Pourquoi personne ne salue la naissance de bébés «génétiquement modifiés» en Chine

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Le chercheur chinois He Jiankui a déclaré être intervenu sur le génome d'embryons humains avant une insémination artificielle pour donner naissance à deux enfants à l'ADN modifié. La communauté scientifique a résolument condamné son travail. Une enquête a été ouverte en Chine et toutes les expériences sur le génome humain ont été interdites.

En début de semaine, le généticien He Jiankui de l'université de Shenzhen s'est rendu à Hong Kong pour le Sommet international sur l'édition génomique où il devait présenter un rapport sur ses travaux. Avant le début de la conférence, le chercheur a déclaré aux organisateurs qu'il avait participé à la première modification d'ADN d'embryons humains de l'histoire.

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Puis il a précisé à l'agence AP qu'à l'aide du système CRISPR/Cas9 il avait modifié les génomes des embryons de sept couples pendant des soins reproductifs. Deux jumelles à l'ADN modifié sont ainsi nées d'une mère saine et d'un père infecté par le VIH. He Jiankui a expliqué qu'il avait supprimé le gène CCR5 chez les deux enfants, les immunisant à vie contre le VIH.

Les futurs parents étaient au courant de ce travail et avaient donné leur accord pour participer à l'expérience, a affirmé le généticien, qui a refusé de divulguer leur nom pour des raisons éthiques.

«Il ne travaille plus chez nous»

Deux heures après la publication d'AP, le site de l'université de Shenzhen, à laquelle était rattaché le scientifique, a publié un communiqué officiel:

«Le maître de conférences He Jiankui le 2 février 2018 avait déjà quitté ses fonctions temporairement, tout en gardant son salaire jusqu'en janvier 2021. L'université n'avait pas connaissance de ses expériences en dehors de l'établissement et considère ce travail comme une grossière violation des principes éthiques et de la pratique scientifique».

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Dans la soirée du 26 novembre, la Commission nationale de la naissance et de la santé de l'enfant (Chine) a déclaré qu'elle considérait les actes de He Jiankui comme illégaux et qu'elle ouvrait une enquête.

«Les médias ont rapporté la naissance d'enfants génétiquement modifiés immunisés contre le Sida. La Commission surveille ce cas de près et a immédiatement chargé la commission de la santé de la province de Guangdong de mener une enquête minutieuse», stipule le document publié sur le site de l'institution.

Une atteinte à la science

Dans le monde entier, les confrères de He Jiankui ont particulièrement critiqué la déclaration du généticien. «Ce n'est pas parce qu'on peut faire quelque chose qu'on doit le faire. La technologie CRISPR possède un immense potentiel, mais les enfants-CRISPR de Chine sapent la confiance dans la science et la vie humaine», a écrit sur Twitter Maryam Khosravi du Collège universitaire de Londres. Le biophysicien australien Antoine van Oijen a noté que c'était une «triste journée pour la science» parce que le travail de He Jiankui violait le moratoire international sur ce genre d'expériences.

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Plus de cent chercheurs chinois ont écrit une lettre ouverte à leur gouvernement afin d'exiger des restrictions législatives au travail sur le génome humain. Cette lettre a été publiée dans la soirée du 26 novembre par le site scientifique chinois Intellectual via le site de microblogging Weibo. D'après les chercheurs, l'utilisation des méthodes CRISPR sur des humains comporte d'immenses risques, son utilisation n'a rien de novateur et personne n'avait encore osé organiser de telles expériences à cause de leurs conséquences imprévisibles.

La réaction du monde scientifique était tout à fait attendue, estime Mikhaïl Skoblov, responsable du laboratoire d'analyse fonctionnelle du Centre de recherche médico-génétique.

«Aujourd'hui, la science elle-même met la barre très haut. Si cela était arrivé il y a 50 ou même 20 ans, tout le monde aurait dit «c'est possible? Génial!» et aurait commencé à l'appliquer. Mais depuis nous avons accumulé de nombreuses erreurs, c'est pourquoi cette annonce a suscité la peur et la condamnation. Avant de lancer sur le marché un médicament ou une technologie, les créateurs passent des années ou des décennies pour les vérifications. Ce qui n'a pas été le cas en l'occurrence. Il n'y a pas eu de vérifications sur des sujets modèles. On se demande également combien d'expériences ont été réellement réalisées par He Jiankui avant d'annoncer son succès. Une chose est sûre: plusieurs années doivent s'écouler entre le point où nous nous trouvons aujourd'hui et le moment où l'édition du génome pourra être testée sur des gens», a précisé le scientifique.

L'histoire continue

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Cette affaire a connu une nouvelle évolution ce mercredi 28 novembre quand He Jiankui a présenté son rapport au Sommet international sur l'édition génomique, où il a déclaré qu'un troisième enfant à l'ADN modifié verrait le jour prochainement. Il a également exposé les détails de son expérience.

En réponse aux accusations d'«irresponsabilité» et de violation de l'éthique en provenance de la salle, le généticien a noté que les personnes atteintes du VIH avaient «besoin d'aide», qu'il fallait «faire preuve de compassion envers les millions de familles qui luttent contre cette maladie», et que «si nous disposions des technologies pour apporter cette aide plus tôt, nous pourrions sauver plus de gens».

Dans l'heure qui a suivi la prestation de He Jiankui, les diapos de sa présentation ont inondé internet, puis le relevé de son discours a été publié sur les réseaux sociaux.

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Après avoir pris connaissance du rapport en question, la plupart des spécialistes ont indiqué que le scientifique chinois avait utilisé sans réfléchir la technologie CRISPR/Cas9 et sans prévoir les effets secondaires éventuels de l'édition du génome. Le généticien Gaetan Burgio, de l'Université nationale australienne, a écrit sur Twitter que le problème principal menaçant les enfants à l'ADN modifié était la probabilité d'apparition de délétions (restructurations chromosomiques caractérisées par la perte de matériel génétique sur un chromosome) et de mosaïcisme (présence dans les tissus de cellules génétiquement différentes). C'est pourquoi il est difficile de prédire le résultat de l'utilisation de cette technologie.

La Chine, paradis pour les généticiens

Ce n'est pas la première fois que des chercheurs chinois se retrouvent au centre d'un scandale lié à l'usage des technologies d'édition génétique sur des hommes. Ainsi, en janvier dernier, le quotidien The Wall Street Journal, se référant à ses sources, rapportait que la technologie CRISPR/Cas9 était testée en Chine sur des patients atteints de cancer et de VIH «au moins depuis 2015».

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15 personnes sont décédées dans le cadre de soins expérimentaux impliquant une édition de l'ADN des cellules immunitaires des patients. Les scientifiques chinois affirmaient alors que la mort avait été causée par les maladies chroniques des participants aux recherches, et non par la méthode de soin utilisée.

Selon les informations du WSJ, de telles expériences sont possibles en Chine parce qu'il est relativement facile d'obtenir une autorisation pour des expériences liées à l'édition génomique dans ce pays. Des chercheurs de l'hôpital oncologique de Hangzhou utilisant la méthode d'édition du génome sur l'ADN humain ont obtenu ce document en moins d'une journée. A titre de comparaison, les scientifiques américains de l'université de la Santé et des Sciences de l'Oregon ont attendu deux ans pour recevoir une telle autorisation afin de modifier l'ADN des embryons. En 2017, ils ont été les premiers à modifier le génome d'embryons humains, sans les placer ensuite dans l'utérus pour le développement de la grossesse.

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Toutefois, il y a fort à parier que la législation chinoise relative aux expériences sur l'ADN humain sera durcie prochainement. Dans la soirée du 29 novembre, la chaîne CCTV, se référant au vice-ministre chinois des Sciences et Technologies Xu Nanping, a annoncé que le ministère avait ordonné de suspendre toutes les recherches liées à l'édition de l'ADN des embryons. Et de souligner que cette décision avait été prise suite aux déclarations de He Jiankui sur la naissance des premiers enfants génétiquement modifiés de l'histoire.

«Le cas de He Jiankui est très complexe. Mais il pourrait marquer le point de départ de recherches plus poussées pour une méthode sûre d'édition, et entraîner des modifications de la législation soulignant que l'usage de cette technologie ne pourrait être autorisée que pour certaines fins. Car He lui-même a condamné dans son message vidéo l'utilisation de la technologie d'édition du génome à des fins autres que médicales. Mais il faut d'abord attendre les résultats de l'enquête. On voudrait avoir des preuves que ces enfants sont venus au monde et qu'ils sont en bonne santé», a conclu Mikhaïl Skoblov.

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