Faux Autochtones au Canada: pour un grand chef, «ça frise l’escroquerie ou la fraude»

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Meilleur repas, visites plus fréquentes, instruction plus rapide: dans les pénitenciers canadiens, des détenus Blancs se déclarent autochtones pour bénéficier de certains avantages. En entrevue avec Sputnik, le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador, Ghislain Picard, dénonce une injustice pour son peuple.

Au Canada, de plus en plus de détenus Blancs se déclarent autochtones dans les pénitenciers fédéraux. C’est ce qu’a révélé récemment une enquête du journal La Presse. La plupart ne le font pas pour des raisons religieuses, mais pour améliorer leur sort. Le statut d'Amérindien leur permet notamment de recevoir des visites privées, avec la possibilité de rapports sexuels et de faire instruire leur dossier plus rapidement. Ce statut leur permet aussi de manger de meilleurs repas.

Pour en bénéficier, il suffit pour un détenu de se déclarer amérindien, sans même avoir des ancêtres issus des Premières Nations. En entrevue avec Sputnik le 9 mai dernier, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu avait aussitôt dénoncé cette «manipulation du système».

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«Ce statut donne des avantages marqués. […] Nous avons pris l'habitude de donner ces cartes-là [document attestant les origines autochtones d'un citoyen canadien, nldr] dans les pénitenciers. Ça se fait pour des dizaines de personnes. […] Je ne parlerais pas d'un traitement de faveur, mais d'un traitement particulier. Ça devient un traitement de faveur quand ce sont des Blancs qui font la demande», avait souligné le sénateur Boisvenu.

Des représentants des Premières Nations du Canada ont aussi réagi par la suite. Au micro de Sputnik, c’est ce qu’a fait Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. M. Picard est à la tête de la plus haute instance de représentation des peuples autochtones au Québec.

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«Les communautés sont beaucoup plus aptes [que le Service correctionnel du Canada, ndlr] à déterminer qui fait partie d’une nation ou d’une communauté et à déterminer qui ne devrait pas en faire partie. […] Appartenir à un groupe vient aussi avec des obligations. Si c’est seulement pour aller chercher ce qu’on qualifie faussement de privilèges, ça frise l’escroquerie ou la fraude. Il faudra avoir une idée claire de quoi on parle et de qui on parle», s’est insurgé le chef autochtone en entrevue.

Les communautés autochtones doivent se réapproprier le pouvoir de reconnaître et de désigner leurs membres, selon M. Picard. Le chef plaide aussi pour une prise de conscience chez les Canadiens ordinaires et les membres des Premières Nations.

«Ce sont nos autorités qui devraient pouvoir vraiment tenir à jour une liste des personnes qui sont reconnues par leurs nations respectives. […] Nous n’avons pas encore déterminé quel serait notre positionnement au niveau politique, mais il est très clair que notre Assemblée –les chefs autochtones qui y siègent– doit être informée de la problématique. C’est une question d’authenticité», a insisté M. Picard.

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L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador s’oppose donc catégoriquement au principe «d’auto-identification» défendu par le gouvernement canadien. Dans un échange avec Sputnik, l’une des responsables des relations publiques du Service correctionnel du Canada, Christina Tricomi, a confirmé que cette approche était bien celle de son organisation, et que celle-ci ne comptait pas la changer.

«Comme pour tout autre membre d’un groupe désigné (les personnes qui s'identifient comme appartenant à un groupe de minorités visibles ou déclarant avoir un handicap), aucune preuve n'est requise. Si un détenu s'identifie comme autochtone, il est considéré comme autochtone. Le Service correctionnel du Canada ne surveille ni ne vérifie la véridicité de cette information, tout comme il ne vérifie pas si une personne est vraiment membre d'une minorité visible ou si elle est handicapée», a répondu Mme Tricomi à Sputnik.

Auto-identification ou non, M. Picard reconnaît toutefois qu’il peut être difficile d’établir clairement qui est vraiment autochtone. En effet, de nombreux Canadiens ont des ancêtres amérindiens, parfois sans même le savoir. Le métissage va donc complexifier le travail des communautés, si elles parvenaient à se réapproprier ce pouvoir.

«Il va falloir savoir faire le ménage, parce qu’il y a des personnes qui se découvrent des ancêtres ou des liens avec les peuples autochtones», a mentionné M. Picard.

Le phénomène des faux Autochtones ne se limite pas au milieu carcéral. L’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador se dit préoccupée «par un nombre de plus en plus important de personnes qui se disent autochtones […] et se présentent comme des marchands, à travers diverses plateformes, de produits et services dits autochtones», peut-on lire dans un récent communiqué. Ces produits et services sont offerts au Canada et même dans d’autres pays.

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«J’ai eu vent qu’il y a aussi des personnes qui se vantent d’offrir des services qui sont fondés sur la spiritualité autochtone. Sur certains sites Internet, on constate que c’est effectivement le cas. Ce sont des personnes qui souvent n’ont pas d’affiliation claire avec une nation ou une autre», a aussi constaté le chef.

Les peuples autochtones seraient-ils en quelque sorte victimes de leur succès? Ghislain Picard n’écarte pas totalement cette hypothèse. Il a toutefois rappelé qu’au-delà des modes, les Amérindiens du Canada restaient désavantagés par l’histoire.

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