Censure dans les universités canadiennes? «La liberté d’expression est théorique»

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Manifestations, pressions, conférences annulées: la liberté d’expression est-elle menacée dans les universités canadiennes? Des politiciens et des acteurs du milieu universitaire l’affirment. Une situation préoccupante? Sputnik a parlé à Adrien Pouliot, chef du Parti conservateur du Québec, et Robert Leroux, professeur à l’Université d’Ottawa.

Les temps sont-ils durs pour les amoureux du débat au Canada? Dans son récent essai intitulé University Commons Divided, l’ancien recteur de l’Université de Saskatchewan, Peter MacKinnon, s’inquiète des récents cas de censure sur les campus. Son propos fait écho à l’histoire de Lindsay Shepherd, une ex-étudiante à la maîtrise de l’Université Laurier, en Ontario. En novembre 2017, Mme Shepherd a été recadrée pour avoir présenté, dans un cours qu’elle donnait, le point de vue du penseur controversé Jordan Peterson sur les pronoms «non-genrés». Mme Shepherd réclame maintenant 3,6 millions de dollars canadiens (2,3 millions d’euros) à l’Université Laurier pour avoir été muselée et jugée «transphobe». Elle est presque devenue une icône au pays de l’érable.

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Le président de la Société pour la liberté universitaire et la recherche du Canada, Mark Spencer, a vu cette histoire d’un très mauvais œil. Il observe que des personnes tentent d’imposer leurs vues à l’ensemble de la communauté académique. Au cœur de leurs revendications, la diversité, les droits LGBT et l’environnement.

«Nos universités publiques commencent à bien des égards à ressembler aux universités confessionnelles investies d’une mission idéologique, la différence étant qu’elles s’emploient à former non pas de bons chrétiens, mais des personnes à l’attitude “socialement acceptable” en matière de diversité, de protection de l’environnement, etc.», affirmait M. Spencer à la revue Affaires universitaires en octobre 2018.

Certains politiciens font le même constat. Le Premier ministre conservateur de l’Ontario, Doug Ford, a déjà imposé des règles aux universités de sa province pour y protéger le débat. Avant d’être réalisé, ce projet a été salué par le chef du Parti conservateur du Canada, Andrew Scheer.

​Le 6 mai dernier, le nouveau Premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a déclaré qu’il souscrivait à la vision de ses homologues. M. Kenney a annoncé que les universités albertaines devraient se conformer à la déclaration de Chicago. Adoptée en 2014 par le Comité sur la liberté d’expression de l’Université de Chicago, cette déclaration veut «garantir à tous les membres de la communauté universitaire la plus grande latitude possible pour parler, écrire, écouter, débattre et apprendre». À ce jour aux États-Unis, au moins soixante établissements ont adopté cette résolution en faveur du free speech.

​Au Canada anglais, si certains politiciens se disent préoccupés par cette situation, au Québec, c’est presque silence radio. Dans la Belle Province, le seul parti à s’intéresser officiellement à ce dossier est le Parti conservateur du Québec, qui n’est pas représenté à l’Assemblée nationale (1,46% des voix aux dernières élections).

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En entrevue avec Sputnik, le chef de ce parti, Adrien Pouliot, a plaidé pour une plus grande diversité d’opinions dans les milieux d’enseignement:

«Ce qui est assez hallucinant, c’est que ce phénomène se déroule dans les universités. S’il y a bien une place où ça [la censure, ndlr] ne devrait pas exister, c’est bien à l’université. Tout le concept de l’université est justement d’apprendre, de débattre et de discuter», s’est indigné le politicien en entrevue avec Sputnik France.

Lors de leur dernier congrès il y a deux mois, les militants du Parti conservateur du Québec ont adopté une résolution en faveur de la déclaration de Chicago. Cette initiative est venue de la base militante du parti.

«Nous sommes pour une reddition de comptes de la part des universités à ce niveau-là. Nous voudrions comprendre la dynamique qui fait en sorte que la liberté d’expression n’est pas respectée», a affirmé Adrien Pouliot.

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Ces dernières années, des groupes militants ont réussi à faire annuler des conférences sur les campus, affirmant que leurs thèmes nourrissaient l’intolérance. Au Québec, l’Université du Québec à Montréal fait maintenant l’objet d’une attention particulière pour cette raison. En novembre 2016, une conférence sur les «genres et transidentités» a dû y être annulée après avoir été dénoncée par le Conseil québécois LGBT. Cet organisme avait déploré la «déshumanisation des personnes trans». En 2017, une expérience sur la liberté d’expression dans cet établissement a également semé la controverse, après s’être révélée négative.

​M. Pouliot considère que la liberté d’expression ne doit pas servir à cautionner de propos violents, à l’université comme ailleurs. En revanche, il estime que le concept de «discours haineux» sert parfois à censurer des arguments légitimes.

«Il y a des limites à la liberté d’expression. Toutefois, la définition du discours haineux n’est pas claire et peut être élargie assez facilement. J’ai un peu de difficulté avec les lois qui encadrent le discours haineux. Je ne suis pas pour les discours haineux, mais je crois que les gens sont capables de faire la distinction entre des discours légitimes et d’autres qui poussent à commettre des crimes. La question du discours haineux devient assez subjective. On a tourné à l’envers cet argument-là pour empêcher toutes sortes de discours», a ajouté le chef du Parti conservateur du Québec.

Cette vision tranche avec celle de l’Association facultaire étudiante des sciences humaines de l’Université du Québec à Montréal. Dans un communiqué diffusé en mars 2017, cette association affirmait que la perturbation d’événements ne brimait pas la liberté de parole des conférenciers connus du public:

«Le concept de liberté d’expression et celui de censure ne peuvent être analysés en dehors des rapports de pouvoir. La liberté d’expression vise à accorder aux personnes, autres que celles qui détiennent le pouvoir et l’autorité, le droit de s’exprimer et de manifester leur désaccord sans vivre de répression. Ainsi, il est absurde d’affirmer que la liberté d’expression des personnes qui ont des tribunes médiatiques quotidiennes soit menacée», pouvait-on lire sur la page Facebook de l’association.

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Que les conférenciers soient populaires ou non, le sociologue Robert Leroux s’inquiète de ce climat de censure. Professeur à l’Université d’Ottawa, en 2008, il a reçu le prix Charles Dupin de l’Académie des sciences morales et politiques de Paris pour son livre Lire Bastiat. Il se base sur sa propre expérience pour tirer ses conclusions, qui vont au rebours des discours des «social justice warriors»:

«Quand vous êtes contre l’univers dominant, on ne vous écoute pas, on vous censure, on refuse de vous accorder des privilèges, on fait toutes sortes de choses dans ce genre. Pour être accepté, il faut s’intéresser aux sujets à la mode comme l’environnement, les minorités et les Autochtones. Il y a quelques thèmes comme ça qui sont devenus incontournables», a affirmé M. Leroux à Sputnik.

M. Leroux est d’accord pour que les universités se conforment aux principes de Chicago, mais reste sceptique quant aux effets concrets de cette démarche. Il doute que les mesures prises par les États ne soient suffisantes pour préserver un débat de qualité. Toutefois, il précise que certains départements restent plus favorables aux idées divergentes.

«Toutes les universités diront qu’elles respectent la liberté d’expression. La logique, c’est “‘tu es libre de penser tant et aussi longtemps que tu penses comme tout le monde”’. […] On ne pourra pas plus dire qu’on est contre l’immigration massive sans passer pour xénophobe. On va continuer à tout déformer. Il faut suivre le courant, sinon on en paye le prix. La liberté d’expression est quelque chose de théorique. […] Par contre, certains départements restent plus ouverts que d’autres. La sociologie, par exemple, est très idéologique», s’est désolé le représentant de cette discipline.

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