Pourquoi le billet vert perd-il son statut de monnaie de réserve mondiale?

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La plus grande contrée du monde renonce progressivement au dollar se tournant d’avantage vers la devise chinoise, peut-on juger en suivant l’activité de la Banque de Russie. Cette tendance se poursuivra-t-elle et quid de la situation du dollar dans d’autres pays?

En un an, la Banque de Russie a multiplié par 17 la part du yuan dans ses réserves de change. Rien qu'au troisième trimestre 2018, cet indicateur a augmenté de 11,6 à 13,6% dans le portefeuille de la Banque centrale, pour atteindre 62,5 milliards de dollars. Dans le même temps, la part des actifs américains a été divisée par deux pour passer de 46,2 à 22,6%. Pourquoi la Russie remplace-t-elle ses actifs en dollars par le yuan et est-elle la seule à y renoncer?

Des réserves pour le commerce

La Chine est devenue de facto la plus importante destination des investissements de change russes, indique la «Revue sur l'activité de la Banque de Russie pour la gestion d'actifs en devises étrangères et en or». Si, à l'automne 2017, les actifs chinois représentaient seulement 0,9% des réserves de change (moins de 4 milliards de dollars), un an plus tard ce chiffre avait atteint 13,6%, soit 62,5 milliards de dollars (le total des réserves de change en septembre 2018 s'élevait à 459,7 milliards de dollars).

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Au final, les obligations chinoises sont devenues le troisième actif le plus important dans le portefeuille de la Banque de Russie, repoussant à la quatrième place les obligations allemandes (12,2%), derrière les actifs français (15,1%) et l'or (16,6%).

La Banque centrale publie des rapports sur la structure des réserves de change avec six mois de délai parce que le marché monétaire est très sensible à cette information. Il est fort probable qu'au cours des derniers mois la part du yuan dans les réserves de la Banque de Russie ait encore augmenté.

À cela contribue le développement actif du commerce entre la Russie et la Chine dans un contexte où Washington tente de leur imposer ses règles. L'an dernier, les échanges russo-chinois ont augmenté de 27,1% pour dépasser la barre des 100 milliards de dollars. En 2019 ce rythme pourrait même accélérer parce que la guerre commerciale américano-chinoise force Pékin à renoncer aux produits américains et à leur trouver une substitution dans d'autres pays, notamment en Russie.

En particulier, après une interruption de 15 ans, le gouvernement chinois a autorisé en février les compagnies russes à livrer de la volaille en Chine. La liste officielle des compagnies russes du secteur ayant reçu le droit d'envoyer leurs produits en Chine inclut 23 entreprises, dont Tcherkizovo, Miratorg, Prioskolie, ainsi que Damata et Krasnobor spécialisées dans la dinde.

Bousculer les Américains sur le marché

Désormais, ce sont les producteurs de porc et de produits laitiers russes qui attendent l'ouverture du marché chinois. En 2017, les États-Unis assuraient près d'un tiers des fournitures de porc en Chine: neuf porcs sur dix exportés par les fermiers américains partaient en Chine.

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Mais depuis l'adoption de taxes sur les produits agricoles américains, les importations chinoises de porc de ce pays ont été divisées par deux, rapporte la direction des douanes de cet État asiatique. Ce qui représente une bonne opportunité pour les éleveurs de porc russes d’occuper la niche jusqu’à récemment occupée par les Américains sur le marché chinois.

La même situation a touché les producteurs de soja. Avant le début de la guerre commerciale, les États-Unis étaient le plus grand fournisseur de cette marchandise en Chine avec près de 60% des importations agricoles totales en provenance des USA. Mais avec le décret de taxes rédhibitoires, la part des fèves de soja a été divisée par 50. Au contraire, les fournitures russes ont commencé à augmenter.

«Les exportations de soja de Russie ont augmenté de 35% en un an —  un record — dont 97% vers la Chine. Concernant les produits transformés à base de soja, nous notons un maintien des tendances des années antérieures: l'huile de soja progresse également sur le marché chinois. A l'issue de la saison 2018/2019 nous constaterons très probablement un nouveau record des exportations russes, qui avaient déjà atteint leur niveau maximal un an plus tôt avec 566.000 tonnes expédiées à l'étranger», stipule un rapport de l'Institut de conjoncture des marchés agricoles.

Le projet national russe «Exportation des produits agricoles» prévoit un doublement des fournitures en Chine d'ici 2024, jusqu'à 9,5 milliards de dollars. Dans le même temps augmentent les exportations russes d'hydrocarbures, de bois, de produits métalliques, chimiques et de denrées alimentaires en Chine.

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Le premier ministre russe Dmitri Medvedev a déclaré fin 2018 que la Russie avait l'intention d'accroître ses échanges avec la Chine jusqu'à 200 milliards de dollars par an. Dans cette situation, la hausse de la part du yuan dans les réserves de la Banque de Russie paraît logique, tout comme les efforts des deux pays pour renoncer à l'utilisation du dollar dans leurs échanges bilatéraux.

«Plusieurs de nos banques se sont déjà connectées au système chinois CIPS — China International Payments System, ce qui a permis de simplifier la procédure d'acheminement des paiements», a déclaré récemment Vladimir Chapovalov, chef de la direction des relations avec les régulateurs étrangers du département de la coopération internationale de la Banque centrale, lors du 8e forum international Russie-Chine.

Et d'ajouter que la Banque de Russie avait créé un système de transfert des messages financiers SPFS similaire au SWIFT. «Sa version d'exportation a été présentée fin 2018, notamment en Chine», a déclaré le responsable du régulateur, qui a également souligné que l'abandon du SWIFT dans les paiements bilatéraux permettrait de s'affranchir du dollar et donc de «faciliter le service des échanges entre la Russie et la Chine».

Contourner les sanctions

L'Europe se prépare également à réviser l’usage du dollar. Ce 31 mars, la Commission européenne a terminé le recueil des avis d'experts et des positions des pays de l'UE concernant le passage du dollar à l'euro pour les paiements des hydrocarbures. Cette initiative a été avancée en décembre par le commissaire européen au climat et à l'énergie Miguel Arias Canete.

«L'UE importe 34% d'hydrocarbures de Russie, 33% du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, 20% de Norvège et 2% des États-Unis, mais malgré tout 85% des contrats d'importation sont libellés en dollars», a-t-il déclaré. Selon le commissaire européen, cela crée des risques monétaires supplémentaires pour les compagnies énergétiques européennes et pourrait entraîner des problèmes dans les opérations entre les pays de l'UE et les sous-traitants si les USA décrétaient des sanctions économiques contre ces derniers.

Après avoir analysé tous les avis, la Commission européenne doit mettre au point des recommandations pour renoncer progressivement à l'usage du dollar. Elles incluront certainement une large application du «mécanisme de soutien aux échanges commerciaux» (INSTEX), spécialement élaboré par l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni pour contourner les sanctions anti-iraniennes de Donald Trump.

INSTEX permet que les paiements pour le pétrole et d'autres produits importés d'Iran par les Européens soient versés sur le compte d'une compagnie spécialement créée pour acheter en Europe les produits et les services destinés à l'économie iranienne et les envoyer à Téhéran.

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Le principe de travail fondamental d'INSTEX est l'anonymat des sous-traitants: la compagnie n'a pas l'intention de révéler l'identité de ses partenaires en Europe, ce qui leur évitera le risque d'être frappés par les sanctions secondaires des États-Unis.

De plus, le dollar ne sera pas utilisé pour ces paiements afin d'empêcher le Trésor américain de retracer leur mouvement. «Les opérations en euros ou en livres ne seront pas visibles pour les autorités américaines», reconnaît l'agence Bloomberg.

Bien que la création d'INSTEX ait été officiellement annoncée fin janvier, aucune information sur son utilisation pratique n'a encore été rapportée (pas même par Téhéran). Mais la situation pourrait changer d'ici un mois.

D'après l'agence de presse Reuters, Washington compte durcir début mai les sanctions contre l'Iran en réduisant la liste des pays autorisés à acheter le pétrole iranien. En particulier, il est prévu d'interdire les échanges avec l'Iran à l'Italie et à la Grèce, qui étaient jusqu'à présent les seuls pays de l'UE à bénéficier de conditions préférentielles. Dans ce cas, la détermination des Européens à renoncer au dollar pour actionner à pleine puissance le mécanisme INSTEX augmenterait significativement.

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