FMI et hyperinflation en Algérie: pas si sûr à condition de quelques réajustements

CC BY-SA 3.0 / Bundesarchiv, Bild 102-00238 / Pahl, Georg / Un tat de billets de banque, République de Weimar en 1923, Allemagne
Un tat de billets de banque, République de Weimar en 1923, Allemagne - Sputnik Afrique
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Dans son dernier rapport, le 16 juillet, sur l’état de l’économie algérienne, le FMI a prévu un avenir sombre à ce pays à cause du financement non conventionnel adopté par le gouvernement. Or, des exemples dans l’Histoire invalident ces prévisions. Voici des cas et des raisons.

Commentant le rapport du FMI, publié le 16 juillet sur son site officiel, concernant la situation économique en Algérie, le site d'information Tout sur l'Algérie (TSA) a titré son article, de son édition du 17 juillet, «Rapport du FMI: dernière mise en garde avant le chaos?». «Les conséquences d'une fuite en avant [du gouvernement algérien, ndlr] risquent cette fois d'être dramatiques. Car […] les cours du pétrole sont volatiles, les réserves de change fondent comme neige au Soleil et la planche à billets a déjà atteint ses limites», a écrit le média.

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Pour sa part, Ahmed Ouyahia, le Premier ministre du pays, s'exprimant sur les mises en garde des experts du FMI, ayant rédigé ce rapport, concernant les risques hyper-inflationnistes qui pourraient être induits par l'utilisation de la planche à billets, a déclaré que les prévisions économiques catastrophistes de cette institution internationale sur l'avenir de l'Algérie étaient dues au fait qu'Alger avait refusé de recourir à l'endettement extérieur, comme le signale le journal L'Expression dans son édition du 19 juin. «Plus de sept mois après l'emprunt réalisé par le Trésor auprès de la Banque d'Algérie de plusieurs centaines de milliards de dinars et l'injection de tout cet argent dans les circuits de l'économie nationale, il y a lieu de constater, et les experts eux-mêmes l'attestent, que les équilibres macroéconomiques demeurent solides», a-t-il affirmé.

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Entre ces deux avis contradictoire, il convient de rappeler que le mode de financement de l'économie par la création monétaire ex nihilo a déjà été utilisé dans l'Histoire. Aux États-Unis, après la victoire de la révolution américaine contre l'empire britannique, en 1783, sous la direction du secrétaire du Trésor Alexander Hamilton. Et en France, après la Seconde Guerre mondiale, en particulier, sous la présidence du général de Gaulle. Dans les deux cas, les résultats étaient éclatants.

Alors une question se pose. Quelle est la part de vérité dans les affirmations du gouvernement algérien et quelles sont les erreurs qu'il devrait éviter pour ne pas provoquer une spirale hyper-inflationniste conformément aux mises en garde du FMI, qui sont d'ailleurs partagées par des experts et des partis d'opposition algériens?

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Pour répondre à la question ci-dessus il faut s'attarder sur la réforme du système de financement de l'économie française à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Rappelons, de prime à bord, que le pays était complétement dévasté sur tous les plans et croulait sous les dettes. Il fallait donc, de toute urgence, mener une politique de reconstruction.

De ce fait, le gouvernement français a opté pour la planification de son économie. Système certes très éloigné de la planification centralisée du modèle soviétique, mais qui a fait en sorte, après l'identification de 12 secteurs prioritaires (les infrastructures, la sidérurgie, l'électricité, l'école, la recherche scientifique, l'agriculture…), à ce que l'attribution de crédit serve en priorité les industries ou les secteurs considérés comme des priorités nationales.

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Pour financer ces grands projets de reconstruction, c'est le Trésor public et la Banque de France (à travers le taux du réescompte) qui étaient les prêteurs les plus importants de l'économie française dans les années 1950, à des taux d'intérêts très faibles, comme l'indique l'économiste Éric Monnet dans son article «Monetary policy without interest rates. The impact of credit control» («Politique monétaire sans taux d'intérêt. L'impact du contrôle de crédit»), publié en 2011. Ces deux institutions publiques jouèrent un rôle essentiel durant la décennie allant de 1948 à 1959 dans la création du système financier national et susciter la confiance des acteurs économiques privés. Bien qu'ils aient été remplacés par des banques et des établissements de crédit spécialisés dans les années 1960, l'État a gardé sa capacité d'intervenir dans l'allocation de crédit par d'autres moyens tels que des recommandations et des exemptions de contrôle ciblés pour certains secteurs, via le Conseil National du Crédit créé en 1945, ainsi que d'autres institutions de contrôle.

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Le problème qui se pose dans ce cas de figure est la politique monétaire à adopter dans une situation ou les taux d'intérêt sont très faibles, voire nuls. Et c'est bien là où les instruments quantitatifs (plafonds de réescompte, volume des effets à taux bonifiés, admission de certains effets au réescompte de la Banque de France) constituent l'expérience particulière du système financier français de 1948 à 1975, marqué par une forte réglementation, comme l'explique l'économiste Éric Monnet dans son article «Monetary policy without interest rates — The French experience with quantitative controls (1948 to 1973)» («Politique monétaire sans taux d'intérêt — L'expérience française en matière de contrôle quantitatif 1948 à 1973»), publié en 2016.

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Le système bancaire français avait l'obligation de détenir des bons du trésor de l'État pour permettre au gouvernement de constituer son budget et de financer les déficits à un faible coût. Le développement des marchés boursiers était faible. Le système bancaire devait faire face à des plafonds de taux d'intérêt fixés par l'État, afin d'éviter la concurrence avec le secteur public de collecte de fonds. Les banques de dépôt avaient été nationalisées, même si dans leur gestion quotidienne, elles bénéficiaient d'une large autonomie. La présence de fortes réserves, constituait également l'un des instruments de la politique monétaire.

Ce système n'était possible que dans la mesure où le gouvernement détenait ou contrôlait les principales banques nationales et les institutions financières (Caisse des Dépôts, Crédit National…). Par ailleurs, il convient de signaler que le transfert des actifs à l'étranger avait été limité par l'imposition de contrôles des capitaux.

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La croissance de la France durant ces années des Trente Glorieuses était très forte, caractérisée par le plein emploi, et n'est égalée que par la croissance de l'Italie. En fait, la croissance française a été, en moyenne, supérieure à la croissance allemande, mais aussi à celle des États-Unis et du Royaume-Uni. La France a aussi connu un développement qualitatif important de son secteur industriel dont le meilleur exemple a été la reconstruction d'une industrie aéronautique à haute performance et le développement d'un secteur spatial.

La condition de la réussite dans le cas algérien

Le principal problème auquel l'économie algérienne est confrontée aujourd'hui est de réorganiser son secteur de financement pour permettre aux entreprises émergentes, à forte valeur capitalistique, de se développer, tout en réduisant au maximum son exposition à la finance internationale.

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Si la France a réussi la prouesse de se hisser au rang des grandes puissances économiques, scientifiques et technologiques du monde dans la période des Trente Glorieuses c'est parce qu'elle a orienté l'argent que la Banque de France créait vers le financement des infrastructures, du secteur productif et de la recherche et développement. En aucun cas, l'argent n'a servi à payer les dépenses courantes de l'État, à l'exemple des salaires des fonctionnaires. S'il n'y avait pas d'hyperinflation, c'est parce que justement chaque franc imprimé par la Banque de France avait un équivalent physique dans la réalité par le fait qu'il allait exclusivement au financement du secteur productif.

Or le problème de l'Algérie se situe exactement là. Une bonne partie de l'argent a servi pour le payement des salaires des fonctionnaires.

De ce fait, il est possible de dire que le chemin entrepris par le gouvernement algérien n'est pas totalement faux comme le laissent entendre les experts du FMI, à condition que l'argent soit orienté vers le développement physique du pays en plus d'autres réformes fiscales et de l'asséchement du marché parallèle.

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