«Torture, détentions secrètes», un nouveau rapport de HRW tacle le Cameroun

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Human Rights Watch a dénoncé dans un nouveau rapport «un recours régulier à la torture et à la détention au secret» des autorités camerounaises contre des séparatistes anglophones. Ce document arrive dans un contexte déjà tendu entre le Cameroun et l'ONG, qui a indiqué le 2 mai que l'une de ses chercheuses avait été interdite d'accès dans le pays.

«Les autorités camerounaises ont torturé et détenu au secret des personnes dans un centre de détention à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Des gendarmes et d'autres forces de sécurité au Secrétariat d'État à la défense (SED) ont pratiqué de graves passages à tabac et des quasi-noyades pour obtenir des aveux de détenus suspectés d'avoir des liens avec des groupes séparatistes armés», peut-on lire dans un nouveau rapport de l'organisation de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch (HRW), rendu public le lundi 6 mai.

«Torture et détentions secrètes», des pratiques bien connues et longtemps décriées par Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du REDHAC (Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique Centrale), qui l'atteste dans un entretien à Sputnik.

«Ce que Human Rights Watch a dit dans son rapport, c'est ce que nous dénoncions déjà bien avant 2016, avec les détentions secrètes des présumés terroristes de la secte Boko Haram. Le RHEDAC confirme qu'il y a bel et bien au Cameroun des tortures et des détentions secrètes. Il s'agit des prisons non conventionnelles. Au Cameroun, vous avez le GSO [Groupement spécial des opérations, une unité d'élite de la police Ndlr], le SED… c'est une pratique innée chez les autorités camerounaises», s'insurge Maximilienne Ngo Mbe au micro de Sputnik.

Elle rajoute que «ceux qui le pratiquent disent très souvent que l'ordre vient de Yaoundé. Généralement, quand les forces de l'ordre vous arrêtent n'importe où dans le pays, elles demandent d'abord aux autorités administratives ce qu'on fera de votre cas. C'est l'exécutif qui décide du lieu de votre détention».
Pour cette militante des droits humains,

«les abus de pouvoir au Cameroun sont légion. Même nous, les défenseurs des droits de l'homme, sommes suivis au quotidien par des services de renseignement. Entre autres cas d'abus, nous avons des cas d'arrestation sans mandat, pas de respect des délais de garde à vue. Vous avez des personnes qui surviennent chez vous, vous arrêtent et vous amènent à Yaoundé sans respect d'aucune procédure légale. Nous l'avons vécu avec l'arrestation de Maurice Kamto et de ses partisans au domicile d'Albert Dzongang à Douala. Tout ça, c'est parce qu'il n y a pas de séparation des pouvoirs», rajoute Mme Ngo Mbe.

Dans son rapport, HRW condamne l'ensemble des exactions commises sur des personnes suspectées de faire partie des séparatistes anglophones impliquées dans la violente crise sécessionniste qui secoue les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun depuis deux ans.

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«Au cours de l'année passée, les forces de sécurité au Cameroun ont recouru à la torture sans crainte de répercussions», a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à HRW.

L'ONG dit avoir documenté 26 cas de détention au secret et de disparitions forcées au centre de détention du SED entre janvier 2018 et janvier 2019, dont 14 cas de torture. Elle demande au conseil de sécurité de l'Onu de mettre la situation du Cameroun à son ordre du jour et de condamner ces actes.

«Le Conseil de sécurité de l'Onu devrait envoyer un message clair indiquant que la cessation de la torture en détention est capitale pour répondre à la crise dans les régions anglophones», poursuit Lewis Mudge.

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L'ONG n'épargne pas non plus l'autre camp. En effet,

HRW accuse les séparatistes armés d'avoir «commis de graves abus, y compris des attaques contre des écoles, des meurtres, des enlèvements et de l'extorsion. […] Les leaders séparatistes devraient donner des ordres clairs pour empêcher les combattants d'attaquer des civils et de maltraiter les personnes qu'ils détiennent.»

Les autorités camerounaises ont très souvent accusé l'ONG de «parti-pris». Au sujet de l'un des derniers rapports de HRW, pointant du doigt les exactions présumées de l'armée camerounaise sur les civils dans les régions anglophones, René Emmanuel Sadi, porte parole du gouvernement, avait contre-attaqué le 2 avril dernier, en affirmant que

«Le Gouvernement camerounais rejette catégoriquement ces accusations, portées inconsidérément contre des Forces républicaines, engagées dans un combat pour la préservation de l'intégrité territoriale de l'État et la protection des personnes et des biens, dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et ce conformément à leurs obligations régaliennes, dans le strict respect des conventions internationales en matière des droits de l'Homme, et parfaitement conscientes de leur responsabilité.»

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Il semble en tout cas que l'accumulation de rapports de HRW agace Yaoundé. Mi-avril, une chercheuse de HRW, qui travaille sur la crise anglophone, a été refoulée à l'aéroport international de Douala, a-t-on appris dans un communiqué de l'organisation rendu public le 2 mai.

«Le 12 avril, les agents de l'aéroport international de Douala ont interdit à Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior de Human Rights Watch sur l'Afrique centrale, d'entrer dans le pays»,sans lui donner aucune explication, a déploré l'ONG.«Interdire à notre chercheuse d'entrer sur le territoire constitue clairement un pas en arrière pour le Cameroun», a déploré Philippe Bolopion, l'un des responsables de l'organisation.

L'ONG a rappelé dans ce communiqué que deux jours avant que Mme Allegrozzi soit interdite d'entrer sur le territoire, HRW avait publié un rapport faisant état d'une attaque menée par des forces camerounaises dans un village situé en zone anglophone, qui avait fait cinq morts.

«La réaction du gouvernement vient confirmer qu'il a du mal à gérer les pressions de l'Union européenne et des États-Unis d'Amérique en ce qui concerne les violations des droits de l'homme et la crise humanitaire dans les régions anglophones.
Human Rights Watch est l'une des organisations, parmi plusieurs autres, qui a fourni de nombreux détails sur les violations fréquentes des droits de l'homme commises par le gouvernement camerounais, en particulier les arrestations illégales et arbitraires de dirigeants de l'opposition. Tout indique que le gouvernement camerounais semble être très gêné et incapable de rendre aux leaders de l'opposition un procès équitable», explique au micro de Sputnik, Immanuel Bumakor, expert en relations internationales.

Le spécialiste revient sur ces mauvais signaux qui viennent de Yaoundé.

«L'attitude du gouvernement ne va pas contribuer à améliorer les relations déjà mauvaises avec la communauté internationale. Et le monde entier a toutes les raisons de penser que le régime de Biya est illégitime. C'est pour cette raison que davantage d'actions de la part de la communauté internationale seront entreprises, car nous pouvons constater que le Conseil de sécurité des Nations unies est déjà attentif à ce qui se passe au Cameroun», conclut Immanuel Bumakor.

S'exprimant sur la situation des droits de l'homme au Cameroun, Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, de retour d'une visite de quatre jours au Cameroun, a déclaré lundi 6 mai que «les civils pris au piège» entre les séparatistes et les forces gouvernementales étaient «de plus en plus vulnérables aux abus meurtriers et aux violations perpétrées de part et d'autre».

«Les forces armées doivent gagner et conserver la confiance des populations locales. Pour ce faire, elles doivent respecter scrupuleusement le cadre du droit et des normes internationales», a-t-elle ajouté dans son communiqué reçu par Sputnik.

 

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