Le ras-le-bol des retraités face au gouvernement

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Le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé que les retraites seront désindexées de la hausse de l’inflation en 2019 et 2020. Dans les faits, cela se traduit par +0,3% pour les pensions contre une augmentation de 1,6% des prix à la consommation. Contactée par Sputnik France, plusieurs associations crient leur colère.

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Les retraités n'ont pas dû beaucoup apprécier de se plonger dans les colonnes du JDD version 26 août. Et pour cause, le Premier ministre Edouard Philippe a détaillé plusieurs arbitrages économiques afin de faire face à une prévision de croissance revue à la baisse (1,7 % au lieu de 1,9 %). Et les pensions de retraites devront, à nouveau, se mettre au régime sec. Elles «progresseront de façon plus modérée, de 0,3 % par an en 2019 et 2020», a annoncé le locataire de Matignon. Le problème, c'est que d'ordinaire, la hausse est indexée sur l'inflation. Et cette dernière a tendance à s'envoler. L'Insee prévoit une augmentation des prix à la consommation de 1,6% en 2018. Après avoir été repoussée une première fois de trois mois, passant d'octobre à janvier, la revalorisation des pensions de retraite, qui devait être deux fois supérieure à celle opérée le 1er octobre 2017 (+0,8%), sera finalement… cinq fois inférieure.

Et concrètement? Intéressons-nous au cas d'un retraité qui touche 1.376 euros bruts mensuels (dans la moyenne française). Il pourra bénéficier de 4 euros de plus par mois. Dans un monde où les pensions seraient toujours indexées sur l'inflation, c'est de 22 euros mensuels supplémentaires dont il aurait pu jouir. Pour les retraites complémentaires, c'est le statu quo.

«Le gouvernement a fait un calcul simple. Si la revalorisation devait atteindre 1,6%, ce qui correspond à l'inflation, le coût aurait été de 5 à 6 milliards d'euros et il ne les a pas. Il essaie de faire des bouts d'économies au lieu de remettre tout le système à plat», analyse pour Sputnik France Marie-Laure Dufrêche, déléguée générale de l'association Sauvegarde Retraites.

Après la hausse de la CSG

En effet, la question budgétaire a de quoi donner des maux de tête au du gouvernement. Il doit composer avec les promesses faites à Bruxelles de maintenir le déficit sous les 3% du PIB, le tout en réduisant la dépense publique, la pression fiscale et surtout, la dette.

«La politique du gouvernement vis-à-vis des retraités est négative depuis le début. Nous la jugeons très sévèrement et nos retraités sont très en colère. Ils se considéraient déjà comme les mal-aimés du gouvernement mais là, c'est une surprise. On ne s'y attendait pas du tout!», a confié à Sputnik France, Pierre Erbs, président de la Confédération française des retraités.

Ces derniers dénoncent une accumulation de mesures hostiles. Au 1er janvier 2018, environ 60% d'entre eux (7,5 millions de foyers) ont vu leur contribution sociale généralisée (CSG) augmenter d'1,7%. Sont concernées les retraites au-dessus de 1.200 euros brut par mois. Ce que dément Marie-Laure Dufrêche:

«Le gouvernement avait annoncé que l'augmentation de la CSG d'1,7% ne toucherait pas les petites retraites inférieures à 1.200 euros. C'est vrai pour les célibataires. C'est faux dans de nombreux cas. Ce que l'on prend en compte n'est alors pas la retraite en elle-même mais le revenu fiscal de référence du foyer qui pour un couple ne doit pas dépasser 22.096 euros brut donc 1.841 euros par mois. Par exemple, deux retraités qui perçoivent 921 euros de pension paieront la CSG plein pot. Nous recevons des milliers de courriers de gens qui sont outrés et ne comprennent pas ce qu'il leur arrive. Dans sa communication, le gouvernement prend soin de ne pas parler de revenu fiscal de référence du foyer.»

Le gouvernement se défend lui de toute attaque contre les tempes grises de France et met en avant des compensations comme la suppression progressive de la taxe d'habitation.

«Nous augmentons très modérément, c'est vrai, les retraites mais par ailleurs nous supprimons de la fiscalité pour les retraités. Les retraités français vont bénéficier de la baisse de la taxe d'habitation, ils ont donc une augmentation de pouvoir d'achat », a affirmé le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin chez nos confrères de BFM TV le 27 août.

Sauvegarde Retraites a repéré un récent rapport parlementaire qui contredit, selon l'association, les déclarations de l'exécutif: «Un rapport parlementaire montre que, en 2020, 3,2 millions de retraités ne bénéficieront toujours pas de la suppression de la taxe d'habitation, censée compenser la hausse de la CSG sur les pensions.»

Pierre Erbs n'est pas non plus convaincu par l'argumentaire dégainé par Bercy:

«Cette histoire de taxe d'habitation a bon dos. De un, ce n'est pas destiné aux retraités mais à l'ensemble des Français. De deux, elle a été étalée sur trois échéances et on parle maintenant de 2021 concernant la suppression pour tous.»

Plus qu'une guerre des chiffres, c'est la situation sur le terrain qui inquiètent les organisations représentatives des retraités comme le note Marie-Laure Dufrêche:

«Ces 0.3% d'augmentation, c'est clairement de l'aumône. La cascade de taxes qui s'est abattue sur les retraités depuis des années a entraîné une paupérisation grandissante d'une partie de cette population. Parallèlement à la non-revalorisation réelle des retraites, nous avons eu la suppression de la demi-part pour les veuves. Pour beaucoup, elles ont donc basculé dans une autre tranche d'imposition et se sont retrouvées avec des moyens financiers très faibles. Après, nous avons eu la taxation et le plafonnement des majorations familiales. Sans parler de l'augmentation de la CSG. Beaucoup sont donc obligés de faire appel au Secours populaire ou à Emmaüs.»

Le 28 septembre 2017, Julien Lauprêtre, président du Secours populaire, lançait un cri d'alarme chez nos confrères de France Info:

«Le nombre de personnes âgées qui viennent demander de l'aide au Secours populaire français est en augmentation croissante. L'année dernière, nous avons aidé trois millions de personnes en France et il y avait parmi elles de nombreux retraités. C'est un raz-de-marée de la misère.» «C'est le drame qui me touche le plus, voir des retraités qui ont travaillé toute leur vie et qui viennent demander à manger au Secours populaire, c'est vraiment douloureux», avait-il ajouté.

La hausse de la CSG n'était pas encore passée par là. Un peu moins d'un an plus tard, le 27 août, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire déclarait chez nos confrères de RTL: «Nous aimons les retraités, nous aimons tous les Français mais nous faisons des choix politiques, le choix de rétablir l'équilibre, le choix du travail».

​Après une augmentation de 30 euros le 1er avril 2018, le gouvernement a annoncé que l'Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), ex-minimum vieillesse, bénéficiera de deux hausses consécutives de 35 euros en 2019 et 2020 pour porter son montant total à 903 euros mensuels. Ce geste envers les individus qui ont peu ou pas cotisé n'est pas suffisant pour Pierre Erbs: «Quand vous êtes dans une situation d'urgence financière, 35 euros c'est à la fois beaucoup et peu de chose.»

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Autre signe que le système va mal: les retards pris parfois par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) dans le versement des pensions. En août 2017, la Caisse d'Ile-de-France avait accumulé un inquiétant nombre de paiements non effectués à échéance. Selon des chiffres communiqués à l'AFP par le ministère des Solidarités, 4.400 nouveaux retraités de la région devaient composer avec des retards de paiement au 31 juillet 2017. «Parfois, les retards atteignent plusieurs mois. Je me suis toujours demandée comment les retraités qui ne bénéficient pas d'économies font pour vivre durant ces périodes. C'est une véritable catastrophe», s'alarme Marie-Laure Dufrêche. Avant de s'interroger:

«Imaginez le cas d'une veuve qui vient de perdre son mari. Elle a droit à un pourcentage de sa retraite au titre de la réversion. Beaucoup de femmes touchent de très faibles retraites. Elles comptent sur cet argent pour vivre au moment du décès de leur époux. Si la somme met de mois à arriver, comment sont-elles supposer joindre les deux bouts? Et par-dessus-tout, elles se retrouvent face un mur. Personne ne vous répond au téléphone. Elles sont abandonnées. C'est une honte.»

Dans l'immédiat, Pierre Erbs souhaite que le gouvernement cesse ce qu'il considère comme une volonté de faire porter trop d'efforts pour l'assainissement des finances publics sur le dos de retraités:

«Ils ont déjà pris sur eux avec la hausse de la CSG. Ce gouvernement a clairement fait le choix du travail et tous les coups de pouces sont donnés aux salariés. Tout ce qui est fait concernant les retraités est systématiquement négatif. Cela devient insupportable.»

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Mais quelles sont donc les solutions à mettre en place à long terme pour concilier sauvegarde du régime et respect des objectifs budgétaires? Pour la déléguée générale de Sauvegarde retraites, c'est le système dans son intégralité qu'il faut réformer:

«Il faut tout remettre à plat et arrêter les mesurettes qui frappent les retraités de plein fouet. Il est nécessaire de supprimer les régimes spéciaux et d'aligner le régime des fonctionnaires sur le régime général. Déjà, en 1991, Michel Rocard, qui était Premier ministre, tirait la sonnette d'alarme et assurait qu'on était au bord d'une implosion du système. En 2018, on est totalement dans le rouge.

Marie-Laure Dufrêche propose notamment d'adjoindre une partie de retraite par capitalisation au régime par répartition comme c'est le cas dans de nombreux pays: «Je pense que si l'on avait réformé en profondeur le système en y ajoutant de la retraite par capitalisation il y a plusieurs années, nous n'en serions pas là aujourd'hui.»

Sans réforme majeure, elle ne voit pas la situation s'améliorer, bien au contraire:

«Le système par répartition ne peut qu'aller dans le mur. L'équation est simple: les actifs paient pour les retraités. Vous avez une baisse du taux d'activité et dans le même temps il y a de plus en plus de retraités. Sans parler du nombre d'enfants par foyer qui a tendance à baisser et des jeunes qui entrent sur le marché du travail de plus en plus tard du fait de la longueur de leurs études. Dans ce contexte, soyez certains que l'âge de départ à la retraire reculera davantage.»

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