La France devient-elle un pays dangereux pour les femmes?

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Avec une augmentation de 22% en 2018, les signalements des violences faites aux femmes explosent en France. Il en va de même pour les violences sexuelles. Véritable poussée ou résultat d’une libération de la parole des victimes? Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes, s’est confiée à Sputnik France.

Dans la nuit du 12 au 13 septembre, Champigny-sur-Marne a été le théâtre macabre d'un meurtre sauvage. Estelle, 36 ans, a été poignardée à 14 reprises par son compagnon.

Cette dernière aurait mis «la télévision trop forte» comme le relate Le Parisien. Elle s'apprêtait à quitter cet homme violent, qui n'en était pas à son coup d'essai. La mère de famille est tombée devant deux enfants du couple.

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Cette terrible affaire est symptomatique d'un véritable problème de société. En 2016, 123 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire dans l'Hexagone. Une tous les trois jours. Et les chiffres présentés le 6 septembre par Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur, ne vont pas éclaircir le tableau. Les signalements concernant des violences faites aux femmes connaissent une augmentation de 22% cette année. Pour les agressions sexuelles, c'est encore pire avec une hausse de 23,1% par rapport aux sept premiers mois de l'année dernière. Sachant que 2017 avait déjà été une année de forte hausse, l'heure est à l'inquiétude.

«Cela veut dire sans doute que les violences intrafamiliales sont extrêmement fortes, et deuxièmement, que peut-être, la parole s'est libérée», déclarait Gérard Collomb pour expliquer ces mauvais chiffres.

Difficile de ne pas voir une référence au mouvement #MeToo («moi aussi», ndlr) dans cette libération de la parole que mentionne le locataire de la Place Beauvau. Né outre-Atlantique en 2007, il a connu son heure de gloire suite aux accusations d'agressions sexuelles lancées par plusieurs actrices contre le célèbre producteur Harvey Weinstein fin 2017. La campagne a essaimé partout dans le monde et l'Hexagone n'y a pas échappé avec sa version francophone #BalanceTonPorc

​De nombreuses femmes ont choisi les réseaux sociaux comme terrain de dénonciation des violences dont elles ont fait l'objet.

«Je pense que ces chiffres sont le résultat de la mobilisation, qui pousse les femmes à parler beaucoup plus. Elles s'organisent pour tirer profit du fait que la France offre un système qui permet les dépôts de plainte et la pénalisation d'actes de violences contre les femmes», explique à Sputnik France Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF).

Car le silence a longtemps régné. La majorité des agresseurs sont des proches des victimes. L'enquête «Cadre de vie et sécurité» réalisée entre 2012-2017 soulignait qu'«en moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d'une année sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles commises par leur ancien ou actuel partenaire intime, est estimé à 225.000 femmes». Parmi elles, seules 19% portent plainte.

© PhotoInfographie part de femmes dans les victimes de violences conjugales
Infographie part de femmes dans les victimes de violences conjugales - Sputnik Afrique
Infographie part de femmes dans les victimes de violences conjugales

Pour ce qui est des violences sexuelles, la situation est comparable:

«En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d'une année sont victimes de viols et de tentatives de viol est estimé à 84.000 femmes», toujours selon la même enquête. Dans 45% des cas, l'auteur des faits est le conjoint ou l'ex-conjoint et dans 46% des affaires, il est connu de la victime, qui ne porte plainte que dans 9% des cas.

Dernière affaire en date: le viol collectif présumé d'une jeune femme à la sortie d'une boîte d'une nuit toulousaine. Les agresseurs ont filmé leurs actes et la vidéo s'est retrouvée sur les réseaux sociaux, ce qui a eu pour effet le déclenchement par la police nationale du dispositif Pharos (Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements).

​Une autre enquête intitulée «Violences et rapports de genre» menée par l'INED et publiée en 2016 mesurait le nombre de personnes ayant été victimes de violences sexuelles (viols, tentatives de viol, attouchements du sexe, des seins ou des fesses, baisers imposés par la force, pelotage) au cours de leur vie. Les résultats font froid dans le dos: 14,5% des femmes et 3,9% des hommes âgés de 20 à 69 ans sont concernés.

Infographie les Français par rapport au viol
Infographie les Français par rapport au viol - Sputnik Afrique
Infographie les Français par rapport au viol

De nombreuses victimes assurent également ne pas être prises au sérieux par les forces de l'ordre au moment des dépôts de plainte. Certaines assurent même avoir été culpabilisées.

​Le Groupe F, organisation féministe, avait en février 2018 relayé les témoignages de plusieurs victimes qui se plaignaient du traitement des policiers au moment où elles souhaitaient déposer plainte pour signaler une agression sexuelle.

«Il peut y avoir des situations compliquées au niveau des commissariats et des services de gendarmerie, mais il ne faut pas généraliser. Il y a des enregistrements de plainte qui se font très bien avec des référents, des brigades intrafamiliales qui mènent leurs enquêtes et obtiennent des résultats. C'est avant tout une question de moyens, de disponibilité et de formation», nuance Françoise Brié.

Le ministère de l'Intérieur a d'ailleurs annoncé la création au mois d'octobre d'une «plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes». Elle aura notamment pour but de faciliter le dépôt de plainte en évitant de se rendre dans un commissariat. Françoise Brié pense que cette décision va dans la bonne direction «si elle se coordonne avec d'autres dispositifs».

«Maintenant que les femmes osent parler, il faut des moyens pour que la police puisse traiter ces cas et pour que la justice puisse gérer au mieux les procédures judiciaires», ajoute-t-elle.

Elle demande surtout qu'on lutte contre les «stéréotypes sexistes» qu'elle rend responsables de créer une atmosphère propice aux actes de violences contre les femmes:

«Je rappelle que lors de la convention d'Istanbul sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique et qui a été menée sous l'égide du Conseil de l'Europe, il a été souligné que ces violences s'exprimaient dans un contexte d'inégalité entre les femmes et les hommes. Ces violences sont basées sur le genre. Ce sont ce que l'on appelle en France des violences sexistes.»

Cela tombe bien, cette rentrée rime avec le lancement d'une campagne de sensibilisation dans les espaces publics contre les violences faites aux femmes. De plus, cet automne devrait voir les premières verbalisations pour harcèlements de rue et insultes sexistes si chères à la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Cette dernière s'exprimait récemment chez nos confrères du Parisien et jugeait nécessaire de «poser un interdit social et de l'accompagner de pédagogie».

Cela sera-t-il suffisant? Nos précédentes enquêtes sur la violence en France, que ce soit les attaques au couteau, les agressions dans le cadre scolaire, hospitalier, de policiers ou de pompiers laisse deviner que ces agressions dont les femmes sont victimes s'inscrivent dans un contexte de hausse générale de la violence en France. Pas sûr que les interdits sociaux et la pédagogie de Mme Schiappa suffisent à enrayer le phénomène.

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