La justice russe rend une décision «surprenante» à l’égard de Business France

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Fin octobre, un juge de Moscou a satisfait l’appel de l’ambassade de France à Moscou dans deux litiges de travail contre la «Représentation pour le commerce et les investissements de l’ambassade». Auparavant, la diplomatie russe avait affirmé que cette dernière était en réalité la représentation de l’agence Business France.

Fin octobre, le tribunal de la ville de Moscou a statué que «la Représentation pour le commerce et les investissements de l'ambassade de France en Russie», indiquée dans certains documents de l'ambassade comme «bureau de Business France en Russie» et fermée en juillet 2018, faisait partie de l'ambassade et bénéficiait bien de l'immunité diplomatique. Ces décisions ont été rendues par le juge dans les affaires d'Olga Tarassova et de Marina Doroch, anciennes salariées de cette structure, après l'intervention de l'ambassade française en tierce opposition.

Sputnik a obtenu des copies des documents présentés par les parties lors de ces audiences et a réussi à parler à l'une des parties prenantes dans ce procès.

Pourquoi l'ambassade de France en Russie est-elle intervenue dans cette affaire?

L'ambassade de France en Russie est intervenue en tierce opposition dans ces litiges de travail en évoquant l'immunité juridictionnelle de l'ambassade après que les décisions du tribunal du district Zamoskvoretski de Moscou dans ces affaires ont commencé à être exécutées. Auparavant, cette instance avait jugé illicites les licenciements d'Olga Tarassova et de Marina Doroch.

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Lors des audiences, qui se sont tenues les 26 et 29 octobre, les représentants de l'ambassade de France en Russie ont affirmé que c'est de son propre compte que le «salaire dû pour la période d'absentéisme forcé» de Mme Tarassova a commencé à être prélevé à titre coercitif.

Le tribunal de la ville de Moscou a stipulé dans ses arrêtés rendus publics début novembre que la Représentation pour le commerce et les investissements de l'Ambassade de France n'avait pas de personnalité morale, faisant partie de la mission diplomatique et bénéficiant ainsi de l'immunité juridictionnelle.

Une décision «surprenante»

Après ces audiences, Olga Tarassova s'est confiée à Sputnik.

«En ce qui concerne la décision du juge, je peux dire qu'elle a été surprenante pour moi, pour Marina Doroch, pour nos avocats. Mais aussi pour le ministère russe des Affaires étrangères puisqu'il a présenté sa position officielle, notamment dans le communiqué officiel du 17 juillet 2018 au sujet de la fermeture de la représentation [de Business France, ndlr]», précise-t-elle.

Un responsable du ministère russe des Affaires étrangères a répondu à Sputnik après les audiences des 26 et 29 octobre que la position de la diplomatie russe sur le statut de Business France restait «la même».

Selon le ministère russe des Affaires étrangères, «la soi-disant Représentation commerciale et pour les investissements à Moscou» était en réalité une «représentation de l'établissement public industriel et commercial Business France». Dans sa lettre du 5 juin dernier adressée à l'ambassade de France, la diplomatie russe indique que, de ce fait, elle «ne pouvait pas revendiquer l'immunité diplomatique en conformité avec la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961».

Cette décision du tribunal de la ville de Moscou contredit son propre arrêté du 2 mars 2016 encore en vigueur à ce jour, d'après lequel, Business France Russie ne bénéficiait pas de l'immunité diplomatique juridictionnelle.

Le «bureau Business France» a-t-il jamais existé en Russie?

Au-delà de la reconnaissance de l'immunité diplomatique du défendeur, dans son arrêté du 29 octobre 2018 dans l'affaire de Marina Doroch, le juge affirme que «l'agence Business France n'existe pas en Russie». Selon son arrêté, les fonctions de cette agence étaient remplies sur le territoire russe par l'une des divisions de l'ambassade de France, notamment, la «Représentation pour le commerce et les investissements».

Le tribunal a ainsi confirmé l'affirmation faite par l'ancien ambassadeur de France en Russie, Jean-Maurice Ripert, qui l'avait indiqué dans sa lettre du 18 mai 2017 adressée au tribunal du district Zamoskvoretski de Moscou.

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Néanmoins, dans certains documents, dont ceux de l'ambassade elle-même, figure l'intitulé «le bureau de Business France Russie».

Olga Tarassova précise que son contrat de travail est rédigé en deux langues, russe et française, de même que ses annexes, et que leur partie française stipule que c'est «le bureau Ubifrance près de l'Ambassade de France» («bureau Business France» après le 1er janvier 2015,ndlr) qui était son employeur et que son contrat avait été signé par Elisabeth Puissant, «directrice du bureau Ubifrance». Il est à noter que la version russe ne mentionne pas le nom d'Ubifrance. Mme Tarassova souligne que dans ces documents ne figure aucune procuration à Mme Puissant de la part de l'ambassadeur qui lui permettrait d'agir au nom de l'ambassade.

Selon un article publié sur le site de l'ambassade de France en Russie en 2017, Elisabeth Puissant était la «Directrice de Business France Russie».

«Elisabeth Puissant est venue en Russie pour diriger la Mission économique Ubifrance à l'ambassade de France en 2011. Cinq ans plus tard, la Mission économique Ubifrance s'est transformée en Business France, la couverture géographique s'est élargie», peut-on lire dans cette publication.

De plus, l'article sur la fermeture du «Service de l'ambassade de France portant les activités de Business France en Russie» publié sur le site de cette dernière le 16 juillet 2018 était intitulé «Fermeture du bureau Business France en Russie». Il est à noter que, dans cette publication, l'ambassade ne nie pas le fait que l'agence menait ses activités en Russie. 

Le fond plutôt que la forme?

Lors de sa présence en Russie, la «Représentation pour le commerce et les investissements» bénéficiait de tous les privilèges inhérents à une mission diplomatique, ses directeurs étant accrédités auprès du ministère russe des Affaires étrangères.

Par exemple, le dernier directeur de cette structure, Pierric Bonnard, nommé à ce poste en 2016 par Muriel Pénicaud, à l'époque directrice de Business France, a été accrédité en tant que «conseiller commercial» de l'ambassade française, à la suite de quoi il a obtenu une carte diplomatique.

De plus, la représentation bénéficiait des privilèges inhérents à une mission diplomatique, notamment le remboursement de la TVA. Selon les documents présentés par l'ambassade dans l'affaire de Mme Trassova, «la Représentation commerciale et des investissements auprès de l'ambassade de France en Russie» utilisait l'un des comptes de l'ambassade de France en Russie enregistré à la Reiffeisen Banque. C'est sur ce compte que les autorités fiscales de la Fédération de Russie remboursaient la TVA à la «Représentation commerciale et des investissements auprès de l'Ambassade de France en Russie».

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Il semble que le ministère russe des Affaires étrangères n'était pas au courant des activités effectuées par cette mission de l'ambassade. Dans sa lettre adressée à l'ambassade de France le 5 juin dernier, la diplomatie russe indique qu'elle n'avait pas été informée que la «soi-disant Représentation commerciale et des investissements auprès de l'ambassade de France en Russie faisait partie de l'établissement industriel et commercial Business France». Elle ajoute alors que cet établissement ne pouvait pas profiter des «privilèges fiscaux inhérents aux missions diplomatiques».

Plus tard, en commentant la décision de fermer «le bureau de Business France en Russie», le ministère russe des Affaires étrangères a confirmé sur son site que «les services fournis par le bureau de Business France en Russie étaient à caractère commercial».

Le caractère de ces activités est confirmé par Olga Tarassova qui a décrit ses fonctions en tant que «Chef du Pôle Art de Vivre-Santé».

«Ma fiche de poste rédigée en langue française précise aussi que je travaillais sur le Site d'Ubifrance Russie, bureau de Moscou, que je devais identifier les entreprises françaises pouvant faire l'objet d'un accompagnement personnalisé à haute valeur ajoutée, et de le leur proposer et aussi m'assurer de la bonne connaissance et de l'application de l'offre et des procédures Ubifrance», précise-t-elle.

Réforme de Business France: quid de la Russie?

Quelques semaines après la fermeture du bureau de Business France en Russie, le journal Le Monde a publié un article dont l'auteur affirme que le conflit entre les autorités russes et Business France «a permis à la France de rejeter sur Moscou la faute d'une fermeture décidée en réalité depuis des mois». Il s'agit de la relance du commerce extérieur annoncé en février dernier par le Premier ministre français, Edouard Philippe.

Avec pour résultat de cette réforme qui prévoit l'association de Business France et des chambres de commerce, les bureaux de Business France doivent être fermés «partout où de grandes CCI se sont développées», a annoncé Edouard Philippe.

Afin de trouver des opérateurs étrangers, Business France a lancé en septembre dernier le premier appel d'offres dans un certain nombre de pays, notamment en Belgique, Hongrie, au Maroc, en Norvège, aux Philippines et à Singapour. Pour le moment, la Russie ne figure pas parmi les pays où a été lancé un appel d'offres. Sputnik a adressé une demande au bureau central de Business France concernant son projet de reprendre ses activités en Russie et sous quelle(s) forme(s) elles peuvent être désormais menées mais n'a pas reçu de réponse.

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La Russie regrette la fermeture de l'agence Business France
Il est à noter que Nathalie Schmitt, nommée directrice de Business France en Russie par interim après l'expulsion de M.Bonnard à la suite de l'affaire Skripal, reste toujours en Russie. Selon la diplomatie russe, elle avait été déclarée par l'ambassade de France en tant qu'«employée technique de l'ambassade». Dans sa lettre du 5 juin 2018, le ministère russe des Affaires étrangères a demandé à l'ambassade de France en Russie d'«éclaircir le statut et les fonctions de Nathalie Schmitt».

Selon Mme Tarassova, Hélène Buriev, ancienne cheffe du service Énergie et Environnement de Business France vient d'arriver en Russie afin de travailler au sein de l'ambassade française.

«D'après les informations dont je suis au courant, elle a obtenu un passeport diplomatique français, et l'ambassade de France à Moscou a adressé une demande de visa diplomatique [pour elle, ndlr] en tant qu'agent diplomatique de l'ambassade. Elle a obtenu ce visa et elle est déjà arrivée en Russie», a ajouté l'interlocutrice de Sputnik.

Marina Doroch et Olga Tarassova étaient salariées en contrat de droit local, conclu avec respectivement la «Mission économique Ubifrance de l'ambassade de France à Moscou» et le «Bureau Ubifrance auprès de l'Ambassade de France à Moscou». Leurs contrats de travail prévoyaient que «tout litige serait déféré devant la juridiction russe compétente». Elles avaient été licenciées, respectivement en 2013 et en 2017, et avaient porté plainte auprès du tribunal du district Zamoskvoretski de Moscou qui avait alors jugé ces licenciements illégaux. Il est à noter que Mme Doroch s'était également adressée au tribunal administratif de Paris qui a stipulé qu'elle avait «été recrutée par contrat à durée indéterminée par le bureau Ubifrance à Moscou».

En juillet dernier, l'ambassade de France en Russie a annoncé la fermeture, dès le 16 juillet, de l'antenne de l'agence publique Business France opérant en Russie. Dans son communiqué, l'ambassade a évoqué des conditions d'exercice de Business France en Russie «considérablement dégradées au cours des derniers mois, notamment avec les saisies illégales opérées sur son compte en banque, pourtant protégé par la Convention de Vienne, et l'expulsion de son directeur disposant d'un passeport diplomatique». Le journal russe Kommersant avait informé que l'agence Business France pourrait lancer cet automne un appel d'offres visant à représenter ses intérêts en Russie et reprendre son travail sur une nouvelle base et dans le cadre de la législation russe.

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