Bagarres, cyber-violence, viols… L’école française est-elle de plus en plus violente?

© AFP 2023 CHRISTOPHE SIMONBagarres, cyber-violence, viols… L’école française est-elle de plus en plus violente?
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Selon l’Unicef, 51% des élèves français âgés de13 à15 ans déclarent «avoir été victimes d’intimidation à l’école au moins une fois au cours des derniers mois». Le Parisien avançait en 2017 le chiffre de 442 incidents graves chaque jour de classe dans les collèges et lycées de France. Attention école en danger? Focus sur la situation.

«En France, 51% des élèves âgés de 13 à 15 ans déclarent avoir été victimes d'intimidation à l'école au moins une fois au cours des derniers mois et/ou avoir été impliqués dans une bagarre physique au moins une fois au cours des 12 derniers mois.» Les chiffres sont sans appel. Dans le cadre de sa campagne #ENDviolence, qui vise à mettre fin aux violences scolaires dans le monde, le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) a récemment publié un rapport intitulé «Une leçon quotidienne: mettre fin à la violence à l'école». Et d'après les calculs de l'agence onusienne, la France fait partie des mauvaises élèves.

En 2017, Le Parisien avançait le chiffre de 442 incidents graves au quotidien dans les collèges et lycées de France. Le journal de la capitale s'était basé sur les données de la Direction de l'évaluation de la prospective et de la performance (DEPP). Le chiffre fourni par la DEPP est le seul en provenance du ministère de l'Education nationale qui assure, selon le quotidien, qu'«il est impossible de fournir les données brutes» du nombre d'agressions.

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Il n'y a pas de statistique par établissement non plus, contrairement à ce qui se fait pour les examens scolaires. De son côté, l'Association de la Fondation étudiante pour la ville sortait en 2017 une étude qui indiquait qu'un collégien sur cinq avait déjà subi des violences physiques à l'école, et que 40% se plaignaient de moqueries et d'insultes. Des chiffres «probablement très en deçà de la réalité» pour Hélène Romano, psychologue spécialiste des violences en milieu scolaire qui était interrogé par nos confrères d'Europe 1.

Raymond Artis, président de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), refuse de noircir le tableau. Il s'est confié à Sputnik France:

«La violence à l'école a toujours existée. Le haut niveau de signalement tient peut-être au fait que depuis quelque temps, on se rapproche de la tolérance zéro, de même que les langues se délient beaucoup plus qu'avant. Si vous regardez ce que disent la plupart des spécialistes, vous vous apercevez qu'ils ont en réalité du mal à dire si la violence à l'école va croissant. C'est un phénomène qui reste à documenter. Ceci étant dit, il ne faut pas ralentir dans les efforts qui visent à y mettre fin.»

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En mars 2017, les experts scientifiques de la FCPE ont publié un rapport après s'être intéressés aux données de Pisa, une étude menée au niveau mondial afin d'évaluer les systèmes éducatifs nationaux. D'après leurs résultats, la France se classait parmi les pires pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) au niveau de la discipline en classe.

Des violences qui touchent (beaucoup) plus certains quartiers

Le tableau nuancé que dresse Raymond Artis semble contraster avec la mutliplication des initiatives mises en place par le gouvernement pour lutter contre la violence et le harcèlement à l'école. Des décisions qui semblent traduire une certaine inquiétude. Notamment la mise en place de la campagne 2017-2018 «Non au harcèlement», qui propose un numéro d'appel et une plateforme Web pour les victimes, témoins, parents et professionnels. En 2007 a été mise en place l'enquête Sivis pour «Système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire (SIVIS)». Il permet le recueil d'information sur la violence en milieu scolaire et permet au gouvernement «de disposer d'un outil de connaissance et d'observations utile pour le pilotage national et académique du système éducatif» selon le Conseil national de l'information statistique. Sans parler des nombreuses campagnes pour l'éducation civique ou sexuelle.

«Je ne dirais pas que l'école française est violente. La société en générale est de plus en plus violente et l'école subit malheureusement aussi plus de violences qu'auparavant», analyse pour Sputnik France Samuel Cywie, porte-parole de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public.

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Il dit être conscient de la gravité de la situation, mais nuance les résultats des différentes études:

«Il faut faire attention avec le terme "violence physique". Je n'ai aucune intention de minimiser les faits, mais on peut avoir des enfants un peu turbulents qui peuvent se bousculer, cela a toujours existé. Ceci étant dit, il est vrai qu'aujourd'hui, nous constatons des choses beaucoup plus graves qui se produisent.»

Comme le 19 mars quand une enseignante de l'école Jules Ferry de Colomiers a été molestée par plusieurs de ses élèves… de primaire. En début d'année, c'était une enseignante du collège Rosa-Parks situé dans les quartiers nord de Marseille qui avait été rouée de coups par une élève de classe de cinquième. La victime souhaitait confisquer le portable de l'agresseur qui ne l'a pas supporté.

«Certains établissements concentrent une grande partie des violences. Ils sont très majoritairement dans des quartiers qui sont eux-mêmes excessivement violents», constate Samuel Cywie.

Nos confrères du Parisien se sont rendus en septembre 2017 dans un lycée professionnel d'un quartier sensible de Seine-Saint-Denis. Les informations qu'ils ont recueillies témoignent d'une violence quotidienne. Outre les bagarres et les insultes, des vigiles s'assurent au quotidien que personne n'introduise d'arme à l'intérieur. Une situation qui paraît irréelle pour un établissement censé prodiguer savoir et connaissance et former à un futur métier. C'est dans ce même lycée que fin 2016, le proviseur et son adjointe avaient été violemment frappés par un élève de 15 ans au sujet d'un retard. La mise en place de vigils rappelle les discussions sur l'installation de portiques de sécurité à l'entrée des écoles et qui ont agité la classe politique à plusieurs reprises ces dernières années. L'intrusion d'un élève armé dans son lycée de Grasse en mars 2017 avait notamment relancé le débat.

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Pour Raymond Artis, c'est la fracture sociale qui est en grande partie responsable des violences:

«La marginalisation géographique, sociale, culturelle de certains élèves peut expliquer cette violence. La question est de savoir si notre système éducatif est capable aujourd'hui d'offrir au plus grand nombre un avenir. Nous offrons un modèle de société qui est mis en avant pour les jeunes, sans donner tout le temps la possibilité d'y accéder.»

Ces dernières années, plusieurs cas de parents d'élève qui agressent des instituteurs ont été rapportés. Le plus souvent dans des quartiers difficiles. Le 15 février, trois mères de famille ont tendu un guet-apens à une institutrice de l'école Saint-Jacques de Grasse, qui avait réprimandé la fille de l'un des agresseurs. Comme le rapporte Nice-Matin, l'enseignante a reçu insultes, gifles et menaces, alors qu'elle allait récupérer sa voiture dans un parking du quartier.

En tant que porte-parole d'une fédération de parents d'élève, Samuel Cywie se désole de cette situation:

«L'école ne peut fonctionner que si les parents ont confiance dans les équipes pédagogiques. Nous avons parfois en France des soucis de violence de parents envers les professeurs. C'est totalement inadmissible. En tant que parent, l'on se doit de respecter le corps enseignant comme ce dernier se doit de respecter les familles qui sont les premiers fournisseurs d'éducation. Le métier de professeur a malheureusement été largement dévalorisé dans notre société et pourtant c'est une fonction fondamentale.»

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Plusieurs associations d'enseignants ont été contactées par Sputnik France dans le cadre de la réalisation de cet article, mais au 11 septembre, aucune n'avait donné suite à nos sollicitations.

Un accès à la pornographie qui se fait parfois très jeune

Autre problème majeur souligné par les deux responsables de fédérations de parents d'élève: la démocratisation d'Internet, de ses réseaux sociaux et de la possession de smartphones par des élèves de plus en plus jeunes. Cet état de fait forme un problème à deux dimensions: celui du cyberharcèlement et celui de l'accès à la pornographie, parfois par de très jeunes enfants.
Pour ce qui est du harcèlement en ligne, Raymond Artis s'alarme de ce changement de paradigme qui frappe les établissements scolaires:

«Il y a un vrai impact des réseaux sociaux. Souvent, les violences à l'école sont suivies de violences en ligne. Auparavant, vous aviez des enfants qui pouvaient être pris pour cible en classe et dans la cour de récréation. Mais une fois chez eux, ils se trouvaient en position de pouvoir se déconnecter de cette violence. Avec les réseaux sociaux, cela ne s'arrête jamais. On peut très vite tomber dans du harcèlement 24 heures sur 24. C'est loin des petites brouilles en cour de récréation que l'on pouvait connaître il y a quelques années.»

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Catherine Verdier, psychologue et spécialiste des enfants, rappelait le 2 septembre sur Franceinfo qu'environ «un enfant sur dix» est victime de harcèlement scolaire, «12% en primaire, 10% au collège et 3 ou 4% au lycée». Elle définit le harcèlement comme une volonté de nuire par des actions répétées. «Au bout d'un moment, les faits, les actes, les paroles vont abîmer la victime qui va finir par perdre l'estime de soi, la confiance en soi», expliquait-elle à nos confrères.

Parfois, l'issue est dramatique. Le 17 avril 2017, le jeune Christopher, élève d'un collège breton, se donne la mort après avoir vécu un calvaire fait de moqueries en provenance de ses «camarades» et suivies d'insultes sur les réseaux sociaux. Un cauchemar qui ne faisait pas de pause.

La possession de smartphones, parfois à de très jeunes âges, et donnant un accès illimité à Internet inquiète de plus en plus. Car s'ils permettent de regarder les plus beaux buts de la Ligue des Champions, ils autorisent aussi la découverte de la pornographie.

Interrogé par nos confrères de RTL le 3 septembre, Gilles Langlois, directeur d'une école primaire du XIXe arrondissement de Paris s'est inquiété de cette initiation des jeunes enfants à la pornographie et de ses conséquences:

«On a beaucoup de tensions entre les filles et les garçons, plus qu'avant, et cela se développe dès le CM1/CM2.»

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La difficulté de parler de tels faits à un si jeune âge rend très compliquée l'appréhension de la réalité du phénomène. L'Express donnait la parole début 2017 à une mère de famille qui dénonce le viol de son enfant… en maternelle. Elle assure qu'en septembre 2015, trois garçons ont maintenu sa petite fille de 4 ans sur le sol de la cour de récréation avant qu'un quatrième ne vienne la violer avec un bâton.

«L'accès à la pornographie par des enfants de plus en plus jeunes est une problématique très grave. Ce n'est pas une situation à laquelle la seule France est confrontée, mais bien un phénomène mondial. S'ils veulent rentrer sur des sites pornographiques, il leur suffit d'affirmer qu'ils ont bien 18 ans pour y accéder.
Les logiciels que l'on peut mettre pour limiter l'accès à de tels sites dans les établissements scolaires ne sont pas efficaces et peuvent être assez facilement contournés. Pour nous, c'est un véritable fléau. J'espère que l'on va avoir des décisions qui seront prises. Cela serait criminel de ne rien faire pour protéger nos enfants», s'insurge Samuel Cywie.

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Un appel qu'aurait entendu Marlène Schiappa? Le 9 septembre, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes a fait une annonce chez nos confrères de Franceinfo concernant l'accès à ces sites pornographiques:

«Aujourd'hui, il n'y a pas de filtre, mais nous allons exiger de la part de celles et ceux qui mettent en ligne ces contenus qu'il y ait des filtres très importants»,

Avant de souligner à nouveau l'utilité des très polémiques «séances d'éducation à la sexualité» qui lui sont chères et qui, selon elle, permettront «de mettre en garde contre la pornographie» et de «répondre aux questions qui seront posées par les enfants».

Le 30 juillet, un texte portant sur «l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire» a été adopté au Parlement. Les mobiles sont interdits dans les écoles, les collèges et même certains lycées depuis la rentrée.

«L'interdiction du téléphone portable est positive. Vous aviez des jeunes qui s'amusaient à provoquer et filmer des bagarres pour les diffuser sur le net et faire le buzz. Après cela ne réglera pas tous les problèmes, mais sécurisera mieux les cours de récréation», se félicite Samuel Cywie.

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Raymond Artis est plus mesuré quant à l'efficacité de cette décision:

«Tout le monde est d'accord sur la nécessité de maîtriser les usages du téléphone portable à l'école. Je ne sais pas s'il fallait légiférer là-dessus, d'autant plus que les règlements intérieurs des établissements s'occupaient déjà de ce sujet.
Je ne suis pas sûr qu'interdire soit la meilleure des solutions, puisque de toute façon, nous assisterons à des difficultés dans la mise en œuvre de cette interdiction. Je crois avant tout en la prévention et en l'accompagnement des élèves, que ce soit au niveau de l'éducation sexuelle, civique ou de la prévention des dangers d'Internet.»

Il est vrai que le Code de l'éducation interdit les mobiles «durant toute activité d'enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur», et ce depuis la loi du 12 juillet 2010. Sans parler du fait que si des élèves parviennent à faire rentrer des armes dans les établissements scolaires, nul doute que beaucoup se feront un malin plaisir de contourner l'interdiction.
Pour Samuel Cywie, tout ce qui est fait va dans le bon sens, mais il rappelle l'importance primordiale des effectifs et des moyens afin d'améliorer la situation dans les écoles et d'endiguer la violence:

«Cela dépend du taux d'encadrement des classes et surtout du nombre de surveillants dans les écoles. Il faut plus de moyens.»

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