Six mois de Gilets jaunes: «Le processus révolutionnaire est enclenché»

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Acte 27 des Gilets jaunes à Paris - Sputnik Afrique
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L’acte 27 des Gilets jaunes a marqué les six mois du mouvement. Il a été le plus faible en mobilisation et certains envisagent d’abandonner la lutte. François Boulo, porte-parole des Gilets jaunes de Rouen, nous livre son bilan d’un semestre de fronde populaire, entre «répression inouïe», «propagande médiatique» et «révolution dans les esprits».

«Si avec tous nos slogans, les gens ne comprennent pas ce qu'on dit, c'est pas de ma faute, moi je remballe et je vais à la pêche. Tous les samedis, on est là dans le froid, ça fait des mois et des semaines, si les gens sont contents avec Macron, qu'ils le gardent.»

Didier, Gilet jaune de Revin, dans les Ardennes, a exprimé tout son désarroi au micro de BFMTV. En cas de victoire de la République en marche aux élections européennes, ce manifestant de la première heure envisage de cesser la lutte. Et il n'est pas le seul. L'acte 27 des Gilets jaunes a marqué les six mois d'un mouvement qui semble s'essouffler, dans la rue du moins. D'après le ministère de l'Intérieur, ils étaient 15.500 à arpenter les rues de France pour crier leur colère à Emmanuel Macron le 18 mai. Le score le plus faible depuis le début de la mobilisation. Bataille des chiffres oblige, le Nombre jaune, qui compte également le nombre de manifestants, a donné le chiffre de 40.497.

Du côté des leaders, on commence aussi à se poser des questions. Dans une vidéo diffusée sur YouTube le 13 mai, Éric Drouet, chauffeur routier très en vue depuis le début de la déferlante jaune, s'est dit «dégoûté»: «Il va vraiment falloir arrêter les manifestations déclarées.» Il est allé jusqu'à qualifier les récents actes de «ridicules».

​C'est dans ce contexte compliqué pour le mouvement que Sputnik France a donné la parole à François Boulo, l'avocat porte-parole des Gilets jaunes de Rouen. Avec lui, nous avons tenté de dresser un bilan de ces six mois de manifestations et de parler avenir. Pour lui, la baisse de fréquentation dans les cortèges est la conséquence d'une «répression policière et judiciaire inouïe». Il reste confiant et assure que «la révolution a été faite dans les esprits». Entretien.

Sputnik France: Je vais vous poser la même question qu'à Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat de police Vigi. Est-ce que ces six mois de Gilets jaunes ont changé la France?

François Boulo: «Incontestablement. Je pense que la révolution est faite dans les esprits depuis le 17 novembre 2018. Le processus révolutionnaire est enclenché. Il y a des centaines de milliers de personnes qui se sont réveillées depuis ce jour. Ils ont pris conscience qu'ils étaient d'accord entre eux sur des valeurs telles que la dignité, la fraternité ou la solidarité. Ils ont pris conscience de leur force collective et du fait qu'on les avait dépossédés de leur pouvoir de décision. Ils se sont rendu compte que les gouvernements les avaient trahis et qu'il fallait qu'ils reprennent en main leur destin. Voici l'élément fondateur. De manière plus concrète, les gens ont ouvert les yeux sur ce qu'était l'inflexibilité du pouvoir et l'instrumentalisation qu'il faisait des forces de police.»

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Sputnik France: Quid du traitement médiatique?

François Boulo: «C'est un autre événement majeur au niveau de la prise de conscience. Les gens ont découvert la réalité de la propagande médiatique. On voyait bien dans les sondages que les Français se disaient méfiants vis-à-vis des médias. Mais je pense que, pour beaucoup d'entre eux, ce discrédit venait surtout de la recherche faite par les médias du buzz et de l'audience. Là, ils ont vu une vraie volonté de protéger le pouvoir. La vérité a éclaté au grand jour. Beaucoup d'individus se sont rendu compte, à travers le traitement médiatique du mouvement, que l'on cherchait par tous les moyens à les discréditer. Il y a un paradoxe dans cette affaire. Les médias avaient plutôt pour habitude de rendre invisibles les mouvements de contestation sociale. Cette fois, je pense que, comme le mouvement partait d'une contestation sur les taxes, les médias se sont dit qu'ils pourraient assez facilement manipuler l'opinion en faisant rentrer tout cela dans le cadre libéral de la baisse des impôts. Le monstre leur a un peu échappé. Ils se sont retrouvés à devoir en parler et à le discréditer en mettant en lumière des faits divers liés à l'homophobie ou à l'antisémitisme pour tenter de disqualifier l'ensemble du mouvement. Tout ceci a mené à une prise de conscience d'une bonne partie de la société française sur la disqualification des médias traditionnels.»

Sputnik France: Macron et son gouvernement n'ont pas changé de cap et les concessions faites par le gouvernement semblent bien faibles au regard des revendications. L'Élysée et Matignon ont-ils gagné?

François Boulo: «C'est une victoire à la Pyrrhus. Sur le court terme, ils pourront toujours se raconter qu'ils n'ont pas lâché grand-chose et qu'ils sont donc inflexibles. Mais c'est ne rien comprendre aux dynamiques politiques. La crise est toujours là. Plus que jamais. La fracture sociale au sein de la société française n'a jamais été aussi profonde entre les classes populaires et les classes moyennes d'une part qui, globalement, représentent 75% des Français et les classes supérieures d'autre part, ce que l'on peut appeler le "bloc bourgeois", qui est composé d'à peu près 25% des Français. Macron incarne l'idéologie libérale et l'applique comme aucun gouvernant avant lui. Ses prédécesseurs étaient sur la même dynamique libérale, mais tentaient un tant soit peu d'en amortir les effets. Macron a décidé d'aller au bout de la logique. Mais cette idéologie est morte. C'est terminé. Nous n'en avons pas encore la manifestation concrète au niveau institutionnel et c'est cela qui crée le décalage entre d'un côté des gens qui ne veulent plus de cette politique et des gouvernants qui sont la queue de la comète. Ils subissent donc une révolte du peuple. La question est la suivante: combien de temps le décalage entre le peuple et ses représentants va-t-il durer? Il est certain que tant que nous serons dans cette situation, la crise va s'approfondir et le mouvement social s'amplifier.»

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Sputnik France: Comment expliquez-vous que la mobilisation du 18 mai ait été la plus faible enregistrée depuis le début du mouvement?

François Boulo: «C'est assez logique. Depuis six mois, le pouvoir a organisé une répression policière et judiciaire absolument inouïe. Tout a été fait pour briser les gens, psychologiquement et physiquement. Vous avez plus de 2.000 blessés dont des mutilés, des éborgnés, etc. Les autorités peuvent se targuer que la mobilisation s'essouffle, mais évidemment que c'est le cas. Aujourd'hui, dans le pays des droits de l'homme, on a peur d'aller manifester, parce que l'on peut rentrer avec un œil en moins. Nous en sommes là. Il ne faut pas imaginer que les gens ont été convaincus par les réponses apportées à la suite du Grand débat national et qu'ils pensent dorénavant que la politique de Macron est la bonne. Ce n'est pas du tout ça. Au contraire, les gens ont compris qu'il restait inflexible et qu'il n'avait répondu à aucune des revendications portées par le mouvement depuis le début. En plus de la répression inouïe qui s'est abattue sur les manifestants, il y a peut-être un peu de fatigue. Six mois de mouvement, cela use et peut avoir raison du courage des gens. D'autres ne peuvent plus se permettre de continuer, car financièrement, c'est compliqué.»

Sputnik France: Que répondez-vous à ceux qui disent que le mouvement a été noyauté par des groupes violents et extrémistes, je pense notamment aux Black blocs?

François Boulo: «Il est vrai que des individus violents ont pris part aux manifestations, mais c'est le cas depuis longtemps. La responsabilité est, à nouveau, celle du gouvernement. C'est lui a décidé, dès le début du mouvement, de faire évacuer les ronds-points. Et il le fait encore aujourd'hui pour ceux qui en tiennent encore ou qui veulent s'y réinstaller. La tenue de ces ronds-points est un mode d'action qui permet aux gens d'être visibles et de discuter et à partir du moment où il n'y a plus de blocage de la circulation, cela ne pose aucune difficulté. La réalité c'est que le pouvoir ne veut même pas voir de Gilets jaunes. Il ne veut pas étouffer le mouvement, il veut l'anéantir, le dissoudre. Il ne veut plus de jaune dans l'espace public. Le gouvernement savait très bien qu'en évacuant les ronds-points comme il l'a fait, le mode d'expression de la colère se porterait sur les manifestations. Ces rassemblements attirent malheureusement des individus qui ont une idéologie basée sur la violence. Cela a été voulu par les autorités pour pouvoir discréditer le mouvement.»

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Sputnik France: Plusieurs dizaines de Gilets jaunes participent activement à certaines listes pour les Européennes. Qu'en pensez-vous? Lâcher la rue et se politiser, est-ce la solution pour pérenniser le mouvement? Et sinon, quel avenir pour les Gilets jaunes?

François Boulo: «Sur la question des listes, j'ai toujours dit que je considérais cela comme une erreur. Cela rentre en contradiction avec les objectifs du mouvement, qui sont d'obtenir des avancées concrètes et immédiates. Le Parlement européen n'a aucun pouvoir. Stratégiquement, ces listes vont prendre des voix aux partis d'opposition et mécaniquement renforcer le parti de la majorité. Concernant l'avenir, c'est difficile de répondre. Je pense que la force principale du mouvement est d'avoir réveillé les consciences. Il faut continuer à travailler dans le sens d'une émancipation des esprits et armer intellectuellement les gens. Il est nécessaire d'aller toucher le plus grand nombre. Depuis le début, la mobilisation est profondément politique, mais au noble sens du terme. Celui des idées et des valeurs. Il est beaucoup trop tôt pour répondre à la question de savoir si elle a vocation à aller vers des échéances électorales. Justement, la force des Gilets jaunes est d'être a-partisans et de ne pas se mêler du jeu politique. C'est cela qui a permis de fédérer les gens au-delà des étiquettes, de les réunir sur des idées. Le mouvement doit continuer à fédérer et émanciper sans se préoccuper, pour le moment, du jeu électoral.»

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