Avec son projet de loi controversé sur la laïcité, Legault gagne à tous coups au Québec

© Sputnik . Jérôme Blanchet-GravelL'aile sud de l'Assemblée nationale du Québec, dans la ville de Québec (2019)
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Le gouvernement Legault n'a pas fini de braver les tempêtes au Québec. Il vient de déposer une loi interdisant le port de signes religieux pour certains employés de l'État, ce qui lui vaut de nombreuses accusations de racisme. Pourtant, depuis plusieurs années, une majorité de Québécois est favorable au projet. L'analyse de Sputnik.

L'opposition est aussi rude que le soutien massif. Ce n'est que l'un des paradoxes apparents du projet de loi soutenu par François Legault, le nouveau Premier ministre du Québec. Son ministre de l'Immigration, Simon Jolin-Barrette, vient en effet de déposer un projet de loi interdisant le port de signes religieux pour certains employés de l'État. Un projet de loi jugé controversé, qui vaut déjà au gouvernement de graves accusations de racisme.

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Le projet de loi devrait empêcher les policiers, gardiens de prison, juges et enseignants d'afficher leurs croyances religieuses au travail. Contrairement à l'ancien projet du Parti québécois (PQ), celui-ci n'interdira pas le port de signes religieux à tous les employés de l'État, mais seulement à ces catégories. La position de la Coalition Avenir Québec (CAQ) représente donc un compromis. 70% des Québécois étaient d'ailleurs favorables au projet. En 2015, ils étaient 59% à appuyer la proposition plus ambitieuse du PQ.

Un projet de loi consensuel, mais controversé

Le débat sur la laïcité fait rage depuis plus de dix ans au Québec. En déposant cette loi, le gouvernement Legault tourne une page d'histoire. En 2007, une commission avait été mise sur pied pour trouver des solutions aux problèmes soulevés par la demande croissante d'accommodements religieux. Dirigée par le philosophe Charles Taylor et le sociologue Gérard Bouchard, la commission avait déposé son rapport en 2008. Le projet de la CAQ correspond essentiellement aux recommandations du rapport.

«Le projet de loi propose d'interdire le port d'un signe religieux à certaines personnes dans l'exercice de leurs fonctions. Toutefois, il prévoit que cette interdiction ne s'applique pas à certaines personnes en poste au moment de la présentation du projet de loi selon les conditions qu'il précise», peut-on notamment lire dans son préambule.

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Les personnes qui portaient déjà des signes religieux ne perdront pas leur emploi. Cette protection est toutefois loin d'être suffisante pour les partisans du multiculturalisme canadien. Plusieurs organismes et politiciens sont déjà montés au créneau: ils accusent le gouvernement d'alimenter l'intolérance et surtout, d'exclure les minorités culturelles des postes visés. Le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, fait partie des critiques. Il est selon lui «impensable» qu'une «société libre légitime la discrimination contre quiconque basée sur la religion».

«Le Canada est un pays laïc, qui respecte profondément les libertés individuelles, y compris la liberté d'expression, la liberté de conscience et de religion. Le Québec aussi», a averti Justin Trudeau lors d'un point de presse à Halifax.

Il était prévisible qu'Ottawa critique le choix du Québec de légiférer en matière de laïcité. La vision du gouvernement fédéral demeure à des années-lumière de celle du gouvernement Legault. Cette divergence s'explique surtout par la culture: dans l'ensemble, les Québécois francophones sont beaucoup plus favorables à la laïcité que les Canadiens anglais. Dans les provinces anglophones, la laïcité est systématiquement associée à une violation des droits individuels.

«Le Canada est déjà un pays laïc. Cela se reflète dans toutes nos grandes institutions. Les gouvernements devraient travailler à protéger nos droits fondamentaux plutôt que de les éroder», a écrit sur Twitter Cameron Ahmad, le directeur des communications du Premier ministre.

Des affrontements sont à prévoir entre le gouvernement fédéral et le gouvernement Legault, car le projet pourrait être jugé anticonstitutionnel par la Cour suprême. Le maire de Montréal, Valérie Plante, estime d'ailleurs que le gouvernement «s'engage sur une pente glissante en contournant les Chartes de droits et liberté». Pour qu'elle soit appliquée, la loi devra passer sous les fourches caudines des plus hautes juridictions.

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Il faut bien comprendre que le projet de loi s'inscrit également dans une perspective nationaliste. La laïcité permet d'affirmer l'identité québécoise à l'intérieur de la fédération, ce qui déplaît beaucoup à certains défenseurs de l'unité canadienne. Depuis la montée du mouvement souverainiste dans les années 1970, l'affirmation des Québécois est mal perçue par le gouvernement fédéral. Leur affirmation l'est encore plus depuis que le Canada a intégré le multiculturalisme à sa Constitution en 1982.

Si le gouvernement Legault échouait à faire passer sa loi, il n'est pas impossible que le mouvement souverainiste connaisse un regain de vitalité. Peu importe l'issue de l'affrontement à venir, François Legault devrait en sortir gagnant. Si sa loi est validée par la Cour suprême, Legault serait considéré comme l'un des grands architectes de la laïcité québécoise. Et si son projet était rejeté, il serait vu comme un Premier ministre ayant relancé le mouvement nationaliste. Dans un cas comme dans l'autre, il aura marqué l'histoire de la Belle Province.

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