Le coût du silence en otage: témoignage d’une ex-prisonnière de radicaux en Syrie

© Sputnik . Andreï Stenine / Accéder à la base multimédiaFemme syrienne, image d'illustration
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Enlevée à Douma, en Syrie, cette employée d'une mission humanitaire a eu besoin de plusieurs années pour s'en remettre. Les ravisseurs, apparemment membres de Jaych al-Islam, étaient pour la plupart des étrangers, dont des Français, qui «prenaient des décisions». Interrogatoire, tortures, peur et sa vie d'après dans un entretien accordé à Sputnik.

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S. travaillait pour une ONG chargée de livrer l'aide humanitaire en Syrie. Chemin qui l'a menée dans les griffes d'extrémistes. Ses kidnappeurs «s'appelaient à ce moment-là l'Armée libre, puis ont été rebaptisés en soi-disant Jaych al-Islam. Ça a été la première étape de leur création et financement», se rappelle-t-elle.

«J'ai été enlevée à Douma, dans la Ghouta orientale. Fin 2012-début 2013, on nous a échangés contre des détenus de prisons syriennes. J'ai été emprisonnée pendant quatre jours, puis on nous a échangés. Mais ces quatre jours ont été très durs, je ne pourrai jamais les oublier», raconte S. à Sputnik.

Alors qu'il y avait parmi eux presqu'une moitié de Syriens, ils n'assumaient pas une grande responsabilité. La plupart d'entre eux étaient étrangers, essentiellement les chefs, et «ils prenaient les décisions».

«C'étaient des terroristes venant de l'étranger: de Jordanie, de Tchétchénie, de Tunisie, ainsi que beaucoup d'autres ressortissants européens et arabes, il y avait également des Français. De vrais Français, dont certains ne parlaient même pas l'arabe», a précisé S.

© Sputnik . Mikhail Voskresenskiy / Accéder à la base multimédiaЗдания, разрушенные в результате боевых действий в пригороде Дамаска Восточная Гута.
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Здания, разрушенные в результате боевых действий в пригороде Дамаска Восточная Гута.
© Sputnik . Ekaterina YansonВосточная Гута, октябрь 2018
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Восточная Гута, октябрь 2018
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Здания, разрушенные в результате боевых действий в пригороде Дамаска Восточная Гута.
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Восточная Гута, октябрь 2018

Répondant à une question sur l'apparence de ses ravisseurs, elle les a décrits comme «portant une barbe, mais sans moustache» (un signe qui peut être caractéristique d'un possible radical, ndlr). Il était difficile de saisir une quelconque information sur eux, puisqu'ils s'appelaient même entre eux par leurs noms de guerre.

Jour un. Les ravisseurs les ont enlevés sur la place Hamadani, à Douma. Ils étaient quelque 15 personnes en captivité, jeunes hommes et femmes.

«On nous a emmenés dans un endroit, un appartement. Il faisait noir autour, les fenêtres et les portes étaient fermées. À l'intérieur, nous étions aussi dans le noir. Une fois que nous nous sommes retrouvés là, l'interrogatoire a commencé.»

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Deux questions les intéressaient: l'appartenance religieuse, quel courant du christianisme ou de l'islam on suivait, et si on soutenait le gouvernement de Bachar el-Assad. Dès lors le traitement dépendait des réponses.

«Ayant appris mes convictions religieuses, ils sont passés aux tortures. Ça a été terrible, car à leurs yeux je suis pécheresse. Je suis chiite, c'est pourquoi on m'a torturée encore plus. Selon eux, j'ai tourné le dos à la "véritable" religion», poursuit l'interlocutrice de Sputnik.

Parmi les captifs, il y avait des gens appartenant à diverses confessions: sunnites, druzes, chiites, chrétiens, membres de la diaspora kurde.

«Si j'avais été chrétienne, cela aurait été moins terrible. En ce qui concerne les sunnites, qui soutenaient le pouvoir syrien, on les traitait encore pire, comme des traitres absolus.»

La suite. Deux jeunes hommes ont été exécutés pour avoir soutenu trop activement le gouvernement syrien. S. et d'autres ont été soumis à des tortures tant simples que sophistiquées. Chacun a été torturé séparément.

«On nous a brulés avec des morceaux de charbon, éteignait des cigarettes, j'ai toujours des traces de brûlures sur mon corps. Puis, on m'a suspendue au toit, on m'a arrosée d'eau et on m'a frappée avec un câble.»

Ces «barbares» qui «n'avaient aucune morale», comme l'explique S., poursuivaient les tortures même si la personne n'avait plus rien à avouer. La nourriture ne consistait qu'en des pommes de terre et des morceaux de pain.

«Ils voulaient savoir avec quels généraux nous travaillions, parce que nous assurions une coordination entre les parties en conflit.»

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«Ils ont coupé des doigts à certaines jeunes filles, puisqu'ils étaient manucurés, ce qui contredit leur perception de l'islam. L'une des filles a été poignardée au flanc et elle a perdu son rein par la suite», affirme S.

Une aide médicale? «Non, ils croyaient que si l'un d'entre nous mourrait, c'était tant mieux. […] Notre mort ne présentait pas de problème pour eux».

La vie après. Le premier mois a été le plus difficile: «J'avais peur de la sonnette de la porte», confie-t-elle. Mais finalement, grâce à sa famille, elle a pu revenir petit à petit à une vie normale.

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«Une fois que je suis sortie de l'hôpital, ils m'ont dit que ce qui s'était passé, c'était du passé. On m'a proposé d'aller en Europe, mais je ne voulais pas fuir le problème, je voulais l'affronter». Or, la peur ne la quittait pas.

C'est là que son père l'a emmenée où toute l'histoire avait commencé. «Vas-y, à Douma, n'aie pas peur, si tu as peur pendant toute ta vie, ça te tuera», a-t-il lancé à S. «Peu importe ce qui est arrivé, ce n'est pas de ta faute et c'est du passé».

Ses parents ont persuadé S. de sortir, de retourner à l'université. Ses amis la soutenaient aussi. Pourtant, la peur, la colère, la déception restaient toujours en elle.

Elle ne pouvait plus travailler pour des organisations humanitaires, ayant appris «que l'humanité — c'est un mensonge».

«Je continue à aider les gens, mais ceux que personne ne connaît, ceux sans toit à cause de la guerre, qui ne sont que mentionnés comme des chiffres dans les médias. J'ai trouvé ma place qui me convient, ils sont devenus ma nouvelle famille. Mais la peur est toujours là. Même aujourd'hui, lorsqu'on me touche, je tressaille. J'ai peur de rester seule à la maison», explique-t-elle, alors qu'elle souffre maintenant de problèmes de santé à répétition. «Certes, je garde une grande colère».

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