Face au spectre des menaces extérieures, l’Algérie sommée de jouer la continuité

© AFP 2023 RYAD KRAMDI An Algerian reads a newspaper at a bus station next to a banner showing the Algerian flag with a portrait of President Abdelaziz Bouteflika, in the capital Algiers on February 11, 2019, as the country prepares for the upcoming presidential election scheduled for April 18.
An Algerian reads a newspaper at a bus station next to a banner showing the Algerian flag with a portrait of President Abdelaziz Bouteflika, in the capital Algiers on February 11, 2019, as the country prepares for the upcoming presidential election scheduled for April 18. - Sputnik Afrique
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En avril 2019, les Algériens sont appelés à accorder un nouveau vote de gratitude au Président sortant. Abdelaziz Bouteflika est présenté comme le garant de la stabilité du pays contre les menaces extérieures, d’autant plus que son mandat a marqué la fin de la décennie noire, en 2002. Un argument audible pour les jeunes électeurs de 18 ans?

Qui manœuvre en secret pour frapper la stabilité de l’Algérie? Nul ne le sait. Le communiqué de la «Grande Laconique», lu ce lundi à la télévision, demeure muet à ce sujet. Tout au plus sait-on qu’il y a «des tentatives pour porter atteinte à la stabilité et à la sécurité du pays». Ces manœuvres s’inscrivent dans le sillage des «changements géostratégiques sur les plans régionaux et internationaux». Dès lors, les citoyens sont appelés, «plus qu’à aucun autre moment par le passé», à «la vigilance».

On sait, en revanche, qui est le mieux indiqué pour dissiper ces nuages noirs qui s’amoncellent dans les cieux algériens. Il s’agit du Président Abdelaziz Bouteflika, alias la continuité. L’armée «ne fait pas de politique», certes, mais le soutien infaillible de son chef d’État-major, Ahmed Gaïd Salah, au Président n’est pas un secret. Bouteflika est le sauveur tout désigné du pays, de la même façon qu’il est toujours perçu comme l’artisan de la paix après une décennie noire. L’argument est repris en boucle depuis l’annonce officielle de la candidature du Président sortant à un cinquième mandat, le 10 février.

À côté de l’armée, qui sait feutrer son soutien public, des membres du gouvernement ou du parlement, des partis politiques, et jusqu’aux organisations nationales comme celle de la femme algérienne et celle des étudiants, tous vantent les mérites de la «stabilité», et parlent d’une seule voix en faveur de leur candidat.

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​En 2014, c’était encore au nom de «la stabilité» que la candidature de M. Bouteflika avait été plébiscitée par son parti, le FLN, qui sera rejoint en chœur par «les forces vives» de la Nation. C’était toujours au nom «la stabilité» que la Constitution avait été modifiée, en 2008, pour déverrouiller la limitation de deux mandats et ouvrir un boulevard dans la continuité. Historique, l’argument a-t-il vocation à demeurer éternellement payant électoralement?

Le 18 avril prochain, les natifs de 2002, ceux qui n’auront connu d’autre Président que M.Bouteflika, s’apprêtent à voter pour la première fois de leur vie. Ce sont, en effet, les moins sensibles aux vertus de la stabilité. Les affres de la guerre civile leur ont été rapportées par leurs manuels d’histoire ou les témoignages de leurs aînés. Certains d’entre eux sont dernièrement descendus manifester contre un cinquième mandat. D’autres pestent en masse derrière leurs écrans et inondent les réseaux sociaux.

​«Le discours tenu par les partisans de M. Bouteflika illustre, d’ailleurs, la fracture qui existe dans un pays peuplé à hauteur de 75% par des moins de 35 ans, une classe dirigeante faite d’octogénaires et un Président malade. Pas sûr que la stabilité veuille dire grand-chose, aujourd’hui à la nouvelle génération, qui n’a pas connu la guerre civile», analyse Yahia Zoubir, professeur de relations internationales à la Kedge business School Paris, et spécialiste de l’Algérie.

Mais l’argument ne se limite pas à récompenser dans les urnes l’artisan de la Concorde civile en 1999. La rhétorique sait aussi se tourner vers l’avenir. L’Algérie est bien la cible de funestes machinations extérieures. Le Chef d’État-major, Ahmed Gaïd Salah, y faisait allusion il y a quelques semaines, en revenant sur l’attaque terroriste de janvier 2013 dans le complexe gazier de Tiguentourine, dans le sud-est du pays. En avril 2018, des rapports médiatiques évoquaient déjà l’implication de parties présentes «dans plusieurs pays d’Afrique, d’Asie et du Golfe», dans la prise d’otage massive perpétrée par «les Signataires par le sang», un groupe terroriste dissident d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI).

«La menace extérieure, même si elle n’est pas à écarter de nos jours, est un argument qui est repris par le pouvoir algérien depuis 1962», rappelle Yahia Zoubir.

À l’époque, la jeune République était de toutes les causes «anti-impérialistes». Jusqu’à la fin de l’ère Boumediene (1978), Alger se voulait «la Mecque des révolutionnaires», apportant son soutien à ceux qui luttaient contre «l’oppression coloniale ou raciale». Qu’ils soient en Afrique subsaharienne ou en Amérique latine, les révolutionnaires tiers-mondistes trouvaient dans l’Algérie un allié indéfectible.

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Mieux, au cours du siècle dernier, l’Algérie a engagé par deux fois ses troupes contre les Israéliens. En 1967, lors de la guerre des Six Jours, la fin des hostilités a acculé les troupes algériennes envoyées par le Président Houari Boumediene à un retour au bercail. En 1973, toutefois, l’armée algérienne a largement participé aux combats, de façon souvent décisive. Entre les deux guerres, et jusqu’en 1974, les relations diplomatiques avec les États-Unis étaient rompues, à l’initiative du Président Houari Boumediene.

Quarante ans après, alors que la rhétorique sur la menace extérieure commençait à s’essouffler, l’avènement des Printemps arabes, la mondialisation du terrorisme et les interventionnismes ont contribué à lui redonner un nouvel élan… et à favoriser sa réception chez les Algériens.

​Nuancé, Hassan Arab, chercheur et chroniqueur spécialiste d’histoire, distingue la question de la menace extérieure, qui est «réelle», de celle de son instrumentalisation par le pouvoir algérien pour légitimer politiquement un cinquième mandat.

«L’Algérie peut se trouver menacée, au même titre que n’importe quel autre État au monde. Peut-être un peu, plus, vu son positionnement stratégique, les richesses dont elle regorge, sa puissance militaire et son rôle avant-gardiste historique sur la scène diplomatique. Il ne s’agit pas de complotisme, mais de faits, quand on voit ce qui se passe en Libye ou dans d’autres pays de la région. C’est une évidence que l’ingérence est là, et qu’elle n’opère pas au bénéfice des pays concernés!», a déclaré l’analyste algérien à Sputnik.

Sur les derniers mois, la thématique a servi de toile de fond à un certain nombre d’incidents, venus émailler l’actualité algérienne. Du démantèlement d’une cellule d’espionnage au profit d’Israël, l’été dernier, au refoulement de plusieurs «faux-migrants» venus de pays arabes, comme la Syrie ou le Yémen, qui se sont présentés aux frontières sud de l’Algérie, en décembre dernier. À en croire Alger, qui avait accueilli plus de 50.000 migrants syriens pour des raisons humanitaires, il s’agissait, cette fois-ci, d’infiltrations orchestrées «sous le contrôle de groupes armés», ou «soutenues par des capitales arabes», et destinées «à porter atteinte à la sécurité de l’Algérie».

«Il peut y avoir une menace dans le Sud, ou même en provenance d’Israël, confirme pour sa part Yahia Zoubir. Mais, rien dans ces menaces qui ne puisse être conjuré par les institutions algériennes, sécuritaires, politiques, au-delà des hommes qui les dirigent actuellement.

Or, ce à quoi on assiste, en ce moment, c’est à l’agitation d’un épouvantail, par le pouvoir algérien pour faire peur aux Algériens et justifier le verrouillage de la situation sécuritaire s’exerçant contre les manifestants contre le cinquième mandat. On veut à tout prix faire passer ce cinquième mandat Bouteflika, présenté comme le garant de la stabilité. Or, c’est ce passage en force du cinquième mandat qui peut causer l’insécurité et les ingérences étrangères potentielles.»

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Les conditions d’une véritable stabilité sont encore moins évidentes à faire valoir sur un autre volet, celui de l’économie. En dépit d’une relance palpable qui a accompagné les trois premiers mandats de M. Bouteflika, l’Algérie patauge, depuis la dégringolade des prix du baril en 2014, dans des difficultés économiques. En novembre dernier, l’ONG International Crisis Group s’alarmait de «la paralysie économique de l’Algérie», menacée par une nouvelle crise. En cause, «un modèle à bout de souffle», basé, quasi exclusivement sur les hydrocarbures. Également dans le viseur de l’ONG, «la paralysie politique» renforcée par des groupes d’intérêts défendant «le statu quo». Le comble de la stabilité?

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