Chicago, la ville où une personne se fait tirer dessus toutes les trois heures

CC0 / / Chicago
Chicago - Sputnik Afrique
S'abonner
Avec plus de 365 homicides depuis le début de l’année, Chicago ne parvient pas à endiguer la recrudescence de violence qui la frappe depuis plusieurs années. Pauvreté, gangs et trafics en tout genre gangrènent la troisième ville d’Amérique. L’universitaire et spécialiste des États-Unis Anne Deysine partage son analyse de la situation avec Sputnik.

Dans la nuit du 30 au 31 août, deux personnes ont été tuées et six blessées dans plusieurs fusillades dont Chicago a été, une nouvelle fois, le macabre théâtre.

Plus tôt en ce chaud mois d'été au bord du lac Michigan, c'est un véritable week-end mortel qui a choqué l'Amérique. Entre le vendredi 3 août à 18 h 00 et le dimanche 5 août à 23 h 59, pas moins de 66 personnes, dont un enfant de onze ans, ont été touchées par des tirs d'armes à feu dans la plus grande ville de l'Illinois. Douze sont mortes, d'après la police, dont deux adolescents de 17 ans. D'après CNN, en l'espace de trois petites heures, 30 individus ont été touchés par balle et deux tués dans dix fusillades qui ont eu lieu dans la seule nuit de samedi à dimanche. Fred Waller, chef de la police de Chicago déclarait alors:

«Nous savons que certaines de ces fusillades étaient préméditées et sont reliées aux conflits entre les gangs de ces secteurs.»

Ce Massacre de la Saint-Valentin des temps modernes a marqué d'une pierre rouge sang l'activité des gangs de la ville. Finis la prohibition, Al Capone et les pistolets-mitrailleurs Thomson. Depuis belle lurette, ce sont les gangs, à majorité composés d'Afro-américains et d'Hispaniques, qui sèment la terreur, pistolet automatique ou fusil d'assaut à la main. Entre le 1er janvier 2001 et le 6 septembre 2016, 7.916 personnes ont été victime d'un meurtre à Chicago. Durant la même période, 6.888 soldats américains sont morts en Afghanistan et en Irak…

Chicago compte aujourd'hui plus d'homicides que Los Angeles et New York, pourtant plus peuplées. D'après les chiffres du Washington Post, au moins 365 personnes avaient été tuées au 30 août. Selon le site HeyJackass.com, qui s'est fait une spécialité de compiler quotidiennement les statistiques sur la criminalité à Chicago, une personne est victime d'un tir par arme à feu toutes les 2 h et 49 minutes dans la ville.

«L'une des raisons est que la ville de Chicago, bien qu'ayant cherché à limiter le port d'armes, est entourée d'États à législation laxiste. Les armes circulent presque librement dans la ville», explique pour Spuntik France Anne Deysine, spécialiste des États-Unis.

Chicago skyline - Sputnik Afrique
Fusillades en série à Chicago, six morts
Le Kentucky par exemple, situé au sud-ouest de l'Illinois, illustre parfaitement ce propos. En janvier 2013, l'État a voté l'une des lois les plus libérales du pays en matière de port d'arme. En mai dernier, le Chicago Tribune racontait l'histoire de trois hommes inculpés pour trafic d'armes, dont certaines ont été reliées à trois homicides perpétrés à Chicago. Ils avaient fait venir les armes du Kentucky directement direction la Ville des Vents. NBC Chicago soulignait l'année dernière qu'environ 60% des armes saisies à Chicago provenaient d'autres États, dont 20% de l'Indiana.

La police locale a déjà saisi plus de 5.600 armes depuis le début de l'année. Faut-il aller vers plus de contrôle? Anne Deysine le pense, mais ne croit pas que ce soit ce vers quoi l'on se dirige:

«C'est un problème complexe à plusieurs dimensions. Renforcer les contrôles et interdire les armes de guerre serait une bonne idée, mais une loi a peu de chance de passer. De plus, la plupart de ces morts sont parmi les membres des gangs et parmi les minorités. Ce ne sont pas des personnes qui intéressent l'administration actuelle. Cela étant, la violence urbaine, les relations avec la police, la législation en matière de port d'armes sont des matières qui relèvent des Etats.»

Ce désintérêt dont ferait preuve les autorités pourrait se traduire par le très faible taux d'arrestation dont peuvent se targuer les forces de l'ordre de Chicago. D'après une analyse du Washington Post, la police locale n'a appréhendé des suspects que dans 27% des cas d'homicides depuis 2010, le ratio le plus faible des villes étudiées. D'après elle, les témoins qui pourraient les aider dans leur travail sont souvent issus des minorités. Ils ne souhaitent en général pas collaborer avec la police, notamment par peur d'être considérés comme des «balances».

Le révérend Marshall Hatch Sr. qui officie dans un quartier difficile de la ville a souligné à nos confrères du Washington Post le cercle vicieux que cette situation entraîne: «Ces communautés ont sombré dans une justice hors-la-loi où les gens se font justice eux-mêmes selon leurs propres codes, car la police ne le fera pas pour eux.»

«Il y a des dysfonctionnements dans la police de Chicago et l'administration Obama les avait encouragés à se réformer. Le département de la Justice de Trump est revenu sur ses incitations. En conséquence, il y a peu de coopération entre la population et la police», lance Anne Deysine.

Les officiels de la police de Chicago assurent cependant qu'ils s'attachent à améliorer ces relations. Et mettent en avant leurs efforts. «Nous faisons des investissements considérables», a insisté auprès du Washington Post Anthony Guglielmi, porte-parole de la police. Il assure que 300 inspecteurs de la criminelle seront embauchés d'ici la fin de l'année, portant ainsi leur total à plus de 1.200.

Si les chiffres ne restent pas bons à Chicago, la situation est tout de même meilleure ou «moins pire» que l'année dernière, ou en 2016, quand l'ancien fief de Barack Obama avait explosé les records avec 762 meurtres, ce qui représentait plus d'homicides que dans les villes de New York et Los Angeles réunies.

«Depuis le début de l'année en cours, les fusillades ont baissé de plus de 30% à Chicago et le nombre de meurtres s'est réduit de 25%. Plus de 5.500 armes illégalement détenues ont été confisquées dans les rues de la ville», déclarait récemment le chef de la police.

Est-ce que la conjoncture économique favorable aux États-Unis avec un taux de chômage qui est passé sous les 4% et une croissance de 4,1% en rythme annuel au deuxième trimestre pourra bénéficier aux plus démunis de Chicago, où le chômage dépasse de 6 points la moyenne nationale? Anne Deysine a peu d'espoir:

«La conjoncture économique est soi-disant favorable aux classes moyennes et aux plus défavorisés. Les chiffres de la croissance sont bons, mais les salaires n'augmentent pas et les emplois créés sont des emplois précaires.»

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала