Tunisie: Ben Ali attendra «un moment politiquement propice» pour revenir

CC BY 2.0 / Stefan Krasowski / Zine El Abidine Ben Ali
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Depuis l'Arabie saoudite où il est exilé depuis sa chute en janvier 2011, l'ex-président Ben Ali a adressé une lettre aux Tunisiens dans laquelle il leur promet de rentrer, alors même qu'il est visé par plusieurs condamnations pénales. Cependant, son avocat a précisé à Sputnik que son retour sera fonction de conditions politiques favorables.

La dernière fois que l'ancien Président tunisien Zine El Abidine Ben Ali s'est adressé directement aux Tunisiens remonte au soir du 13 janvier 2011. À l'époque, le pays est en proie à un soulèvement populaire contre l'autoritarisme de son pouvoir et la prédation de sa belle-famille, les Trabelsi. Depuis son départ précipité, il s'est réfugié dans le mutisme, condition imposée par ses hôtes saoudiens, non sans s'ouvrir à quelques hôtes tunisiens qui lui rendent fréquemment visite dans sa villa de Djedda. Le 15 mai, il s'est adressé par le biais de son avocat dans une missive destinée aux Tunisiens, dans le but de rectifier, dit-il, un certain nombre d'informations ayant récemment circulé sur son compte.

«De nombreuses déclarations ont été tenues, récemment en Tunisie, qui me citaient et évoquaient mon état de santé, ainsi qu'un certain nombre de questions me concernant en tant qu'ancien Président de la République tunisienne. Et alors même que je me suis engagé, depuis que j'ai été poussé à quitter mon pays, à ne souhaiter à ma chère Tunisie et à son peuple que sécurité, stabilité et prospérité, me réservant [de tout propos] pouvant gêner sa situation […] je refuse catégoriquement que ma personne soit l'objet de récupération ou d'instrumentalisation politique. Je rends grâce à Dieu de l'excellente santé dont il m'a gratifié […] et je m'étonne des informations contradictoires propagées par certains qui nous ont contrariées, ma famille et moi-même », expliquait lettre publiée par son avocat Mounir Ben Salha.

Les rumeurs sur l'état de santé de l'ancien Président ne datent pas d'hier. En effet, certaines remontent à sa dernière réélection en 2009, alors qu'il avait été donné pour mort plus d'une fois depuis sa chute. Plus particulièrement, sa lettre arrive une semaine après les assertions d'un chef de parti tunisien, Mohsen Marzouk, qui évoquait l'état de santé «très dégradé» de Ben Ali qui aurait demandé à ce qu'il «ne soit pas enterré en Tunisie». La réponse n'a pas tardé dans l'entourage de l'ancien Président. Son gendre, un sulfureux rappeur répondant au nom de K2rhym, a posté sur son compte Instagram une photo de l'ex-raïs, entouré de son fils et de sa petite-fille, assortie de ce commentaire laconique, à la limite du narquois: «Soirée ramadanesque en famille».

 

«Soyez sûrs que je suis avec vous, de tout cœur, et ferai tout ce qu'il est en mon pouvoir pour le bien de la Tunisie que nous avons servie avec sincérité et abnégation pendant 50 ans. Nous n'avons jamais transigé sur son indépendance, sa souveraineté ni le droit de son peuple au développement et à la prospérité. Je remercie toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens dont j'ai reçu des milliers de lettres d'amour et de reconnaissance, en souhaitant à mon cher peuple de dépasser les difficultés, et à la Tunisie la stabilité, le progrès et la prospérité. Soyez-sûrs que je reviendrai, par la volonté de Dieu», conclut la lettre.

Le retour promis par l'ancien Président a suscité diverses réactions. À Carthage, où il a régné en maître absolu pendant 23 ans, comme après le pouvoir, le personnage a toujours alimenté les fantasmes. Au point que plus d'une caméra cachée — genre particulièrement prisé par les télévisions tunisiennes pendant le mois de ramadan — avaient permis de doper les audiences des chaînes de télévisions sur le dos de Ben Ali. Dans cette production datant de 2018, des passagers d'un taxi qui apprennent en direct à la radio le prétendu retour de l'ancien Président pour «rétablir l'ordre» dans le pays sont sondés.

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Le concept fait sans doute écho à un discours décomplexé et nostalgique de l'ère Ben Ali, perceptible depuis quelques années en Tunisie, même si le banditisme économique des Trabelsi demeure quant à lui sans regrets. Les revers économiques, la gabegie politique et les défaillances sécuritaires ont largement contribué à ce désenchantement postrévolutionnaire. La présumée «récupération politique» fustigée par l'ancien Président est une allusion à la volonté présumée de certaines parties de récupérer cet électorat dans l'optique des élections générales qui auront lieu dans quelques mois.

«Il est vrai qu'aujourd'hui, une bonne partie de l'opinion publique regrette Ben Ali. Il n'en demeure pas moins que ce n'est pas cette majorité silencieuse qui peut provoquer son retour, mais bien les décideurs politiques», précise à Sputnik l'avocat de Ben Ali, Mounir Ben Salha. À la question de savoir dans quelle mesure le retour annoncé par l'ancien Président pourrait se concrétiser, alors même qu'il fait l'objet d'une demande d'extradition et de plusieurs condamnations par contumace pour des affaires de corruption et de répression du soulèvement populaire de 2010-2011, l'avocat précise que l'ancien Président attendra pour cela l'avènement d'un moment politique favorable.

«L'ancien Président a bien promis qu'il rentrerait, mais sans préciser pour autant les modalités ni le moment de son retour. Ce que je puis vous affirmer, c'est qu'il ne rentrera pas sans que des assurances ne soient données par l'État tunisien, et sans que celui-ci ne soit activement impliqué dans le processus de son retour. L'ancien Président ne rentrera sûrement pas de façon impromptue ni spontanée, comme d'autres ont pu le faire, alors même qu'il y avait des condamnations entrées en force de chose jugée, mais ayant pu profiter d'un moment politique propice. Le Président Ben Ali ne s'aventurera pas à rentrer alors qu'il y a des dizaines de condamnations par contumace à son encontre, prononcées dans une atmosphère dominée par un esprit vindicatif. Il attendra, donc, un moment politique propice à la faveur duquel toutes ces condamnations seront abrogées», a précisé Mounir Ben Salha.

Preuve toutefois que l'atmosphère n'est pas encore favorable pour envisager une évolution dans le sens souhaité par l'avocat de l'ancien Président: le récent limogeage du directeur de la deuxième chaîne nationale de télévision après la diffusion, par erreur, d'une émission d'archives dans laquelle des vœux sont présentés à l'ancien Président et à son épouse.

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