Les centristes plus extrémistes que les extrémistes?

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Le politologue britannique David Adler a mené une étude en se basant sur des enquêtes d’opinions réalisées dans une centaine de pays. Son constat a de quoi surprendre : les centristes seraient les moins attachés à la démocratie.

Moins que les sympathisants d'extrême gauche ou d'extrême droite. La méthode employée fait cependant polémique.

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Ce n'est pas un pavé mais un roc que le politologue britannique David Adler a jeté dans la marre politique internationale. Depuis que le célèbre New York Times lui a offert une tribune pour présenter les résultats de ses récents travaux, la polémique enfle. Et pour cause, le chercheur en sciences politique s'est penché sur des enquêtes d'opinion menées dans une centaine de pays dans le cadre des projets World Values Survey et European Values Survey. David Adler est parti du constat que la démocratie était en danger et que les extrêmes, de gauche ou de droite étaient communément pointés du doigt comme les responsables:

«A droite, les ethno-nationalistes et les libertariens sont accusés de supporter des politiques fascistes. A gauche, les campus radicalisés et le soi-disant mouvement antifa sont blâmés pour trahir les principes libéraux. Il est généralement admis que les points de vue radicaux vont de pair avec un soutien pour l'autoritarisme, pendant que les modérés sont vus comme des individus plus impliqués dans leur approche du processus démocratique», explique le politologue dans les colonnes du New York Times.

David Adler a souhaité s'interroger sur la véracité de ce constat. Et les résultats de ses recherches font l'effet d'une bombe: ce n'est ni l'extrême gauche, ni l'extrême droite mais bien les centristes qui représenteraient le groupe politique le moins attaché à la démocratie, aux droits civiques et aux élections. Ils seraient également les plus friands d'autoritarisme. Tout cela des deux côtés de l'Atlantique.

Débats sur la méthode

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Dans les détails, l'auteur de l'étude s'est intéressé à l'opinion de plusieurs citoyens d'une centaine de pays qui se sont placés sur une échelle de 1 (très à gauche) à 10 (très à droite) pour répondre à des questions concernant la politique. Par exemple, à celle de savoir si la démocratie était un «très bon système», seuls 42% des Européens qui se sont placés au centre de l'échelle ont répondu par la positive. 33% chez leurs homologues américains. Dans les deux cas, c'est inférieur aux scores des sympathisants d'extrême gauche et d'extrême droite. Concernant la nécessité de choisir un leader politique par le biais d'élections libres, là encore, les résultats interrogent. Dans la grande majorité des pays, les individus qui se sont placés au centre les jugent moins importantes que du côté des extrêmes, qu'ils soient à gauche ou à droite. Les conclusions vont sensiblement dans le même sens en ce qui concerne le soutien aux droits civiques ou à un régime autoritaire; bien que les «centristes» soient dépassés par l'extrême droite sur ce dernier point.
Quelle valeur accorder à ces troublantes conclusions? Les avis divergent. Interrogé par nos confrères d'Atlantico, Vincent Tournier, maître de conférences de science politique à l'Institut d'études politiques de Grenoble, a qualifié les travaux de David Adler de «très originaux» Il affirme même que son étude vient «bouleverser la manière d'analyser la situation actuelle».

A l'inverse, pour Alexandre Vatimbella et Jean-Louis Pommery, respectivement directeur et directeur des études du Centre de recherche et d'étude du centrisme, les travaux de David Adler sont biaisés. Ils s'en prennent notamment aux dates de réalisation des enquêtes d'opinions qui ont servi de base à David Adler: «Quand aux données elles-mêmes, elles datent d'une étude qui a eu lieu entre 2010 et 2014 soit entre huit et quatre années en arrière (à noter qu'il a également utilisé une étude de l'European values survey datant de… 2008!), ce qui laisse supposer, déjà, que des changements ont eu lieu dans les opinions publiques (…)», ont-il écrit dans une tribune sur leur site.

Les deux spécialistes du centrisme continuent leur entreprise de destruction:

«De même, il est une évidence semble-t-il oublié par monsieur Adler, c'est qu'il ne suffit pas de s'autoproclamer "centriste " pour en être un (Marine Le Pen en est un bon exemple…) ou encore plus "modéré" d'autant que les personnes utilisant ce terme pour ce définir le sont souvent peu ou pas comme on peut le voir dans la définition de ce qu'est un "indépendant"aux Etats-Unis, souvent traduit par des politologues comme des centristes alors même qu'une grande partie d'entre eux qui ne se reconnaissent pas dans les partis démocrate et républicain, se positionnent, en réalité et respectivement, à la gauche et à la droite de ceux-ci.»

David Adler a reconnu lui-même que la méthode employée pour son étude, celle des échelles, avaient ses points faibles. Mais il assure avoir pris des précautions: «Il est possible que certains se placent au centre quand ils sont confus ou qu'ils ne s'intéressent tout simplement pas assez à la politique pour prendre parti (…) Le sondage inclut une réponse «Je ne sais pas», ce qui représente plus de 10% de mon échantillon. J'ai exclu cet échantillon de mon analyse substantielle.»

Une démocratie à surveiller

Daniel Boy, directeur de recherche émérite au CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de SciencesPo, a confié à Sputnik son analyse de l'étude de Daniel Adler. Pour lui, la méthode pose problème. Certains individus peuvent se retrouver au centre de l'échelle non pas parce qu'ils ne savent pas ou ne s'intéressent pas à la politique mais parce qu'ils ne reconnaissent pas le concept de gauche et de droite.

«Beaucoup de gens refusent la classification gauche-droite. On le voit de plus en plus avec l'émergence des mouvements populistes dans plusieurs pays occidentaux. De nos jours cette catégorie est forte car le dégoût de la politique se fait de plus en plus présent dans une frange de plus en plus large de la population. Si vous prenez le Mouvement Cinq étoiles en Italie, ses sympathisants ne se reconnaissent ni en la droite ni en la gauche mais ça ne fait pas d'eux des centristes au sens politique. Ils veulent renverser le système. Les vrais centristes sont des individus qui partagent à la fois des opinions de la droite classique et de la gauche classique. Un peu comme l'électorat de Macron aux dernières élections présidentielles. Du moins en partie», explique Daniel Boy.

Pour l'expert, impossible de savoir quelle est la proportion de vrais centristes dans les résultats de David Adler ce qui rendrait l'étude «peu concluante».
Au-delà d'une volonté de pointer du doigt un quelconque courant politique, David Adler a souhaité démontrer que la démocratie était en danger et que les risques ne venaient pas que des extrêmes:

«A travers l'Europe et l'Amérique du Nord, le soutien à la démocratie est en déclin. Pour expliquer cette tendance, le consensus actuel pointe vers les extrêmes. L'extrême gauche comme l'extrême droite seraient prêts à renverser les institutions démocratiques pour changer radicalement de système. Au contraire, les modérés seraient les défenseurs de la démocratie libérale, de ses principes et de ses institutions. Les données résultant de cette étude indiquent que ce n'est pas le cas. Alors que les démocraties occidentales connaissent des difficultés, aucun groupe politique n'est immunisé contre l'attrait vers l'autoritarisme, encore moins les centristes qui semblent préférer une gouvernance forte et efficace à des politiques démocratiques désordonnées.»

Les démocraties occidentales seraient donc en danger? Daniel Boy ne le pense pas même si, pour lui, l'heure est à la prudence:

«Dans nos baromètres de la confiance politique que nous réalisons au Cevipof, on pose une série de questions notamment sur l'appréciation vis-à-vis de la démocratie. On a une partie des sondés, certes faibles, qui se revendiquent anti-démocratie car ils jugent que ce système échoue. La question fondamentale c'est "Est-ce que sur les 20 ou 30 ans dernières années on a constaté une augmentation de cette part?" Pour l'instant on se sait pas. On s'est remis à poser des questions sur la démocratie assez récemment. Il y a 10 ans, ce n'était pas le cas. Le fait que l'on se remette à les poser a une signification: cela veut dire que l'on s'inquiète.»

«La défiance vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie augmente nettement: en 2017, 61% des personnes interrogées considèrent qu'elle ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout contre 49% en 2009 (+12 points)», note le Cevipof dans ses grandes tendances.

Reste qu'il y a une différence entre défiance et hostilité. «La démocratie est souvent critiquée mais je ne la vois pas s'effondrer dans les pays comme les Etats-Unis, l'Allemagne, la France ou le Royaume-Uni. Comme disait Winston Churchill "La démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres"», souligne Daniel Boy.

Avant de conclure: «Je ne crains pas pour la démocratie mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas la surveiller.»

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