Corruption et fraude en Libye: au Canada, SNC-Lavalin toujours sur la sellette

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Justin Trudeau est dans l'eau chaude depuis l'éclatement d'un scandale lié à une affaire d'ingérence. Le Premier ministre est soupçonné d'avoir outrepassé ses pouvoirs en tentant de sauver une entreprise québécoise accusée de corruption en Libye. Quelles sont les origines de cette affaire? Et quelles répercussions pour Trudeau?

L'affaire remonte au 14 janvier 2019, lors du dernier remaniement ministériel du gouvernement Trudeau. L'ancienne ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, est reléguée au ministère des Anciens combattants. Il s'agit alors d'une forme de sanction: Mme Wilson-Raybould est reléguée à un ministère beaucoup moins important. Pourtant, la compétence de la ministre n'avait jamais vraiment été remise en cause. Pourquoi est-elle rétrogradée?

Le jour même du remaniement, la nouvelle ministre des Anciens combattants publie une lettre dans laquelle elle réaffirme l'importance de la séparation des pouvoirs. Sur son site internet de député, elle insiste sur l'indépendance du ministre de la Justice, qui est aussi le procureur général du Canada. À l'époque, personne ne comprend vraiment l'intention de Mme Wilson-Raybould.

«Le rôle du procureur général du Canada comporte des responsabilités uniques en matière de respect de la primauté du droit et d'administration de la justice. Il exige par conséquent une certaine indépendance. Notre système de justice doit être exempt de toute ingérence politique et préserver la plus grande confiance du public, ce qui est l'un des piliers de notre démocratie», souligne Jody Wilson-Raybould dans sa lettre datée du 14 janvier 2019.

Le 7 février, le journal canadien The Globe and Mail publie des allégations-chocs: le bureau de Justin Trudeau aurait fait pression sur cette ministre pour qu'elle fasse suspendre le procès intenté à SNC-Lavalin. Il s'agit d'une des plus grandes firmes d'ingénierie dans le monde, dont le siège social est situé à Montréal. Cette entreprise a été accusée de fraude et de corruption en février 2015 par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Les activités de l'entreprise en Libye faisaient depuis longtemps l'objet d'une enquête. Corruption et fraude font partie des accusations.

«La corruption d'agents publics étrangers nuit à la bonne gouvernance et au développement économique durable. […] Les accusations déposées aujourd'hui montrent que la GRC continue d'appuyer les engagements internationaux du Canada et à préserver son intégrité et sa réputation», expliquait à l'époque le commandant de la division nationale de la GRC, Gilles Michaud.

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On comprend donc mieux la lettre de Mme Wilson-Raybould: le bureau du Premier ministre aurait outrepassé ses pouvoirs en s'ingérant dans une affaire relevant de la justice. Des gens dans l'entourage de Justin Trudeau auraient demandé que le procureur général du Canada trouve un règlement à l'amiable avec l'entreprise québécoise. L'ingérence du pouvoir exécutif dans un dossier relevant de la justice est pourtant interdit par la loi, même si la frontière reste mince entre ingérence et action gouvernementale. En publiant sa lettre, la ministre souhaitait prendre ses distances avec le bureau de Justin Trudeau.

Le procès de l'entreprise a débuté en octobre 2018 avant d'être en bonne partie interrompu. Le groupe SNC-Lavalin est notamment accusé d'avoir versé 48 millions de dollars canadiens (32 millions d'euros) à des fonctionnaires en Libye. Récemment, deux anciens cadres de l'entreprise bénéficiaient de l'arrêt des procédures en raison des délais trop longs. Au Canada, un arrêt de la Cour suprême fixe à 30 mois le délai maximal à l'intérieur duquel doit se tenir un procès criminel devant la Cour supérieure.

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Le groupe SNC-Lavalin et ses filiales sont aussi accusés d'avoir fraudé l'État libyen pour 130 millions de dollars canadiens (87 millions d'euros). Ces 30 dernières années, SNC-Lavalin a obtenu des dizaines de contrats publics en Libye, qui totalisent plusieurs milliards de dollars. L'entreprise québécoise avait développé des liens étroits avec Saadi Kadhafi, l'un des fils du défunt dirigeant Mouammar Kadhafi. Selon la GRC, Saadi Kadhafi est l'une des personnes impliquées ayant le plus bénéficié des pots de vins versés par la firme.

En 2015, cette affaire avait déjà fait grand bruit au Canada, lorsque la GRC avait officiellement porté des accusations contre SNC-Lavalin. L'entreprise faisait toutefois parler d'elle depuis 2012 en raison de ses liens avec la Libye, lesquels commençaient à faire l'objet de soupçons. L'affaire a rebondi à nouveau dans les médias quand The Globe and Mail a publié ses allégations le 7 février dernier.

Une entreprise qui fait les manchettes depuis 2012

Jody Wilson-Raybould a démissionné de son poste de ministre des Anciens combattants le 17 févier. Elle est maintenant tenue de garder le silence sur cette affaire en regard de la loi. Pour ajouter aux soupçons qui pesaient déjà sur le gouvernement, le principal conseiller de Justin Trudeau, Gerald Butts, démissionnait à son tour le lendemain. Ce dernier assure toujours ne pas avoir tenté d'influencer Mme Wilson-Raybould. Une version des faits qui manque de crédibilité selon l'opposition officielle et de nombreux éditorialistes.

Le chef de l'opposition officielle, Andrew Scheer, estime d'ailleurs que Justin Trudeau agit «comme quelqu'un qui a quelque chose à cacher» depuis la démission de son principal conseiller.

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En avril 2018, le gouvernement Trudeau avait amendé le code criminel pour qu'un accord de réparation (APS) soit conclu entre le gouvernement et SNC-Lavalin. Parfois utilisé aux États-Unis, cet accord devait permettre de suspendre les poursuites pénales intentées contre l'entreprise. Cette entente n'a toutefois pas été conclue. Jody Wilson-Raybould a-t-elle empêché que ne soit signé cet accord avant de quitter la Justice?

Le scandale SCN-Lavalin nuit au Premier ministre canadien dans les sondages, lui qui doit être sur le point de déclencher la prochaine campagne électorale. Les partis d'opposition réussiront-ils à surfer sur cette affaire jusqu'aux élections prévues au plus tard à l'automne 2019? Dans tous les cas, l'image de Justin Trudeau en est affectée.

Ce scandale révèle aussi l'immense importance de cette firme d'ingénierie dans l'économie canadienne et même mondiale. SNC-Lavalin fournit des emplois à 3.000 personnes au Québec et à plus de 50.000 autres un peu partout dans le monde. Si l'entreprise était reconnue coupable de fraude et de corruption, ces emplois seraient probablement menacés.

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