«Ce n’est pas sur l’autel des économies que l’on doit sacrifier la vie d’un flic»

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«Ce n’est pas sur l’autel des économies que l’on doit sacrifier la vie d’un flic» - Sputnik Afrique
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Des centaines de policiers ont manifesté à Paris le 25 septembre à l’appel du syndicat Unité-SGP Police. Place du Palais-Royal, les gardiens la paix ont souhaité alerter sur les conditions de travail trop difficiles, qui poussent de plus en plus de policiers au suicide. Ils en appellent au gouvernement. Notre envoyée spéciale était sur place.

«Quand un collègue va mal, la seule chose que son chef de service fait, c'est de le désarmer. Et derrière, c'est "démerde-toi".»

Rocco Contento, secrétaire départemental du syndicat Unité-SGP Police à Paris est en colère. Avec des centaines de ses collègues, il a investi la place du Palais-Royal le 25 septembre pour alerter sur le mal-être grandissant qui frappe, selon lui, la police. Horaires impossibles, insécurité, management «dictatorial», «hiérarchie déconnectée des réalités du terrain», les griefs sont nombreux.

«Nous n'avons peu ou pas de réponses de notre ministère de tutelle. Nous n'avons que des réponses conjoncturelles. À chaque fois, on nous sort un audit et quelques psychologues. Mais on ne traite que les conséquences.

Nous avons fait un sondage fin 2017 auprès des policiers de la région parisienne afin de connaître leurs doléances et leurs désirs au niveau professionnel. Ils ne demandaient pas forcément un avantage pécuniaire, mais surtout de la reconnaissance sociale. 11.000 collègues avaient répondu. Cela nous donne une certaine légitimité pour en parler», a expliqué à Sputnik France Eddy Sid, porte-parole du syndicat.

Il demande plusieurs mesures qui vont d'un réaménagement des horaires à plus de place de crèches pour les gardiens de la paix:

«Il faut mettre en place un nouveau cycle de travail. En région parisienne, mes collègues ont un week-end sur six de repos. Nous souhaitons passer à un week-end sur deux, ce qui permettrait de resocialiser les policiers et de minorer les troubles.
Deuxièmement, nous demandons une véritable politique du logement. Il y a un logement pour dix fonctionnaires aujourd'hui et une fois sur deux ce logement est situé dans une cité sensible. Un policier ne peut pas se permettre de vivre là où il est une cible.
Enfin, il faut mettre en place une politique au niveau des crèches. Aujourd'hui, il n'en existe aucune au niveau régional. J'ai des collègues qui tous les mois donnent des fortunes pour pouvoir faire garder leurs enfants. Des systèmes doivent être mis en place pour s'adapter à nos horaires atypiques.»

«Dans toutes les directions départementales où l'on a mis en place ce cycle de travail [un week-end sur deux de repos, ndlr], nous avons constaté une baisse des congés maladie, une meilleure ambiance et moins de crispations et de clivages entre les différents rangs de la hiérarchie. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les directeurs territoriaux qui l'écrivent au ministère de l'Intérieur», affirme Yves Lefebvre, secrétaire général du syndicat d'Unité-SGP Police.

La question des salaires est également dans la balance. Yves Lefebvre demande à ce que les fonctionnaires de police soient mieux rémunérés compte tenu des risques qu'ils prennent afin d'assurer la sécurité des Français:

«Est-ce qu'il est normal aujourd'hui qu'un flic rentre dans des quartiers comme Aulnay-sous-Bois, aux Tarterêts, à Mantes-la-Jolie pour moins de 2.000 euros par mois, en ayant qu'un week-end toutes les six semaines de repos? Non ce n'est pas normal. Le problème est là. Il faut tout remettre à plat dans cette police. Il faut avoir le courage de dire que ce n'est pas sur l'autel des restrictions et des économies budgétaires que l'on doit sacrifier la vie d'un flic. Elle vaut bien plus cher que cela, même si comptablement elle vaut parfois moins de 2.000 euros par mois.»

Le mal-être serait si grand au sein des forces de l'ordre qu'il pousserait de nombreux gardiens de la paix à mettre fin à leurs jours. «51 suicides en 2017 et déjà 24 cette année» selon Yves Lefebvre. Afin de faire réagir, une dizaine de policiers arborant des masques blancs marqués d'une larme rouge et brassard de police au bras ont mis en scène les suicides qui frappent la police dans une chorégraphie macabre. Sur un air de piano, ils sont tombés les uns après les autres et ont brandi des pancartes où était inscrit «Plus jamais ça» et «Reconnaissance sociale, un enjeu vital».

«Nous avons un ministère de l'Intérieur et des autorités qui prennent des mesurettes. Vous pouvez mettre un psychologue derrière chaque policier qui a un mal-être profond, ce n'est pas cela qui va résorber son mal-être endémique. Nous demandons à ce que l'on s'attaque réellement aux causes du mal-être policier», lance Rocco Contento.

Parmi les causes de ce mal-être, on trouve, d'après les policiers interrogés, les relations avec la hiérarchie. Les décisionnaires seraient trop éloignés de la réalité du terrain, selon Rocco Contento, qui parle de pratiques managériales parfois «dictatoriales»:

«Il faut recentrer les missions de la police nationale vers son cœur de métier. On demande à des équipes de la BAC (brigade anticriminalité) de nuit d'aller faire des contrôles radar et c'est "si vous ne faites pas un contrôle radar par jour je vous sanctionne". La BAC est là pour lutter contre la criminalité, pas pour faire des contrôles radar. J'encourage les décisionnaires à moins rester dans leurs bureaux et à descendre sur le terrain.»

Yves Lefebvre souhaite que les chefs au sein de la police soient mieux formés au métier de policier et qu'ils connaissent mieux la réalité du quotidien des gardiens de la paix:

«Nous avons demandé à ce que soit mise en place une académie de la police. Aujourd'hui, nous avons des chefs de service qui pour la grande majorité d'entre eux, dont des commissaires, ne connaissent pas le métier de gardien de la paix. L'idée semblait avoir été reprise par le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, mais nous n'en parlons plus depuis le mois de juin. On aurait eu une période que je qualifierais d'initiation au métier de policier qui aurait été commune aux gardiens de la paix, aux officiers et aux commissaires. Au moins, les responsables dans la hiérarchie appréhenderaient mieux notre quotidien.»

La politique du chiffre serait toujours une réalité et mettrait les policiers sous pression, d'après Rocco Contento, qui juge ce facteur comme aggravant le mal-être de nombreux membres des forces de l'ordre: «On demande toujours plus d'interpellations, de gardés à vue. Le seul indicateur qui est pris en compte par nos autorités, ce sont les statistiques. Travailler à Paris, en Ile-de-France, en Seine-Saint-Denis, c'est très dur, c'est déjà générateur de stress.» «J'ai des collègues qui sont en burn-out. Certains ont pensé au suicide. On s'acharne sur eux, on ne parle que chiffres et résultats», s'indigne pour sa part Eddy Sid.

«Tant que nous n'aurons pas traité le cœur du problème, qui se situe dans le management et la désocialisation du policier qui est liée à ce management, que nous n'aurons pas mis un terme à cette politique du chiffre qui pourrit la police nationale et que la justice ne condamnera pas de manière très ferme ceux qui s'attaquent à des policiers, nous n'avancerons pas», prévient Yves Lefebvre.

Les policiers demandent donc plus de moyens et moins de pression au gouvernement. Pour le moment, les réponses apportées ne satisfont pas Yves Lefebvre s'insurge: «Gérard Collomb nous a présenté un projet au mois de mai que j'ai qualifié de pansement sur une jambe de bois.» «On manifestera tant que nous n'aurons rien obtenu. Nous avons un devoir par rapport à nos collègues qui est de bouger et de faire bouger les choses», avertit pour sa part Eddy Sid.

Les gardiens de la paix veulent également plus de reconnaissance sociale de leur métier. Yves Lefebvre appelle à cesser de déverser des «seaux de fiel» sur les policiers et s'en prend avec virulence à l'écrivain Yann Moix.

«Cet individu, j'attends qu'il soit interdit d'antenne. Gérard Collomb a prévu de déposer plainte contre lui et j'espère qu'il ira au bout.»

Ce dernier a déclenché une vive polémique le 22 septembre sur le plateau de «Salut les terriens», l'émission animée par Thierry Ardisson sur C8. Il avait lancé à des policiers présents dans l'émission: «La peur au ventre, vous n'avez pas les couilles d'aller dans des endroits dangereux.» Et les excuses prononcées depuis par le chroniqueur n'ont pas été acceptées par le syndicaliste:

«On ne peut plus assurer la sécurité de nos concitoyens au quotidien avec l'état d'esprit qui est le nôtre», alerte Yves Lefebvre, qui insiste sur l'extrême urgence de la situation. 

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