La guerre de succession franco-allemande pour la tête de l’UE suspendue au vote populiste

© Sputnik . Alexey Vitvitskiy / Accéder à la base multimédiaLe siège de la Commission européenne
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Michel Barnier et Manfred Weber sont favoris à la succession de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Mais derrière ce duel franco-allemand, les pays du sud et de l’Est de l’UE se tiennent en embuscade. Patrick Martin-Genier, auteur de L’Europe a-t-elle un avenir? livre à Sputnik son analyse de cette guerre en coulisses.

La bataille des européennes a bel et bien commencé, mais pas forcément celle que l'on croit. Loin du terrain et de l'opposition qu'incarnent Emmanuel Macron et Matteo Salvini, chaque pays place ses pions pour remporter la bataille des institutions, autrement moins médiatique, mais tout aussi importante que les élections de mai 2019.

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Et, dans cette compétition pour les postes stratégiques, celui de président de la Commission figure tout en haut de la liste. D'après une source anonyme proche du gouvernement allemand et citée par l'AFP, il serait même devenu «la plus haute priorité pour Merkel». Euractiv a déclaré le 31 août que la chancelière allemande lui avait même «donné sa bénédiction pour représenter le PPE [Parti Populaire Européen, groupe parlementaire de centre-droit au parlement européen, ndlr]».

Une information qui devrait contrecarrer les desseins européens d'Emmanuel Macron. Le nom de Michel Barnier, négociateur en chef pour le Brexit et réputé proche de l'Élysée, circule en effet de manière récurrente dans les couloirs des institutions européennes depuis plusieurs mois. En décembre dernier, Libération estimait que le Français était «bien placé pour succéder à Jean-Claude Juncker» et en avril d'aucuns le voyaient même en favori. Ce qui est certain, c'est que son avenir dépend largement du succès de sa négociation avec le Royaume-Uni.

Pour comprendre les enjeux de cette bataille franco-allemande pour le contrôle des institutions, Sputnik a interrogé Patrick Martin-Genier, spécialiste des problématiques européennes, enseignant à Sciences Po Paris et auteur de L'Europe a-t-elle un avenir?.

Sputnik France: Le fait qu'un Français ou un Allemand mettent la main sur la Commission n'est-il pas dangereux, dans la mesure où ces deux pays sont déjà parmi les plus puissants et les plus influents de l'Union européenne?

Patrick Martin-Genier: Je ne vois pas les choses de cette façon. D'abord, on ne met pas la main sur la Commission européenne, on nomme un président. Il y a un collège et les décisions se prennent de façon collective. La question est de savoir quel sera le meilleur candidat pour un prochain mandat et l'influence de la France dans les institutions européennes a considérablement diminué ces dernières années.

Nous n'avons pas eu de postes influents au niveau de l'Union européenne depuis, en gros, Jacques Delors. Il y a bien longtemps que nous n'avons pas eu de présidence de la Commission, de présidence du Parlement européen ou de présidence du Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement. La position de la France s'est considérablement affaiblie.

Ce serait une bonne chose qu'un Français, qui représente un pays très important, puisse à nouveau être président de la Commission européenne, car la France a eu une perte d'influence depuis quelques années.

L'Allemagne n'est pas du tout dans ce cas, elle exerce de nombreuses responsabilités. Le secrétaire général de la Commission européenne est allemand, le président du groupe le plus important, Manfred Weber, qui est candidat à la succession de monsieur Juncker, est allemand, le secrétaire général du Parlement européen est allemand. Par conséquent, l'Allemagne a un rôle important et je crois en effet qu'il faut diversifier les postes. Il n'y a pas que l'Allemagne pour occuper d'autres postes, il y a aussi d'autres pays. Il ne faudrait pas qu'il y ait des négociations politiques internes en Allemagne pour propulser quelqu'un comme monsieur Weber […] qui représente la CSU bavaroise et qui suscite quelques problèmes.

En résumé, il serait bien de diversifier: la France, ce serait justifié, l'Allemagne aujourd'hui, compte tenu de son influence et de la perte de vitesse de madame Merkel au sein de son pays, je pense que ce ne serait pas forcément une bonne chose.

Sputnik France: Une candidature de Michel Barnier ou de Manfred Weber n'irait-elle pas à l'encontre des positions promues par le groupe de Višegrad et, si c'est le cas, est-ce voulu?

Patrick Martin-Genier: Il est vrai qu'Emmanuel Macron s'est érigé en «progressiste», en «opposant n° 1 aux populistes». C'est aussi vrai qu'aujourd'hui de nombreuses voix, parmi lesquelles le groupe de Višegrad, mais aussi l'Italie et d'autres pays sont devenus eurosceptiques. Il risque d'y avoir une bataille à ce niveau-là. Mais tout est loin d'être fait. Il faudra attendre les résultats des élections européennes, car s'il y avait une forte majorité populiste, le parlement serait en mesure de refuser un candidat proposé par les chefs d'État et de gouvernement.

Je rappellerais qu'il y a un processus. C'est le Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement qui doit proposer un candidat, il le fait à la majorité qualifiée, mais le candidat qui est pressenti doit obtenir la majorité du Parlement européen. Il risque d'y avoir des surprises. Ce n'est pas parce que l'on va autodéclarer deux candidats —Manfred Weber et Michel Barnier- que ces candidats sont certains d'être élus.

Il va d'abord falloir attendre les résultats des élections et quelles forces politiques seront en présence. Ensuite, il y a un rôle du Conseil européen, qui doit se mettre d'accord sur un nom. Il risque d'y avoir un certain nombre de difficultés d'ordre politique, notamment entre la France et l'Italie, pour savoir quel candidat présenter, mais aussi pour quoi faire dans les cinq années qui viennent.

Sputnik France: Quelles seraient les conséquences de la nomination d'un Allemand —ou d'un Français- sur les principales politiques de l'Union européenne et sur les grandes problématiques de l'Union comme la crise migratoire, les sanctions économiques, les accords commerciaux, etc.?

Patrick Martin-Genier: La France et l'Allemagne se rapprochent sur les grandes orientations politiques de l'Union européenne. Vous parliez des migrations, tout le monde est d'accord pour avoir une politique migratoire qui soit plus restrictive, avoir une vraie politique commune de l'asile dans l'Union européenne et mieux renforcer les frontières.

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Il est d'ailleurs prévu dans le cadre du prochain budget, de renforcer considérablement le budget lié aux migrations. Ce budget doit tripler et sur ce point, la France et l'Allemagne sont ensemble pour faire avancer l'UE et ils sont d'accord pour protéger les valeurs européennes.
Ce sont deux pays de consensus pour continuer l'intégration et la construction européenne, mais aussi pour mieux renforcer les frontières. La France et l'Allemagne sont également en discussion pour renforcer la gouvernance de l'union économique et monétaire. Ce sont deux candidats classiques pour la poursuite des politiques européennes, qui ne seraient pas remises en cause.

Sputnik France: En Espagne et en Grèce, on s'inquiète de voir un Allemand être nommé président de la Commission européenne. Que ce soit monsieur Weber ou monsieur Barnier, que cela changerait-il pour les pays du Sud de l'Europe?

Patrick Martin-Genier: L'Allemagne était à l'origine réticente à venir en aide aux pays du Sud de l'Europe, qui étaient en difficultés budgétaire et financière. Elle a une approche plus restrictive et considère que c'est à ces pays de mettre de l'ordre dans leurs finances publiques et que l'on n'a pas systématiquement à les aider. Je vous rappellerai que c'est grâce à un accord entre François Hollande et Angela Merkel que l'on a accepté d'aider la Grèce, mais le ministre de l'Économie était contre.
On peut légitimement s'inquiéter dans les pays du Sud de voir que l'Allemagne pourrait accéder à la Commission, être aux postes à responsabilité essentielle en Europe et donc penser que le principe de solidarité vis-à-vis du Sud de l'Europe pourrait être moindre. C'est vrai que Manfred Weber fait partie de cette famille politique, notamment de la CSU bavaroise qui rencontre des difficultés politiques et qui sont des personnes bien plus strictes sur la gestion des finances publiques.

On peut s'inquiéter de voir Manfred Weber arriver à la Commission européenne, mais il y a quand même des discussions au sein du Conseil et il faut relativiser le rôle d'une seule personne au sein de la Commission européenne.

Sputnik France: Ma dernière question concerne la nomination ou la non-nomination de Michel Barnier. Sa nomination serait-elle une réussite pour le projet européen d'Emmanuel Macron? Amènerait-il des inflexions? Et si monsieur Barnier venait à ne pas être élu, serait-ce au contraire un échec?

Patrick Martin-Genier: On ne peut pas dire qui sera élu ou pas, il va falloir attendre les résultats des élections européennes. Imaginez que l'on ait une majorité complètement hostile à l'intégration européenne, ça va être extrêmement difficile de proposer un candidat et notamment Michel Barnier.

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S'agissant de Michel Barnier, c'est quelqu'un qui a une grande expérience, qui est proche d'Emmanuel Macron sur le plan des idées, mais il est également proche du parti Les Républicains. Ce qui est certain, c'est qu'il serait important que la France puisse de nouveau avoir des responsabilités en Europe.

Il y a plus de 15 ans, avec Nicole Fontaine, que nous n'avons pas eu de président du Parlement européen, depuis Jacques Delors nous n'avons pas eu de président de la Commission européenne. Nous n'exerçons plus de responsabilités importantes en Europe et par conséquent ce serait un succès pour la France d'obtenir un poste. Maintenant, Michel Barnier a bien évidemment le profil, mais il n'est pas le seul, il y a d'autres personnalités qui pourraient accéder à la Commission européenne.

C'est important pour la France de réinvestir les institutions européennes. Naturellement, le fait d'avoir un président de la Commission serait un succès; le fait de ne pas l'avoir démontrerait une sorte d'affaiblissement de la France en Europe.

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