les mains ce sont les décrets présidentiels pour limoger toutes les personnes qu'il pense ne pas être acquises à sa cause», poursuit cette source.

La corrélation entre cette affaire et les élections de 2019 est néanmoins un pas que Karim Kharief se garde de franchir: «Personnellement, je ne lie pas ce qui s'est passé aux élections, à titre particulier, mais plus généralement à l'avenir politique en Algérie.»

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