L’Onu se saisit de la crise séparatiste au Cameroun, Paul Biya s’ouvre au dialogue

© AP Photo / Pablo Martinez MonsivaisConseil de sécurité de l'Onu
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Alors qu’une réunion du Conseil de sécurité de l’Onu s’est tenue le 13 mai sur la crise humanitaire au Cameroun, Paul Biya tente de son côté de montrer qu’il contrôle la situation. Il a annoncé par la voix de son Premier ministre son intention de dialoguer avec les séparatistes. Une option qui tranche avec l’intransigeance affichée jusqu’alors.

Fut-elle informelle, la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies sur les droits de l’homme au Cameroun en général et la crise anglophone en particulier, le 13 mai, aura déjà fait bouger les lignes.

«Les réunions informelles du Conseil de sécurité ne sont que des étapes préliminaires pour juger de l’importance d’agir en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain et de la volonté des parties en conflit de créer un environnement propice à la résolution pacifique du conflit. Dans cette situation, les rapports d’acteurs tiers, tels que les organisations internationales, ont beaucoup d’importance et sont susceptibles d’influencer la manière dont le Conseil de sécurité réagira à l’avenir», commente Wanah Immanuel Bumakor, expert des relations internationales, au micro de Sputnik.

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À la demande des États-Unis, le conflit séparatiste qui sévit dans les deux régions anglophones du Cameroun depuis deux ans a été abordé aux Nations unies lundi 13 mai. Même si la consultation est informelle, il n’en demeure pas moins que pour la première fois depuis son qu’elle a éclatée en octobre 2016, la crise qui sévit dans régions anglophones du Cameroun sort de son huis clos pour être abordée dans cette institution Onusienne.

«Il ne fait aucun doute que la crise va prendre une tournure considérable en ce qui concerne l’attention croissante portée par la communauté internationale au Cameroun. Cela pourrait également avoir un impact important étant donné que ce sont les États-Unis d’Amérique qui semblent avoir initié la réunion. Cela montre que la réaction du gouvernement à la communauté internationale face à la crise humanitaire dans les régions anglophones n’a pas été satisfaisante. Et comme la situation continue de se détériorer sur le terrain, la communauté internationale n’est pas prête à rester silencieuse face à la crise humanitaire au Cameroun», estime Wanah Immanuel Bumakor.

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Une réunion informelle qui suscite néanmoins beaucoup d’espoir auprès des organisations comme Human Rights Watch, qui a longtemps appelé à une intervention de l’Onu. La décision du Conseil de sécurité de tenir cette réunion informelle «vient à point nommé, pour stimuler les efforts internationaux et qu’on s’occupe de la crise des droits humains dont souffrent les régions anglophones du pays», a déclaré Human Rights Watch.

«Les membres du Conseil de sécurité devraient appeler le gouvernement du Cameroun et les chefs des groupes armés séparatistes à mettre fin aux abus qui sont commis contre les civils dans les régions anglophones et faire rendre des comptes aux responsables de ces abus», a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à HRW. «Cette réunion est une occasion de rappeler aux auteurs d’abus que le monde les observe», a-t-il rajouté.

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Alors que la pression internationale s’accentue sur le Cameroun et que les rapports de plus en plus accablants sont dressés contre le régime de Yaoundé par les organisations internationales, Paul Biya a annoncé son intention de dialoguer.

«À part l’indivisibilité du Cameroun, le Président de la République est prêt à organiser un dialogue formel pour résoudre la crise», a déclaré Joseph Dion Gute, Premier ministre du Cameroun au cours d’une tournée à Bamenda, dans le Nord-ouest, l’une des régions anglophones du Cameroun, épicentre de la violente crise séparatiste qui secoue le pays depuis deux ans.

Le président Paul Biya «m’a demandé de dire que, hormis la séparation et la sécession, toute autre chose peut-être discutée», a-t-il ajouté, sans en préciser les contours ni le programme.

Une réaction surprenante de Yaoundé, qui jusqu’ici s’était montré intransigeant quant à toute forme de négociations avec les séparatistes qui ont pris les armes pour revendiquer la création d’un État indépendant. Dialoguer sur tous les problèmes liés à cette crise et même sur la forme de l’État, en excluant le séparatisme, une démarche nouvelle de Paul Biya, que tente d’expliquer au micro de Sputnik, Hilaire Kamga, expert des questions des droits de l’homme et porte-parole du mouvement de la société civile «Offre Orange»:

«Il faut noter que le premier élément de changement à observer c’est celui de l’acceptation du dialogue dans un contexte de pression internationale doublé à la pression nationale. La version du dialogue initialement acceptée par M. Biya était sous la condition du dépôt immédiat des armes. Il me semble qu’on est dans une autre option et donc on peut estimer que la pression a pu faire ses effets.

Les lobbies des mouvements ambazoniens [Ambazonie, nom de l’État que les séparatistes veulent créer, ndlr], qui se présentent comme un gouvernement organisé, ont pu aboutir à une reconsidération de la posture internationale, mettant forcément la gouvernance de M. Biya en difficulté. Il est à noter qu’avec le conseil de sécurité des Nations unies qui, dans sa version formelle, entend se pencher sur cette crise humanitaire, Yaoundé ne peut pas rester insensible», précise Hilaire Kamga.

Depuis le début de la crise, c’est la première fois que Yaoundé se déclare aussi directement ouvert au dialogue. Au delà des pressions enregistrées de toutes parts, Claude Abe, sociopolitologue, analyse cette nouvelle démarche du gouvernement.

«Il y a deux choses qui ont changé dans le discours de Yaoundé. La première, c’est d’abord la nature des interlocuteurs. Désormais, il ne s’agit plus simplement de discuter avec des gens présentés comme des élites, c’est-à-dire des leaders de la cause anglophone, puisqu’il y a eu l’élargissement de la base avec l’attente des populations.

Deuxième élément, qui est le plus symbolique d’ailleurs, c’est que désormais, en dehors du séparatisme (la sécession), il n’y a pas de sujet tabou; c’est dire que la forme de l’État peut être l’objet d’une négociation. Mais encore faut-il le savoir, il ne faudrait pas penser que le fait de négocier signifie l’acceptation. Négocier signifie apporter des arguments, pour qu’arguments contre arguments, on en arrive à un consensus. Ça peut être apprécié comme étant une semi-victoire de la part des entrepreneurs de la cause anglophone», explique-t-il au micro de Sputnik.

Au moment où Yaoundé annonce la possibilité de négociations au sujet de cette violente crise, les observateurs s’interrogent encore sur les préalables et les acteurs concernés.

«Il faudra premièrement que tout le monde joue franc-jeu. Et que, comme dans toute négociation, les gens soient prêts à abandonner leurs positions initiales pour rejoindre des positions réalistes. C’est-à-dire qu’aussi bien les acteurs au pouvoir que les porteurs de la cause dite anglophone doivent être prêts à abandonner une partie des revendications qui étaient les leurs pour venir à un point de rencontre, qui permette que les gens puissent effectivement échanger de manière réaliste», considère Claude Abe.

Pour Hilaire Kamga,

«Il faut d’abord libérer les prisonniers politiques; parmi lesquels les leaders qui devraient être des partenaires sur la table lors des discussions. La deuxième condition est d’adopter une mesure d’amnistie générale, qui créerait ainsi les conditions de sécurisation de toutes les personnes qui, à un titre ou à un autre, ont quelque chose à voir dans ce dialogue.

Et la troisième chose, c’est que le gouvernement doit montrer sa bonne foi en laissant, peut-être, que le dialogue préparatoire, la conférence générale anglophone initiée par le Cardinal Christian Tumi, puisse se tenir. Il faudrait que ces trois conditions au moins soient remplies pour que l’on puisse penser que le dialogue est sincère; si ce n’est pas le cas, il n’y aura pas de dialogue sincère», conclut-il au micro de Sputnik.

Depuis plus de deux ans, la crise sociopolitique qui secoue le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, les deux régions anglophones du pays (qui représentent environ 20% de la population), s’est transformée en un affrontement armé entre forces de défense et de sécurité camerounaises et militants séparatistes. Les tensions avaient commencé par des grèves d’enseignants et avocats anglophones. Les séparatistes anglophones ont choisi le 1er octobre 2017, jour de la réunification officielle des parties anglophone et francophone du Cameroun, en 1961, pour proclamer unilatéralement leur indépendance. La crise s’est alors transformée en conflit armé faisant 1.850 morts en 20 mois d’affrontements, selon un récent rapport d’International Crisis group.

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