Sanctions contre l’Iran: pourquoi la révolte européenne inquiète tant les États-Unis?

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Avec l’annonce d’un système censé permettre de contourner les sanctions américaines en Iran, l’UE a lancé un véritable défi à Washington, laissant entendre qu’elle cherchait à défendre ses intérêts. Quel pourrait être l’impact de cette révolte et comment Trump pourrait-il riposter si les Européens ne sont finalement pas aussi sages que prévu?

Bruxelles mettra en place une entité légale pour permettre à l'Iran et à ses partenaires commerciaux de contourner les sanctions américaines. Sortie lundi dernier de la bouche de Federica Mogherini, la porte-parole de la diplomatie européenne, cette déclaration a sonné comme un pied de nez à Washington. Sa première réaction fut réservée: alors que le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a exprimé sa «profonde déception», Donald Trump, sceptique, s'est dit convaincu que les Européens se comporteraient «bien», malgré leur projet. Or, plusieurs éléments portent à croire que l'attitude adoptée par Bruxelles inquiète Washington, car les Européens pourraient bien ne pas être si sages…

Partenariat transatlantique mis à l'épreuve

«L'enjeu va bien au-delà de l'Iran», nous explique Andreï Souzdaltsev, vice-doyen de la faculté de l'Économie et de la Politique mondiales au sein de la Haute école d'Économie de Moscou. «Nous sommes à un pas d'une situation où une puissance globale insiste sur les sanctions, que ces dernières entrent en vigueur, sont formellement soutenues par ses alliés… Et qu'elles ne fonctionnent pas, sont réduites à zéro», poursuit-il.

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L'Iran a toujours été une épine dans le pied de Donald Trump, le Président américain cherchant désespérément des alliés en Europe pour contraindre Téhéran à venir négocier avec lui un vaste traité. Ce document hypothétique empêcherait non seulement la République islamique de fabriquer la bombe atomique, mais lui interdirait aussi toute construction de missiles balistiques et mettrait fin à son comportement «déstabilisateur» au Moyen-Orient.

Cette semaine, le Président américain a profité de sa tribune à l'Onu pour essayer à nouveau de trouver l'appui de la communauté internationale. En vain. Paris et Londres, ainsi que Berlin et toute l'Union européenne, sont resté inébranlables, n'ayant en effet jamais soutenu la rhétorique américaine sur l'Iran ni accepté le retrait de Washington de l'accord de 2015. Même chose du côté de Moscou et de Pékin, les deux autres signataires du document. Pire, le groupe des six a fait savoir son intention de faire front.

«Le bras de fer sur l'Iran est une pierre de touche, une mise à l'épreuve du partenariat transatlantique», estime de son côté Konstantin Voronov, expert en politique européenne et vice-directeur de la section des problèmes régionaux et des conflits au sein de l'Institut de l'économie mondiale et des relations internationales, basé à Moscou (IMEMO). Le politologue estime que la conduite adoptée par l'UE sur le dossier iranien sera une sorte de «papier de tournesol» pour tester la capacité de l'Europe à protéger la souveraineté de sa politique économique.

Un modèle anti-sanctions passe-partout

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À la ruée européenne vers la souveraineté s'ajoute un autre problème pour Washington. Annonçant son mécanisme destiné à protéger les entreprises devant le bâton des sanctions américaines, Bruxelles a expliqué qu'il envisageait de créer un «véhicule spécial» (Special purpose vehicle — SPV), qui fonctionnerait comme une bourse d'échanges, pour permettre à l'Iran de continuer à vendre du pétrole. L'argent pour le pétrole importé par l'Europe sera versé au SPV que l'Iran pourrait utilisé pour payer les marchandises vendues par les Européens.

Certes, plusieurs zones d'ombres demeurent encore autour de ce système, mais une question s'impose dès lors: si le mécanisme s'avère efficace avec l'Iran, qu'est-ce qui empêchera de l'appliquer aux autres pays tombés en disgrâce de l'Oncle Sam et frappés également par ses restrictions? Au grand dam des États-Unis, le précédent sera créé.

«Si ce mécanisme est trouvé, il serait possible de l'utiliser non seulement pour les sanctions contre l'Iran, mais aussi pour les sanctions contre la Russie, qui sont plus sensibles pour l'Europe, car la Russie est davantage intégrée dans l'économie globale», estime M.Vorovov, ajoutant que le volume des échanges entre l'UE et la Russie dépasse de plusieurs fois celui entre l'UE et l'Iran.

«Il pourrait également servir d'accélérateur pour unir l'Europe afin de protéger ses intérêts en Iran aussi bien qu'en Russie, en Chine ou n'importe qui porté par les États-Unis dans leur liste noire de sanctions», poursuit l'expert.

Et si l'Europe osait violer les commandements de Trump?

«Quiconque faisant des affaires avec l'Iran ne fera PAS d'affaires avec les États-Unis», «Ce sont les sanctions les plus dures jamais imposées et en novembre elles augmenteront encore à un autre niveau»… Après la première salve de sanctions rétablies par Washington contre l'Iran, qui est entrée en vigueur début août, Donald Trump n'a pas lésiné sur les menaces, dont l'effet ne s'est pas fait attendre. Les groupes européens se sont pliés un par un à sa volonté, abandonnant leurs projets en Iran. Total, Airbus, ATR, Peugeot, BNP Paribas, etc… C'est alors que Bruxelles a voulu montrer les dents pour protéger au moins les PME opérant dans la République islamique, qui ont lancé un appel d'aide.

«Le volume des échanges entre l'UE et l'Iran a été évalué l'année dernière à 20 milliards d'euros, ce qui n'est pas exorbitant, mais il y a avait là d'importants projets impliquant des sociétés européennes, et surtout françaises», explique Konstantin Voronov.

Mais si les menaces de Donald Trump ont eu leurs effets sur les multinationales, seront-elles capables d'atteindre les pays de l'UE en cas de rébellion?

«Washington ne fera rien contre les Européens», estime Andreï Souzdaltsev. Il rappelle dans ce contexte le passe d'armes entre Donald Trump et l'UE sur le projet gazier russe Nord Stream 2. «Il y avait tant de polémique, les sociétés des 10 pays de l'Europe, qui avaient formé un consortium pour construire le gazoduc, ont été menacées de sanctions. Et ces sanctions n'ont pas été introduites, car ce sont des sociétés européennes. C'est donc l'Europe qui luttera pour les défendre», poursuit-il. Et d'ajouter: «La semaine dernier, Trump a fini par dire que les sanctions en lien avec Nord Stream 2 ne seront pas mises en application. Cette rhétorique n'est donc rien d'autre que des menaces».

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Konstantin Voronov, lui, reste plus réservé dans ses pronostics, expliquant qu'on ignore encore la puissance du nouveau volet de sanctions américaines, qui sera affectée par les résultats des élections au Congrès, la situation géopolitique et les prix du pétrole.

Que le système du troc avec l'Iran s'avère efficace ou qu'il échoue, avec son annonce, Bruxelles envoi à Washington un message bien clair pour exprimer sa révolte et son opposition à sa politique agressive.

«La question est de savoir si l'Europe se trouve la force de faire face aux États-Unis, tant au niveau institutionnel qu'au niveau géopolitique et stratégique», conclut M.Voronov.

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