Le Maroc «renonce» à la CAN 2019 de foot... la faute à Moscou et Prétoria?

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Après le prince héritier saoudien, c'est au tour de la Coupe d'Afrique de football d'être snobée par les Marocains. Si Rabat jure que l'organisation de cet évènement ne l'a jamais intéressé, cette position avait tout l'air d'un renoncement. Des pistes d'explication sont avancées par le géopoliticien du sport, Jean-Baptiste Guégan.

En annonçant sa non-candidature à l'organisation de la Coupe d'Afrique de foot (CAN) 2019, le Maroc a pris le monde du football de court. On le pensait pourtant en embuscade, à mesure que les espoirs du Cameroun, pays hôte désigné, s'amenuisaient. Yaoundé qui a accusé de sérieux retards dans les travaux s'est vu retirer, le 30 novembre dernier, l'organisation du plus grand évènement continental par la Confédération africaine de football (CAF).

Le 12 décembre, alors que tous les regards se tournaient vers lui, le Maroc annonce à la surprise générale qu'il ne présentera pas de candidature pour accueillir la CAN 2019. Pis, son ministre des sports, Rachid Talbi El Alami, affirmait le plus normalement du monde, que la question n'avait jamais été à l'ordre du jour. Dans un premier temps, aucune raison n'a été invoquée à l'appui de cette décision, plongeant beaucoup de Marocains dans la stupeur et l'incompréhension.

​«Je ne comprends pas pourquoi le Maroc n'a pas présenté sa candidature pour accueillir la Coupe d'Afrique. Pourtant, nous disposons d'une bonne infrastructure, de stades en nombre suffisant, d'autoroutes, et d'hôtels de bonne qualité, sans compter le TGV qui a été récemment lancé…»

Il y a encore quelques jours, des médias internationaux et locaux, y compris les mieux informés, annonçaient le Maroc «grand favori». Au nombre de ceux-ci, le site 360.ma, qui affirmait début décembre que «le Maroc devra officiellement déposer son dossier dans quelques jours», et spéculait déjà, sur «un duel Maroc-Afrique du Sud». Après l'annonce du ministre marocain des Sports, le même site avouera que la candidature pour l'organisation de la CAN 2019 n'était qu'un «fantasme» dans lequel «tout le monde a plongé».

Pour le Maroc, une CAN, c'est le sport… mais aussi le branding et le rayonnement

C'est que le Maroc, surtout, n'avait rien à perdre, mais tout à gagner dans l'organisation de la CAN 2019. Et il ne s'agit pas uniquement de retombées économiques, maximisées, du reste, par des infrastructures déjà en place. Depuis quelques années, en effet, le pays semble avoir fait le choix géostratégique du sport pour promouvoir son branding dans le concert des nations. C'est dans cet esprit qu'il convient d'inscrire sa dernière candidature —malheureuse- à la Coupe du monde de foot 2026, mais aussi d'autres compétitions internationales qu'il a pu accueillir.

​Dès lors, la CAN 2019 aurait été une nouvelle occasion, pour le Maroc, de renforcer son rayonnement continental par le sport et de rattraper ainsi l'occasion perdue —presque malgré lui- en 2015. Cette année-là, et au plus fort de l'épidémie Ebola, le Royaume s'est vu retirer l'organisation de la CAN, après en avoir demandé le report en invoquant des risques sanitaires.

Quel crédit accorder aux explications tardives du ministre El Alami?

Quelques jours plus tard, Rashid El Alami, le ministre du Sport, est revenu sur les raisons du désintérêt marocain pour la CAN 2019. Le Maroc dispose bien «des moyens, de l'expertise et de l'expérience, tout est préparé pour recevoir une manifestation pareille», assure-t-il. «Tout est préparé», mais il fallait, ajoute le responsable marocain, «se préparer au mieux». Un délai «d'une année ou d'une année et demie» aurait été nécessaire, mais en même temps, «ce n'est pas une question de délai». Une déclaration tardive… et plutôt sibylline.

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Non seulement les travaux au Cameroun claudiquaient depuis plusieurs mois, au point que le retrait de l'organisation à Yaoundé était très prévisible, mais en plus, comme le rappelle le site lesinfos.ma, le Maroc avait bien accueilli le Championnat d'Afrique des Nations de football (CHAN) 2018, «dans un contexte et des conditions similaires», toutes choses étant égales par ailleurs. Le 14 octobre 2017, à trois mois de la manifestation, la CAF en accordait l'organisation au Maroc, en remplacement du Kenya défaillant, comme en 1996.
Si comparaison n'est pas toujours raison, puisque la dimension de la CHAN et de la CAN n'est comparable qu'à moitié (16 équipes dans un cas, 24 dans l'autre), le temps de préparation serait passé à 6 mois pour la CAN.

Quoi qu'il en soit, cette tergiversation traduit bien chez les Marocains, d'après Jean-Baptiste Guégan, auteur d'ouvrages sur la géopolitique du sport, une «conscience de leurs propres limites organisationnelles et opérationnelles». Une prudence se déclinant dans l'absolu… ou par rapport aux concurrents potentiels. Pour le CHAN 2018, le Maroc était en lice avec l'Éthiopie et la Guinée Équatoriale. Mais pour la CAN 2019, les choses étaient différentes.

La certitude de la candidature de l'Afrique du Sud (ou du Caire?) aurait tout chamboulé

Autant dire que le Maroc n'aurait jamais raté l'organisation de la CAN sans raison valable. Mieux, l'annonce de la non-candidature avait tout l'air d'un renoncement. Pour Jean-Baptiste Guégan, interrogé par Sputnik, la candidature de l'Afrique du Sud, ébruitée quelques jours auparavant, pourrait en être la cause. Quoique le Maroc soit doté d'infrastructures sportives et hôtelières aux normes internationales, les capacités de l'Afrique du Sud l'auraient vraisemblablement mis en difficulté. Un risque que le Royaume n'était pas prêt à prendre, au vu de ce qui s'est passé à Moscou, il y a moins de six mois.

«La puissance régionale d'Afrique du Nord ne prend pas le risque d'affronter la puissance continentale qu'est l'Afrique du Sud. C'est donc à la fois habile et tactique de la part du Maroc qui s'évite un nouveau désaveu après l'échec de la candidature pour le Mondial 2026, dont l'organisation a été remportée par les Américains, l'été dernier à Moscou», estime l'expert français, auteur notamment de «Géopolitique du sport, une autre explication du monde».

Seul pays africain à avoir organisé une Coupe du monde, l'Afrique du Sud «se prévaut d'une réputation et d'une expérience dans l'organisation de ce type de manifestations». En matière de CAN, l'Afrique du Sud est même passée maître dans la récupération des tournois perdus et des organisations désespérées. En 1996, elle se voyait confier le tournoi en remplacement du Kenya, dont les travaux accusaient de sérieux retards. En 2013, elle héritait d'une nouvelle édition, censée se dérouler en Libye, en proie à une crise sécuritaire.

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Si elle obtient l'organisation de la CAN 2019, l'Afrique du Sud aura organisé deux Coupes d'Afrique en l'espace de six ans. La rotation aurait été trop courte, en temps normal. En matière d'organisations récupérées, toutefois, pareille récurrence ne serait pas rédhibitoire, à en croire le précédent de Malabo. Coorganisatrice de l'édition 2012 avec le Gabon, la Guinée Équatoriale a accueilli, trois ans plus tard, la Coupe d'Afrique retirée au Maroc.
Difficile d'ailleurs pour la CAF d'être très regardante sur le critère de la rotation quand peu de pays africains sont en mesure de s'engager, à quelques mois seulement du match d'ouverture, à organiser cet évènement sportif. D'autant plus que celui-ci se jouera, pour la première fois, entre 24 équipes, au lieu de 16.
À moins que la CAF ne se rabatte finalement sur l'Égypte, qui a officialisé sa candidature le 13 décembre. Une candidature qui a toutes ses chances, «avec pour seule limite la sécurité», de l'avis de l'expert français.

«Une nouvelle fois, le sport traduit les rapports de force géopolitiques et le football n'y fait pas exception. La volonté du Maroc de ne pas se positionner face à l'Afrique du Sud pour organiser la prochaine CAN et suppléer le Cameroun en est l'illustration. Ce qui vaut dans les domaines classiques des relations internationales, s'exprime aussi dans le football et l'organisation de compétitions», compare Jean-Baptiste Guégan.

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L'expert français suggère toutefois que le Maroc puisse se servir de son retrait dans la course à la CAN 2019 pour espérer faire l'unité africaine autour de sa candidature conjointe avec l'Espagne et le Portugal pour la Coupe du monde 2030. «Être dans une posture offensive en s'accaparant toutes les compétitions africaines pourrait desservir cet objectif», analyse Jean-Baptiste Guégan.
Après avoir joué, sans succès, cavalier seul à cinq reprises, le Maroc pourrait répondre à l'offre espagnole d'une candidature tripartite pour l'organisation de la Coupe du Monde de foot 2030. Un plan où le Maroc a tout à gagner… à moins qu'il ne veuille diviser, avec les Ibériques, les dividendes politiques qu'il escompte.

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