Best of 2018: BenallaGate, encore un coup des Russes?

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Dans son anthologie 2018, Sputnik revient sur les accusations portées contre la Russie. Après le Brexit, les présidentielles US et françaises, le référendum catalan, avant les Gilets jaunes ou la crise politique belge, certains virent la main de Moscou derrière le BenallaGate. Retour sur l'hystérie antirusse qui gagne la sphère politico-médiatique.

[texte initialement publié le 03/08/2018]

13 jours, 22 heures et 18 minutes, c'est très exactement le temps qui se sera écoulé entre la levée du lièvre par le quotidien Le Monde sur les violences commises par Alexandre Benalla lors des manifestations du 1er mai et que dans l'arène politique française les premiers regards accusateurs se tournent vers la Russie.

Le 1er août sur le site d'Agir, la droite constructive dont il est cofondateur et délégué national, Frédéric Lefebvre, ex-député Les Républicains des Français résidant au Canada et aux États-Unis, a ainsi appelé la Commission d'enquête sénatoriale à se saisir «de la manipulation attribuée aux comptes russophiles sur Twitter pour déstabiliser l'exécutif français.»

Une déclaration de l'ex «porte-flingue» de Nicolas Sarkozy qui fait suite à un article de BFMTV, lui-même basé sur un tweet du chercheur belge Nicolas Vanderbiest, cofondateur de l'ONG bruxelloise EU Disinfo Lab.

​Le «chasseur d'intox», qui s'était déjà fait remarquer durant la campagne présidentielle, évoque la «correspondance» avec l'«écosystème russophile» de plus d'un quart des comptes les plus actifs dans l'affaire Benalla. Une affaire où seulement 1% des comptes seraient à l'origine de 44% des tweets, avec une moyenne de 300 publications par semaine.

«Il me semble que ni le Sénat ni l'Assemblée nationale ne sont des réseaux sociaux. Ce sont des chambres de représentants, cela a pourtant eu un écho suffisamment important pour qu'il y ait tout de même des commissions d'enquête…», réagissait le 1er août à notre micro le spécialiste en cybersécurité Yannick Harrel.

Bien qu'il soit difficile de réagir par rapport aux seuls éléments du tweet de l'analyste belge, Yannick Harrel tient toutefois à préciser que «cela fait 73% [du 1% des comptes les plus actifs, ndlr.] qui ne sont pas liés à la russosphère, si je ne m'abuse.»

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Il faut dire que Nicolas Vanderbiest n'est pas n'importe quel analyste. Grâce à son travail de cartographie des réseaux sociaux, via les outils Brandwatch et Visibrain, lui permettant notamment de suivre la propagation de certaines rumeurs, il avait déjà attiré l'attention des journalistes pendant la campagne présidentielle française.

Dans une étude concernant l'influence des médias russes, publiée la veille du premier tour, le chercheur belge avait ainsi souligné une forte tendance des communautés Twitter proches de François Asselineau et Marine Le Pen à retwitter des articles de Sputnik et de RT sur Emmanuel Macron. Il avait également relevé des «correspondances» entre les comptes Twitter qui véhiculaient des fakes-news à l'encontre du candidat En Marche et les «fans de Russie».

Ces derniers sont vraisemblablement ceux désignés aujourd'hui comme appartenant au fameux «écosystème russophile» dans le tweet du chercheur cité. Selon Nicolas Vanderbiest, il s'agit là de comptes qui, au moment de leur création, ont majoritairement relayé des contenus de Sputnik et de RT, les «organes médiatiques officiels de la propagande russe».

Des précisions que n'avaient pas prises tous nos confrères à l'époque, glissant d'un mouvement fluide de twittos proches de la «russosphères» à des accusations directes, à l'encontre de Sputnik et de RT, d'ingérence dans la campagne.

Si dans l'affaire Benalla les réseaux sociaux ont bien eu un effet «démultiplicateur», jouant le rôle de «courroie de transmission», pour Yannick Harrel il ne faut pas inverser les rôles: ce sont avant tout les nombreuses révélations des médias mainstream, à commencer par Le Monde, qui ont stimulé les internautes:

«Je le rappelle, cette affaire n'est pas née dans les réseaux sociaux, elle a été relativement amplifiée bien évidemment, mais elle est née du résultat d'une enquête menée par un quotidien français, après vérification des informations. Donc, de ce fait, difficile d'attribuer à un quelconque groupe de pression qui officierait sur les réseaux sociaux une importance démultipliée par rapport à cette révélation.»

Pour autant, sous-estimer l'effet de caisse de résonnance de Twitter figure au tableau des nombreuses erreurs de l'exécutif dans une affaire que l'on ne voyait pas au départ prendre de telles proportions. Yannick Harrel tient à rappeler les propos rapportés par Le Parisien d'un collaborateur d'Édouard Philippe, qui affirmait au quotidien trois jours après les révélations du Monde que «le truc va retomber», vacances scolaires et victoire des Bleus obligent, présentant alors Twitter comme le «réseau social du microcosme parisien».

Il faut bien admettre que pour beaucoup de Français, l'«affaire» Benalla n'a rien à envier à un feuilleton d'été, chaque jour apportant littéralement son lot de nouveaux éléments. Du pain béni pour les journalistes également, qui peuvent s'adonner à une véritable chasse aux œufs de Pâques (il n'y a, visiblement, qu'à se baisser). En conséquence, peut-on alors s'étonner quand les réseaux sociaux leur emboîtent le pas?

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Reste à savoir si l'exécutif se laissera tenter d'accuser la Russie d'être à l'origine d'un «gonflage» de la polémique sur les réseaux sociaux. En somme, tenter un remake des présidentielles en brandissant le spectre de La Main du Kremlin, cette prédatrice ayant jeté son dévolu sur les démocraties occidentales… La solution de facilité, en somme.

Pour l'heure, seul Frédéric Lefebvre semble s'engager sur cette voie. Lui, que le député LR Jean-Pierre Grand décrivait au journal Le Monde —non sans une certaine ironie- comme l'«œil de Moscou», a résolument emboîté le pas au tweet de Nicolas Vanderbiest.

Si, dans le fond, le responsable politique se base sur le même analyste que durant la campagne présidentielle française, dans la forme son papier en rappelle également un autre. Souvenez-vous à l'époque, Richard Ferrand avait dans une tribune accusé la Russie d'«ingérence» et de «tentatives de déstabilisation», pointant du doigt les attaques dont aurait fait l'objet son candidat de la part de Sputnik et RT, qu'il dépeignait comme étant «moins des médias d'information que des organes de propagande classique.»

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Nous étions deux semaines avant la publication du programme d'Emmanuel Macron, et trois semaines après l'investiture d'un Donald Trump sous le feu des accusations de collusion avec la Russie du Parti démocrate.

L'étude de Nicolas Vanderbiest a toutefois le mérite de mettre en lumière l'hyperactivité d'un certain nombre de comptes. Ceux-là mêmes qui seraient pour 27% d'entre eux liés à l'«écosystème russophile». Cependant, comme tient à mettre en garde Yannick Harrel, il est particulièrement difficile d'attribuer la paternité d'un compte: «on peut le créer et l'abandonner» insiste-t-il. Il souligne que si les moyens dans la guerre informationnelle ont évolué au cours des siècles, les techniques restent, en gros, les mêmes:

«Avec une ferme de serveurs, on peut très bien opérer un "false flag", un faux drapeau, c'est-à-dire créer une opération de sorte à faire porter la responsabilité sur un adversaire politique ou une personne que l'on souhaite décrédibiliser, en lui prêtant justement des propos qui lui seraient favorables, mais en révélant qu'il utilise des moyens déloyaux.»

D'autant plus que, comme le souligne notre intervenant, il est «techniquement» possible que de telles «fermes» puissent exister «chez nous», adressant un clin d'œil à la parabole de la paille et de la poutre.

«Maintenant, au gré des aléas géopolitiques, on désigne tel ou tel pays parce qu'on sait aussi qu'il a plus ou moins bonne presse et qu'on ne risque pas grand-chose parce qu'il fait preuve de retenue sur le plan diplomatique.»

Autre point et non des moindres, souligné par Yannick Harrel, l'aspect contre-productif de telles accusations, qu'il s'agisse du plan diplomatique ou de la lutte contre les fermes à trolls, l'expert rappelant que lors du sommet bilatéral américano-russe d'Helsinki, Vladimir Poutine avait rappelé le projet de Donald Trump de mettre en place une unité de cybersécurité conjointe, la Russie étant «contrairement aux idées reçues» elle-même la cible de cyberattaques de grande ampleur. «On n'a pas les modalités, mais je dirais que l'intention politique est là» insiste à notre micro Yannick Harrel.

«Plutôt que l'opprobre, il y a des solutions qui sont beaucoup plus pragmatiques et qui évitent de pénaliser des échanges commerciaux, universitaires ou autres […] pour des raisons qui restent encore à déterminer…»

Par une certaine ironie du sort, on notera que pour l'heure, la seule référence à la Russie apparaissant dans une étude de Nicolas Venderbiest publiée sur Reputatiolab concernant l'affaire Benalla, figure dans une description peu flatteuse des «initiatives suspicieuses du côté de la République en Marche», à savoir un faux compte de la cellule de riposte de LREM. «Toute une série» de «comptes génériques» ou du «cercle d'influence LREM» ayant tenté de noyer l'affaire sur Twitter.

Une étude, des chiffres sur lesquels nous aurions aimé avoir plus de détails de la part Nicolas Venderbiest, qui n'a pour l'heure pas donné suite à notre demande.

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En conclusion, on pourrait presque regretter que Sputnik ne se soit pas plus penché sur cette affaire… dans laquelle il est probable que l'on tentera de nous impliquer… En effet, si «Benalla» est un mot clef qui revient 500 fois sur le site de BFMTV, 487 fois sur celui du Figaro ou encore 240 fois sur celui du Monde, il n'apparaît que 60 fois sur Sputnik et 80 fois sur RT, des scores qui sont même en deçà de ceux du média britannique Daily Mail (82 résultats).

Demeure toutefois une question: un citoyen français placé dans l'«écosystème russophile» après avoir trop retwitté nos articles sur des requins ou des OVNIS peut-il encore partager son opinion sur les réseaux sociaux si celle-ci est contraire à celle du gouvernement?

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