Retards, surcoûts, les négociations autour de l’A400M battent de l’aile

© AFP 2023 Jonathan NACKSTRAND Airbus A400M Atlas
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Si la branche civile d’Airbus bat toujours des records de livraisons et de chiffres d’affaires, il n’en est pas de même pour sa filiale militaire. Son avion de transport A400M continue d’accumuler retards de livraison et dérapages financiers, reflet de la complexité de la coopération militaire entre États.

Le groupe Airbus est en forme, comme en témoignent ses résultats financiers pour les neuf premiers mois de l'année. Dans ce document publié le 31 octobre, l'avionneur européen affiche un bénéfice de 2,3 milliards d'euros, avant intérêts et impôts (EBIT), soit plus du triple qu'en 2017 sur la même période. Malgré des difficultés rencontrées suite à des retards de livraison de moteurs suivie de difficultés sur son site d'assemblage d'Hambourg sur ses modèles A321neo, Airbus devrait continuer à battre des records avec la livraison de 800 appareils cette année, contre 718 l'année précédente et 688 en 2016.

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La tendance est cependant moins favorable concernant l'A400M «Atlas», appareil de transport militaire «tactique» et «stratégique». En effet, le rapport stipule que les discussions entre le constructeur et l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAr), l'agence européenne responsable du projet A400M qui négocie au nom des États clients, iraient «un peu plus lentement que prévu». La conclusion d'un accord qu'estime «faisable», d'ici la fin de l'année, Harald Wilhelm, directeur financier d'Airbus.

Il faut dire que, comme le rappelaient la veille de la publication de ces résultats financiers nos confrères de La Tribune, le temps presse pour Airbus. Ce nouvel avenant au cadre contractuel de l'A400M —un premier avait eu lieu en 2010- doit concrétiser en contrats bilatéraux une renégociation de ses termes, notamment en termes de lissage des livraisons et de modernisation des appareils déjà livrés. Des points qui avaient fait l'objet d'une déclaration d'intention début février 2018, notamment afin de limiter les pénalités financières pour le groupe sur un programme qui a accumulé quatre ans de retard. Le groupe promettait alors la fin de l'hémorragie financière.

Avec 19 appareils livrés en 2017, l'avionneur n'aura fourni que 57 avions sur les 174 commandés par les États clients auprès d'Airbus Defense & Space, à savoir l'Allemagne (53), la France (50), l'Espagne (27), la Grande-Bretagne (22), la Turquie (10), la Belgique (7) et le Luxembourg (1): moins de la moitié ont été livrés dans les temps depuis 2013. Exception faite de la Malaisie, qui a bien reçu ses quatre appareils. Comme l'Indonésie, elle ne fait pas partie de l'OCCAr: simples clients, elles n'ont pas eu leur mot à dire sur la définition initiale du cahier des charges de l'avion.

Pour autant, si l'avionneur est pointé du doigt pour ces retards, la polyvalence de l'appareil et le cahier des charges dressé par les différents États ne sont pas étrangers à ces dérapages. L'A400M, un programme «qui a dû intégrer des demandes extrêmement contradictoires de différents pays — la France tenant à un certain type de caractéristiques, mais les autres pays tenant à d'autres caractéristiques», soulignait à notre micro, il y a un an, l'économiste Jacques Sapir.

«Les industriels savent inclure l'ensemble de ses caractéristiques dans une plateforme, dans un avion, mais cela a un coût,» avertissait-il.

«On a sous-estimé la complexité technique et industrielle de ce programme,» admettait le responsable relations clients chez Airbus devant les caméras de France Télévision. Face à ces retards, l'avionneur met la main à la poche, provisionnant 1,3 milliard d'euros en 2017 après 2,2 milliards en 2016. Des pertes sèches pour Airbus, qui selon La Tribune perdurent depuis 2006.

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Lors du volet de renégociations en 2010, les surcoûts générés jusque-là par les problèmes techniques rencontrés représentaient 5,2 milliards d'euros. Début 2018, le coût du programme A400M dépassait les 30 milliards d'euros, contre les 20 milliards prévus en 2003, soit une ardoise supplémentaire de 10 milliards d'euros.

Or, ces surcoûts ne sont pas pris en charge que par l'avionneur, mais également par les États clients initiaux, au prorata du nombre d'avions commandés. En 2012, un rapport du Sénat estimait à 10% la hausse du coût unitaire des avions. La France supporterait ainsi 9,5 milliards d'euros des coûts du programme, selon un autre rapport du Sénat —sur le Projet de loi de finances 2018- évoqué par le Journal de l'aviation. Pas étonnant que les renégociations du cadre contractuel aient pris deux ans.

Le surcoût est d'autant plus conséquent que les États doivent trouver des solutions de compensation. Ainsi, l'armée française a notamment dû se tourner vers Lockheed Martin pour lui recommander des C130 (moins volumineux et plus lents), afin de remplacer ses transporteurs vieillissants, non remplacés à temps par des A400M. Ainsi la France achète-t-elle des avions de transport en plus de ce qui était prévu, étant donné que sa commande initiale auprès d'Airbus demeure inchangée en nombre d'appareils. La France qui espère obtenir 25 unités d'ici 2025, pourrait se voir livrer les autres jusqu'en 2030.

«Dans le domaine militaire en particulier, le fait de coopérer n'est pas toujours un avantage. C'est souvent un avantage, mais ça ne l'est pas toujours, pourquoi? Parce qu'encore faut-il que les pays qui coopèrent aient les mêmes demandes. S'ils n'ont pas les mêmes demandes, si on est en présence de demandes relativement contradictoires, cela fait toujours dériver à la hausse —et très fortement- les coûts de ces matériels»,

expliquait à notre micro Jacques Sapir. Pour lui, si les États membres —même ceux ayant une industrie de défense développée- étaient «d'une certaine manière contraints à la coopération» au vu des difficultés de tout faire par eux-mêmes, soulignant l'importance capitale des «volontés publiques», il pointe en revanche du doigt que ces dernières sont, dans le domaine de la défense, «extrêmement contradictoires.»

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