Brexit: un «serial entrepreneur» voudrait défaire le vote populaire

© AFP 2023 Isabel InfantesPeople wear Union flag-themed hats as they look at the Elizabeth Tower, better known as "Big Ben", near the Houses of Parliament in London on January 17, 2017.
People wear Union flag-themed hats as they look at the Elizabeth Tower, better known as Big Ben, near the Houses of Parliament in London on January 17, 2017. - Sputnik Afrique
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Alors que les salaires de base ont été revalorisés au Royaume-Uni pour faire face à la pénurie de travailleurs, les organisations patronales crient au «désastre», à l’exemple de Julian Dunkerton, cofondateur de SuperDry. Ce multimillionnaire vient de verser 1 million de livres à une organisation militant pour un nouveau referendum sur l’UE.

Serait-il «aussi simple» de renoncer au Brexit que de commander un steak à la place d'un poulet mal cuit dans un restaurant? La réponse est clairement oui pour le cofondateur de la marque de vêtements SuperDry, Julian Dunkerton. Il a fait cette comparaison «très grossière» dans une vidéo publiée le 19 août sur le compte Twitter de Peolple's Vote, une organisation militant pour la tenue d'un second referendum sur l'accord final du Brexit.

«Les Britanniques ont déjà voté pour quitter l'UE. Il n'y aura pas de second referendum sous aucune circonstance»,

répétait pourtant à la mi-juillet un porte-parole de Theresa May, alors qu'une députée conservatrice et ex-secrétaire d'État à l'éducation, Justine Greening, annonçait au micro de la BBC rallier la cause d'un second referendum sur le Brexit, ce afin de «régler cette question européenne une bonne fois pour toutes» justifiait-elle.

Qu'à cela ne tienne, toujours le 19 août, Julian Dunkerton annonçait dans une tribune, publiée sur le site du Times, avoir versé la somme rondelette d'un million de livres sterling (1,1 million d'euros) à la cause de People's vote.

«Les gens se rendent de plus en plus compte que le Brexit va être un désastre,» estime le multimillionnaire de 53 ans, pour qui il y a deux façons de regarder le monde «l'une optimiste et l'autre complètement négative». Ainsi, celui qui souhaite être présenté comme un «serial entrepreneur» espère que le gouvernement britannique prendra la décision de faire machine arrière afin de permettre au Royaume-Uni de «rester une des grandes nations de ce monde.»

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Joignant l'acte à la parole, il soutient donc une organisation qui milite pour le maintien dans l'UE, malgré le résultat du referendum du 23 juin 2016. Ce jour-là, près de 52% des votants se sont prononcés en faveur d'un départ du Royaume-Uni de l'Union, avec un taux de participation de 72% (un taux jamais égalé en France depuis le vote portant sur la création des régions et la réforme du Sénat en 1969).

Soutenir la cause d'un second referendum, le geste d'un patron qui ne surprend pas l'économiste David Cayla, maître de conférences à l'université d'Angers et membre des Économistes atterrés.

«Il défend ses intérêts. Clairement, en tant que chef d'entreprise, il a besoin d'accéder au marché européen et la grande crainte pour les industriels et les patrons en Grande-Bretagne c'est d'avoir un no-deal, c'est-à-dire pas d'accord.»

Le «no-deal», un spectre brandi par les opposants à la sortie du Royaume-Uni de l'UE, les «remainers». Si ces derniers estiment que le vote des partisans du Brexit a bien été respecté avec le déclenchement de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, ils estiment qu'à présent un «mandat démocratique» doit valider les «modalités d'interprétation» de la mise en œuvre du fameux article 50… Pour reprendre l'image de Julian Dunkerton, selon les perdants du referendum de 2016, une fois le poulet commandé, ne pas pouvoir donner leur avis sur sa cuisson serait un manque caractérisé de démocratie.

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Dans le cas où Londres et Bruxelles ne trouveraient pas de terrain d'entente sur les modalités de leur divorce, «cela voudrait dire à nouveau des droits de douane, en fait le Royaume-Uni serait considéré comme un pays tiers» précise David Cayla, qui ne serait pas surpris d'une telle issue au vu des tensions actuelles entre les deux parties. Une issue qui aurait donc des conséquences pour les entrepreneurs installés dans les îles britanniques et tournés vers le marché européen.

En effet, si des accords bilatéraux —notamment diplomatiques- entre le Royaume-Uni et les États-membres européens subsisteront après le 29 mars 2019 (dernier jour avant le désarrimage du Royaume-Uni de l'UE), en matière commerciale, l'absence d'accord sera tout autre, souligne le spécialiste. David Cayla rappelle ainsi que, au gré des traités européens, c'est Bruxelles qui a pris la main sur l'établissement des partenariats commerciaux.

Un point sur lequel insiste Julian Dunkerton, estimant que «nous aurions vraiment, vraiment eu beaucoup de mal à faire face aux négociations avec chaque pays». Pour le multimillionnaire de 53 ans, dont l'entreprise est aujourd'hui cotée à la bourse de Londres, «si le Brexit avait eu lieu 20 ans plus tôt, la marque Superdry ne serait jamais devenue la réussite mondiale qu'elle est.»

«Il n'est pas du tout certain qu'un autre referendum changerait le résultat. Concrètement, la logique du Brexit est quand même largement engagée, je pense que beaucoup de Britanniques se sont faits à l'idée. Je suis assez sceptique, en général quand on joue à ce jeu, on est perdant,» met en garde David Cayla.

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Parallèlement à cet apparent élan philanthropique de Julian Dunkerton, le CBI (Confederation of British Industry), équivalent outre-Manche du Medef français, met régulièrement en garde Theresa May contre les conséquences d'une sortie de l'UE en matière d'emploi. Ces derniers appelaient encore récemment le Premier ministre à laisser ouvertes les portes des îles britanniques aux travailleurs européens.

D'après un papier fuité du cabinet de Theresa May, que le quotidien The Daily Telegraph a pu consulter, le gouvernement britannique envisagerait de laisser aux citoyens européens établis au Royaume-Uni le droit de rester, même en cas de no deal ainsi que de conserver leur accès au système de santé national (NHS). 3,8 millions de personnes sont concernées.

Il faut dire qu'il y a urgence, comme l'évoquait la semaine dernière The Guardian: dans une enquête auprès de 2.000 employeurs britanniques, ces derniers ont dû —face à la pénurie de travailleurs continentaux- augmenter les salaires… «En économie, tout choix fait des gagnants et des perdants,» rappelle David Cayla. L'économiste souligne que si certaines entreprises pourraient pâtir de ce type de conséquences du Brexit, l'économique britannique dans son ensemble pourrait y trouver son compte.

«Depuis 2000, elle a quand même perdu 30% de ses emplois industriels […] et, évidemment, sur ces emplois qui ont été perdus, une grande partie est aujourd'hui occupée par des travailleurs étrangers.»
Donc, évidemment, du point de vue des Britanniques —pas du point de vue de la compétitivité, pas du point de vue des patrons, mais du point de vue des ouvriers- ç'a été un désastre et il est clair que dans le referendum sur le Brexit, ce qui a beaucoup pesé, c'est justement cette immigration. Pas une immigration africaine, extraeuropéenne, mais des Européens de l'Est en particulier, puisque ceux-là dans le cadre du marché unique, le Royaume-Uni n'a pas le droit de les empêcher de venir, puisque c'est la libre circulation du travailleur.»

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La libre circulation des personnes, pierre d'achoppement entre pro-Brexit et remainers, mais également pilier que l'UE considère comme fondamental, allant de pair avec le marché unique. Rejeter l'un, c'est également se couper de l'autre. Un dilemme que résume David Cayla.

«Il faut juste avoir un ordre d'idées des chiffres: depuis les années 2000, en moyenne, il y a eu un solde migratoire positif de 250.000 personnes au Royaume-Uni, chaque année. C'est quand même la taille d'une agglomération moyenne française qui rentre au Royaume-Uni. C'est une immigration de travail, qui pèse parfois sur les salaires à la baisse, donc bien sûr cela pose un problème politique pour les électeurs et le personnel politique du Royaume-Uni.»

Au-delà de la construction ou de la restauration et de l'hôtellerie, la Finance est l'un des secteurs le plus concernés par le Brexit et étonnamment le plus évoqué par une presse française qui —même de gauche- s'apitoie sur le sort de ces banquiers expatriés qui reprenne la route du continent.

«Si le Brexit fait disparaître une partie de la finance britannique, bien que cela ne soit pas tellement sûr, je ne crois pas que les Britanniques seront perdants, si cela permet de remettre en place des politiques commerciales intelligentes qui permettent de relancer l'industrie»,

relativise David Calya, qui se dit «assez sceptique» quant à l'idée très répandue que le Brexit serait dévastateur pour l'industrie financière britannique. «C'est très peu d'emplois […] la finance, finalement, ce n'est pas ça qui va créer la richesse d'une économie développée comme celle du Royaume-Uni. Ce qui est important, c'est l'industrie, ce sont les services, ce sont les emplois.» Insiste-t-il.

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D'ailleurs, Brexit ou pas Brexit, dans ce domaine emblématique pour Londres que constitue la finance, le recours à une main-d'œuvre encore moins onéreuse que celle venue d'Europe de l'Est est déjà à l'œuvre avec l'externalisation de services entiers d'analystes vers l'Inde.

Quelle que soit l'issue des négociations sur le Brexit, les organisations patronales anticipent la pénurie. Le CBI a en effet appelé à la mi-août Caroline Nokes, ministre de l'Immigration, à faciliter les démarches pour les résidents extraeuropéens, afin de permettre aux employeurs de «trouver des talents tout autour du monde».
Des plombiers pakistanais à la place des plombiers polonais, en somme?

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