Moscou et Ankara s’entendent sur Idlib, l’Occident en PLS

© AFP 2023 Omar haj kadourLa ville syrienne d'Idlib
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Nouvelle victoire pour Poutine en Syrie. Moscou et Ankara ont annoncé avoir trouvé un accord pour résoudre la crise d’Idlib. Si la bataille est annoncée depuis de nombreuses semaines, Damas et son allié russe ne pouvaient prendre le risque d’affronter directement des factions soutenues par Erdogan. Analyse d’un succès stratégique et diplomatique.

La bataille d'Idlib n'aura-t-elle donc pas lieu? L'offensive générale, du moins, pas tout de suite.
En effet, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan ont annoncé à la suite d'une réunion à Sotchi ce 17 septembre qu'une «zone de démilitarisation» allait être créée tout autour de la région d'Idlib. Cette zone tampon, qui devra être mise en place avant le 15 octobre, est large de 15 à 20 km. Elle séparera les armées gouvernementales de Damas des factions rebelles soutenues par l'armée turque et des groupes djihadistes d'Hayat Tahir el-Sham (HTS), dont fait partie l'ex branche d'Al-Qaeda en Syrie.

​Cet accord est incontestablement une victoire stratégique et diplomatique russe et un nouveau revers pour les pays occidentaux, qui, pour le moment, n'ont pas réagi, ou de manière faible. Alors que très concrètement, cet accord russo-turc permet d'éviter un bain de sang. 

En effet, alors que l'armée de Bachar El-Assad n'a cessé de se renforcer à la «frontière d'Idlib» et que les avions de Poutine avaient commencé à bombarder les territoires sud de la région, cette décision multilatérale rend pour le moment caduque la perspective d'une bataille à Idlib, zone comprenant plus de deux millions d'habitants.

Est-ce donc une victoire pour Washington et Paris? L'Occident avait en effet largement mis en garde contre «le pire drame humanitaire» du monde. Il n'aura pas lieu. Pourtant, la raison n'est pas à trouver du côté des avertissements sans retenue des chancelleries «des droits de l'homme», mais dans la mise en place de la stratégie russe. Vladimir Poutine n'est pas un va-t'en guerre assoiffé de sang: il sait que son intérêt est dans la stabilisation et la paix en Syrie. Au-delà donc de restaurer l'image de la Russie en jouant la carte de l'apaisement, Moscou évite aussi les possibles «attaques chimiques» et donc des «représailles» occidentales qui n'auraient pu qu'envenimer le conflit syrien.

Sur le terrain, de plus, cet accord permet à la police russe, conjointement avec les forces turques, de contrôler une nouvelle zone ennemie en Syrie et donc de reprendre davantage de territoire. En effet, comme ce fut le cas dans la région du Golan en août dernier, des postes d'observation seront créé dans cette zone démilitarisée, assurant la paix sur ce territoire. L'objectif est, comme à proximité du Golan, qu'une fois le calme restauré, ces postes russes passent sous pavillon syrien.

Au-delà de l'instauration de cette zone tampon, le Président russe a précisé que l'accord prévoyait également le «retrait des militants radicaux, comme le Front Al-Nosra [ex Al-Qaeda qui compose HTS, ndlr]». Ce «retrait des militants radicaux» annonce tout de même de probables combats entre l'alliance russo-turque et les djihadistes. Si les factions soutenues par Ankara, et qui sont majoritaires dans cette zone tampon, ne devraient pas opposer de réelle résistance, HTS contrôle quelques enclaves. Et ces affrontements, bien que pour le moment réduits, devraient entraîner la perte de civils.

Le gouvernement de Damas et celui de Téhéran ont tous deux applaudi ces décisions de Sotchi. Selon l'agence officielle SANA, citant une source du ministère syrien des Affaires étrangères, Damas — qui selon Poutine aurait donné son accord — accueille favorablement cette initiative qui permet d'éviter l'effusion de sang des Syriens. Pour sa part, Téhéran, après le semi-échec du 7 septembre dernier, a salué cette victoire diplomatique qui évite la guerre à Idlib et l'engagement ferme de Poutine et Erdogan à lutter contre la terreur extrémiste.

​Cet accord de Sotchi est aussi une victoire pour Vladimir Poutine parce qu'il solidifie ses relations avec Erdogan, tout en satisfaisant la partie turque. Quelques rappels pour comprendre le contexte général. 

En novembre 2015, l'armée turque abat un avion russe. En juin 2016, Erdogan s'excuse auprès de Poutine. En septembre 2017, à Astana, l'Iran, la Turquie et la Russie, se mettent d'accord pour qu'Idlib soit considérée comme une zone de désescalade alors qu'elle est majoritairement contrôlée par des rebelles, des djihadistes et des terroristes. Après tout juste un an donc, une partie de cette région devrait être démilitarisée conjointement par Moscou et Ankara. Et c'est bien la Turquie qui, après avoir subi un échec dans ses pourparlers avec HTS, va devoir régler le problème de ces «militants radicaux» les plus durs.

Si le groupe d'Astana a toujours plaidé pour la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Syrie, la Turquie a toujours considéré la région syrienne jouxtant sa frontière sud comme devant faire partie de sa zone d'influence. Le Président turc, à Téhéran le 7 septembre dernier avait même rappelé que son armée resterait sur le territoire syrien. Si l'une des raisons de cette politique serait l'affaiblissement de celui qui fut ou est encore son ennemi, Bachar El-Assad, Erdogan veut surtout contrôler ce territoire pour contrer les Kurdes syriens, qu'il considère comme des terroristes. Donc, si cette présence turque est un problème immédiat pour la souveraineté de la Syrie et pour la reprise d'Idlib, elle est aussi une solution face aux Kurdes syriens, alliés des États-Unis.

En effet, si l'actualité se concentre chaque jour sur Damas, la Ghouta, Deraa puis maintenant Idlib, rappelons que la quasi-totalité du territoire situé à l'est de l'Euphrate est contrôlé par les forces américaines et sans doute même françaises. La raison officielle? Détruire les dernières poches de l'État islamique.

Mais officieusement, cette présence occidentale empêchera le boucher Bachar El-Assad et le grand concurrent russe de gagner la paix en Syrie. Cette paix, qui est annoncée depuis que Damas a gagné la guerre, selon les déclarations mêmes du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, est devenue un leitmotiv pour Moscou. En effet, depuis la prise de Deraa en juillet dernier, Vladimir Poutine appelle tous ses partenaires à financer la reconstruction de la Syrie dévastée par sept années de guerre. Et comment se faire entendre si Idlib devient un massacre comme ceux d'Alep, de Raqqa ou de Mossoul? Comment, faire accepter ce message, notamment aux Européens, si une nouvelle catastrophe humanitaire survient à Idlib?

Le drame est donc évité pour le moment. Si cet accord est une véritable victoire, il reste faible et inclut moins d'un quart de la région d'Idlib. Mais il porte à l'optimisme, puisque les autorités russes ont annoncé vouloir rétablir les liaisons routières entre Alep, Hama et Lattaquié avant la fin de l'année 2018.
Pour le moment, les diplomates ou dirigeants occidentaux regardent ailleurs. Emmanuel Macron va-t-il saluer «cette décision multilatérale, cette solution inclusive»? Donald Trump va-t-il applaudir en tweetant «What a great job guys!»? Après de grands discours menaçants, quelques encouragements officiels?

Quoi qu'il en soit, l'Occident semble pour le moment en PLS face à l'entente entre Poutine et Erdogan. Qui, au-delà de l'accord sur Idlib, ont échangé de nombreuses heures pour développer leurs partenariats énergétiques, ajoutant un nouveau succès pour ces deux pays.

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