Fin de la solidarité interministérielle, l’armée sort-elle vraiment perdante?

© Sputnik . Grigory Sysoev / Accéder à la base multimédiaL'avion français Rafale de Dassault lors du salon aéronautique MAKS-2011.
L'avion français Rafale de Dassault lors du salon aéronautique MAKS-2011. - Sputnik Afrique
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Alors qu'Emmanuel Macron visite le porte-avions Charles de Gaulle, l'Assemblée nationale a voté pour mettre un terme à la solidarité interministérielle qui finançait jusqu'à présent les opérations extérieures. Une décision critiquée, mais pas nécessairement néfaste, explique l'Amiral Alain Coldefy. Explications.

La France pourra-t-elle financer le petit frère de son unique porte-avions? Alors qu'Emmanuel Macron passait la nuit sur le porte-avions Charles de Gaulle le 13 novembre dernier, la question pourrait se poser depuis que l'Assemblée nationale a voté un projet de loi de finances rectificative qui impacte directement la Défense nationale: en 2019, il n'y aura pas de solidarité interministérielle pour financer les opérations militaires menées en dehors de nos frontières.

Ce mécanisme, mis en place il y a une quinzaine d'années, permettait de répartir l'effort financier inhérent aux surcoûts des différents ministères entre tous au prorata du budget de chacun. La raison est que l'armée a assuré une bonne gestion, qui permet à la Défense «d'absorber le surcoût sur ses seuls crédits», a expliqué à Sputnik Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la Défense et des forces armées à l'Assemblée nationale.

Pourtant, la fin de ce mécanisme de solidarité a été largement décriée par de nombreux parlementaires, à l'instar d'Alexis Corbière, député de La France insoumise, qui a déclaré à l'AFP que «la totalité des hausses du budget des armées [serait] engloutie» par la facture des opérations extérieures, assumée cette année uniquement par la Défense.

Interrogé par Sputnik, l'Amiral Alain Coldefy confirme l'analyse de Jean-Jacques Bridey, tout en donnant également raison au député LFI.

«Tout le monde a un peu raison, suivant l'angle sous lequel on aborde le sujet. Le dégel des crédits a été anticipé et combiné à la baisse des dépenses de fonctionnement, cela va permettre de couvrir la somme. […] Maintenant, il y a un budget augmenté par le Président, mais dans lequel on impute des choses qui n'étaient pas imputées avant», explique l'ancien n° 2 des armées.»

Même s'il ne dénigre pas les arguments d'Alexis Corbière, l'Amiral Coldefy ne défend pas le principe de solidarité interministérielle, dont il dit que «c'est un beau logo, mais [elle] ne correspond qu'à une [modeste, ndlr] amputation du budget de la Défense» pour plusieurs raisons.

La première raison invoquée par l'ancien militaire est que la solidarité interministérielle se faisant au prorata des budgets d'investissement, la Défense finit par prendre à son compte le gros des surcoûts engendrés par ses opérations extérieures:

«Il y a beaucoup de ministères, comme l'Éducation nationale, pour lesquelles les dépenses sont des dépenses de fonctionnement et quand on fait jouer la solidarité interministérielle, ils ne participent qu'à hauteur du tout petit budget d'investissement qu'ils ont. C'est la Défense qui paye le plus, puisqu'il y a beaucoup de ministères, comme les Affaires étrangères, qui n'ont pas beaucoup de budget.»

La seconde est que, ce mécanisme de solidarité fonctionnant dans les deux sens et la Défense étant dotée du plus gros budget d'investissement, les armées se retrouvent souvent à participer à l'effort financier d'autres ministères.

«Sur le budget de la Défense, il y a 10 à 12 milliards d'achats nets et c'est sur ce budget que l'on fait peser le poids des surcoûts. C'est la Défense qui est le plus taxée dans la solidarité interministérielle. C'est plus facile. […] Le seul budget qu'on puisse réduire, c'est le budget qui reste à Bercy, c'est celui des investissements, des achats. Et qui achète? C'est la Défense.»

L'ancien n° 2 des armées poursuit son raisonnement et déclare:

«On ne peut pas jouer sur le salaire des gens, sur le chauffage dans les écoles ou sur le carburant des voitures de police. Donc vous jouez sur quoi? Sur celui qui a un gros budget, une grosse dépense nette, et c'est la Défense. Retardez la commande de deux Rafale et vous avez 200 millions, alors que trouver 200 millions sur les salaires des professeurs, c'est impensable.»

Et si l'Amiral Coldefy reconnait que le surcoût lié aux opérations extérieures est difficile à assumer seul pour le ministère de la Défense, il rappelle qu'en contrepartie, ce dernier ne contribuera pas aux surcoûts constatés dans d'autres ministères… pour 2019 en tout cas.

De là à permettre à la France de dégager assez de liquidités pour se doter d'un nouveau porte-avions d'ici 2020? Selon l'ancien militaire, le financement total des opérations de la France hors de ses frontières ne représente pas un frein à de tels investissements, puisque:

«Le porte-avions, ce n'est rien pour la Défense. Un programme comme le Rafale, c'est 40 milliards. C'était, à l'époque, 10 porte-avions. Ça doit être le 14e ou 15e programme de la Défense et comme sa construction s'étale sur 10 ans, ça fait des tranches de 500 millions par an. Quand on modernise l'Armée de terre avec le programme Scorpion, on signe pour 2 porte-avions.»

Pour l'Amiral, se doter d'un nouveau porte-avions correspond plus à une volonté de l'exécutif de pouvoir mieux se projeter, mais surtout de mieux projeter son statut de grande puissance.

«Le porte-avions, comme c'est emblématique, c'est un outil de puissance, c'est la liberté d'agir sur les mers du monde entier. C'est l'outil que tous les grands pays ont.»

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