Gilets jaunes Corses: «On va se régionaliser pour être plus forts»

© Sputnik . Oxana BobrovitchCorsica
Corsica - Sputnik Afrique
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Le mouvement des Gilets jaunes a ses particularités en Corse. Les activistes essayent de se battre contre la cherté du carburant de front avec les élus locaux. Sputnik a rencontré plusieurs élus et activistes sur l'île pour analyser le problème.

En même temps que l'«acte IV» se jouait dans la violence à Paris, les Gilets jaunes de Porto-Vecchio ont bloqué totalement le supermarché Leclerc, avant d'installer un barrage filtrant. Cette intervention pacifique a été préparée depuis longtemps, en parallèle avec la présence de Gilets jaunes corses à Paris. Si on recense toutes les revendications du mouvement, il paraît évident qu'il ne peut espérer avoir gain de cause sur tous les points. Alors, quelles sont les priorités pour les Corses?

«Au niveau national, on a un dénominateur commun, c'est la vie chère, explique David Roig du collectif "Un espoir pour la Corse" à Porto-Vecchio, mais on a mis plus l'accent sur la cherté du carburant.»

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Pour l'activiste, l'une des particularités et difficultés de l'île de Beauté est l'absence de transports en commun. Un autre point évoqué lors de ces manifestations est le niveau élevé des prix de l'alimentation: «En plus, les distributeurs de Bastia et d'Ajaccio se mettent d'accord sur les prix,» déplore Davis Roig. Pourtant, la lutte de son collectif pousse les magasins à faire de petites concessions.

«On a réussi à avoir un accord de principe [du supermarché, ndlr] "Géant" de Porto-Vecchio pour baisser les prix de 5 à 7%. S'il baisse ses prix, son concurrent, "E. Leclerc", va automatiquement faire pareil,» se réjouit l'activiste.

Surtout, il compte sur une grande mobilisation, parce qu'«on voit qu'on est solidaires, qu'on ne casse pas, qu'on a des demandes précises.»

«Les élus nous ont reçus, on a un dialogue.»

Insularité oblige, pour faire bouger les lignes, les activistes du mouvement avancent de front avec les élus locaux. Les représentants d'«Un espoir pour la Corse» se sont invités le 29 novembre dernier a une séance plénière de l'Assemblée de Corse. Ce qui n'a nullement perturbé des élus corses.

«Nous avons ouvert les grilles de l'Assemblée de Corse et avons laissé entrer tous ceux qui voulaient, y compris à l'intérieur du bâtiment, confirme le président de l'Assemblée Jean-Guy Talamoni. Les Gilets jaunes en Corse ne manifestent pas contre nous, plutôt, avec nous.»

Mais pour le collectif citoyen, motiver la population reste un défi. Pour David Roig, alors que les gens considèrent que le mouvement des Gilets jaunes est un mouvement national, beaucoup d'activistes veulent plutôt soulever une lame de fond au niveau régional. «On est en train d'évaluer nos symboles… Je pense qu'on adaptera plutôt les signes avec la "Testa Mora" de Corse.»

«On va se régionaliser pour être plus forts», précise Mr Roig.

Et le collectif, «à la taille de l'île», a l'air de bien fonctionner. Sur les cinq ou six personnes à la tête du groupe, le plus jeune a 18 ans et chacun a son domaine d'intervention: parler aux médias, s'occuper de l'organisation interne, préparer des textes…

«Le seul problème qu'on a, se désole David Roig, c'est certains nouveaux qui viennent pour "foutre le bordel". Ceux-là, soit on les gère, soit si c'est impossible, on les refuse.»

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Le mécanisme de composition de prix reste opaque

Les prix du carburant… et leurs mystères restent au cœur des préoccupations des Gilets jaunes corses. En effet, plus on s'éloigne de Bastia, plus ils grimpent à vue d'œil. Au point de départ le prix du Super 95 est au niveau des prix du continent (1,48 euro/l.) pour grimper à 1,60 à Porto-Vecchio. Pourtant… récemment, on a refusé l'installation de pompes de la chaîne E. Leclerc, qui pratiquent la vente «au prix coûtant» de 1,44 euro/l.
Pour le maire (LREM) de Bonifacio Jean-Charles Orsucci la décision est logique, puisque «confier la distribution du carburant aux grands groupes» équivaut à «engendrer la mort de toutes les petites stations qui font vivre l'intérieur de l'île» qui font vivre «environ mille personnes sur l'île». Et pour l'élu, il faudrait trouver des mécanismes qui permettent à la fois d'avoir un tarif plus bas, ce dont les gens ont besoin pour leur pouvoir d'achat, et maintenir les emplois. Et «trouver un mécanisme»- c'est ce à quoi s'attelle actuellement l'Assemblée de Corse. Étonnant, mais vrai: on ne sait pas dans le détail comment le prix du carburant est formé dans l'île.

«On voit que le résultat de ce mécanisme est totalement anormal, dit le président de l'Assemblée Jean-Guy Talamoni, le taux de pauvreté en Corse est élevé. On ne peut pas accepter qu'un grand nombre de Corses ne puissent pas se déplacer.»

Cela donne du travail au président: cinq heures avec Vito (du groupe Ruby Énergie) —le distributeur le plus important de Corse, pour comprendre un certain nombre d'éléments techniques, plusieurs rencontres entre Vito et le collectif «Agissons contre la cherté du carburant», une séance avec Total et Esso- les deux autres distributeurs en Corse.

«J'ai déclaré devant l'Assemblée qu'il s'agissait d'un droit, comme boire ou manger, précise Mr Talamoni. Se déplacer, c'est vital. Lorsqu'on prive les gens de la possibilité de se déplacer, on conduit les gens à se replier sur eux-mêmes et à l'exclusion.»

L'Assemblée a du pain sur la planche, car il faudra ensuite comprendre où passe l'argent et enfin, améliorer la situation. Pourtant, Vito a déjà accepté de faire un geste «pour donner un signal à la société corse et mettre en place un dispositif d'aides aux déplacements». Ça ressemblerait à ce que fait Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France, sauf qu'au lieu d'utiliser l'argent public, on utiliserait l'argent mis à disposition par les trois sociétés.
«On a mis toutes les forces dans la bataille, dit Jean-Guy Talamoni. Mais la bataille prendra du temps, puisqu'il va falloir revenir de loin…»

Le monde rural souffre de la cherté du carburant

Christinacce, un petit village dans la montagne corse. Ses 40 habitants, répartis dans leurs maisons typiques, pour certains occupées seulement en été. Ses châtaigneraies centenaires qui jadis étaient le pilier de l'économie. Ajaccio est à 60 km et une heure et demie de route. Bastia- à 115 km, deux heures et demie de route. Personne ne porte de gilet jaune, pourtant…

«Il y a une très forte précarité, se désole le maire Antoine Versini. Les gens n'y arrivent plus. Vous avez des gens dans les villages qui gagnent de 600 à 800 euros par mois. À ces gens-là, on ramène le soir en cachette un paquet du "Resto du cœur", parce qu'ils ne veulent pas que ça se sache.»

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Versini est un nom presque ancestral dans ce village typique de la montagne corse: depuis 1830, 19 maires sur 24 sont des Versini. L'actuel, Antoine, est adhérent de Femu a Corsica («Faisons la Corse») «Si vous voulez parler avec le monde rural, c'est un parfait exemple,» m'a-on-dit. Perdue dans une montagne verdoyante même en plein hiver, en été «quand les gens du village reviennent», la commune voit augmenter «considérablement» sa population, jusqu'à 280-300 personnes. Comme un peu partout dans ces communes montagnardes, les maux sont semblables: «la désertification, l'éloignement des villes, le manque de travail».

«Il faut tout le temps se déplacer avec un véhicule, affirme le maire, ainsi, si vous mettez tout cela bout à bout, vivre dans un village est plus cher que dans un milieu urbain.»

Effectivement, la nécessite de faire des courses, de déposer ses enfants pour les activités, d'aller chez le médecin augmente considérablement la facture d'essence. «Nous nous battons pour développer les produits locaux, ce qui fait notre force,» précise le maire de Christinacce. Mais, le fait est bien connu, environ 20% des Corses vivent sous le seuil de pauvreté. En gros, un quart de population gagne moins de 1.000 euros par mois. Surtout, comme nous l'explique Jean-Baptiste Mondoloni, député indépendantiste de l'Assemblée de Corse, on est loin de l'image des «Corses qui reviennent vers de leurs racines».

«Les gens ne viennent pas en milieu rural par romantisme, analyse l'élu, c'est une population étrangère au milieu rural qui s'y installe. Juste parce qu'ils n'arrivent plus à habiter en ville.»

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Autre phénomène récent: dans les villages, on trouve de plus en plus des gens qui louent 150 euros par mois leurs sous-sols, pour dépanner les gens qui ne peuvent habiter que là.
Mais la ruralité peut jouer également contre ceux qui arrivent à vivre du fruit de leur travail. Les Gilets jaunes poussent les producteurs de la clémentine corse dans le rouge: les blocages de routes ont empêché des livraisons et les fermiers encaissent les pertes… La sagesse populaire se confirme: «les mouches vont au cheval maigre».

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