Quel sort attend le traité START sur la réduction des armes stratégiques?

© Sputnik . V.Beltsov / Accéder à la base multimédiaDes restes d'avions Tu-95 démantelés dans le cadre du traité START
Des restes d'avions Tu-95 démantelés dans le cadre du traité START - Sputnik Afrique
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Le traité de Prague de 2010 sur la réduction des armes stratégiques, dit START, expire dans un an et demi. Le dialogue russo-américain sur ce texte s'est intensifié au printemps, sans aucun progrès pour l'instant. Quels problèmes empêchent la signature d'un nouvel accord et quelles sont ses perspectives?

Le traité START-3 prévoyait la réduction du total d'ogives nucléaires et de vecteurs stratégiques déployés jusqu'à une certaine limite, sans sous-catégories pour les différents types de vecteurs comme c'était le cas dans les traités START-1 et START-2, écrit le quotidien Izvestia.

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Dans le cadre du traité, les États-Unis et la Russie se réservaient le droit de détenir 700 vecteurs stratégiques déployés chacun avec un maximum de 800 systèmes de lancement déployés et non déployés au total. Les vecteurs stratégiques incluent les missiles intercontinentaux (d'une portée de plus de 5.500 km), les missiles de sous-marins (d'une portée supérieure à 600 km) et les bombardiers lourds (avions équipés pour embarquer des missiles de croisière nucléaires d'une portée supérieure à 600 km ou ayant eux-mêmes une portée supérieure à 8.000 km). Ces vecteurs peuvent embarquer au total un maximum de 1.550 ogives nucléaires. Les bombardiers lourds ont été comptés selon la formule «un avion = une ogive», ce qui transforme les ogives associées à ces appareils en simple formalité bureaucratique.

Le traité devait être mis en œuvre pour février 2018, et cet objectif a été atteint. Au 1er mars 2019, les États-Unis ont annoncé disposer de 656 vecteurs déployés (sur un total de 800) et de 1.365 ogives, et la Russie de 525 vecteurs (sur un total de 760) et de 1.461 ogives. Mais qu'est-ce qui empêche les deux pays signataires de prolonger cet accord? Un grand nombre de divergences.

Le potentiel de réarmement

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De nombreux missiles sont en service sans être dotés d'ogives jusqu'au niveau maximal prévu par le traité. C'est ce qu'on appelle le potentiel de réarmement (upload potential): une partie de l'armement nucléaire n'est pas dans le champ de vision du régime de contrôle, mais pourrait être réinstallé sur les missiles dans une situation d'urgence.

Ainsi, 400 missiles intercontinentaux américains Minuteman III embarquent actuellement une ogive chacun, alors qu'ils sont conçus pour en embarquer trois. Par exemple, en examinant les statistiques américaines concernant les missiles navals, nous verrons qu'un missile Trident IID5 possède en réalité en moyenne quatre ou cinq ogives. Tout en sachant que ce missile a été construit pour embarquer jusqu'à huit ogives de classe de puissance moyenne (W88, 475 kt) ou jusqu'à 12, voire 14 ogives de faible puissance (W76, 100 kt). Cette différence est bien visible et, en plus des Minuteman, constitue un important potentiel de réarmement.

En Russie également, le potentiel de réarmement est perceptible — notamment sur les missiles navals, ainsi qu'éventuellement sur les missiles intercontinentaux lourds. Cependant, son ampleur est largement inférieure aux USA. Cela est dû à la limite du nombre de vecteurs à ogives multiples et à la logique générale de la structure militaires des forces stratégiques: en fait, les Américains avaient la possibilité de redimensionner tranquillement leurs forces, alors que la Russie les retirait après plusieurs prolongations du délai de service pour en construire de nouveaux.

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Au final, il y a dix ans déjà, les spécialistes remarquaient le paradoxe du traité «New START»: en fait, la Russie ne devait pas tant réduire ses missiles en service que se réarmer en nouvelles munitions. Il était simplement impossible de trouver des missiles pour un tel volume de potentiel de réarmement.

Le potentiel de réarmement des États-Unis bouleverse depuis plusieurs années les alarmistes russes. Il faut dire que l'inquiétude concernant les capacités cachées de cet adversaire n'est pas une passion réservée aux Russes. En Occident, il existe également un groupe d'experts qui fait parler de lui depuis des années en dénonçant le traité START «unilatéralement russe» et le Président Barack Obama personnellement, qui aurait «désarmé l'Amérique face à un adversaire perfide». Sachant que ces critiques ont commencé bien avant l'aggravation des relations bilatérales en 2014.

Le potentiel de réarmement en tant que phénomène est une particularité constructive du régime de contrôle en vigueur. C'est ainsi qu'il a été conçu, ou plus exactement convenu dans le cadre de négociations difficiles. Naturellement, la situation où les deux camps disposent de places de réserve pour les ogives dans leurs missiles, alors que ces ogives sont dans des entrepôts, soulève bien des questions. Mais dans ce cas en quoi consiste le désarmement si en réalité l'arme nucléaire n'est pas détruite? D'un autre côté, si l'on observe la situation lucidement (notamment à partir des années 2000 quand les forces nucléaires russes ont atteint un état critique car le retrait des anciens vecteurs soviétiques n'était pas compensé par de nouveaux), ce choix devient logique: préférez-vous des ogives américaines stockées dans un entrepôt central ou sur les missiles opérationnels prêts à décoller? L'asymétrie des potentiels de réarmement, qui penche largement en faveur des États-Unis, résulte de ce choix. 

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En l'occurrence, il est difficile de donner des recommandations substantielles. La poursuite des négociations sur la réduction des armes nucléaires jusqu'au désarmement complet et général (l'engagement pris par l'article VI du Traité de non-prolifération des armes nucléaires de 1968) nécessite forcément le règlement du problème du potentiel de réarmement par la suppression vérifiée de plusieurs milliers d'ogives nucléaires et d'éléments de paquets physiques dans les entrepôts. Mais un regard réaliste sur l'état actuel des relations internationales et du système de contrôle des armes indique que dans les années à venir ce problème ne sera pas perçu comme prioritaire par les principaux acteurs.

La question du rééquipement

Le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré à plusieurs reprises en entamant les négociations sur la prolongation ou la révision du traité START qu'il fallait «clarifier les zones d'ombre». Cela concerne notamment le retrait «opaque» d'une partie des vecteurs et des systèmes de lancement américains.

Ainsi, de chacun des 14 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de classe Ohio les Américains ont «retiré» quatre silos de lancement sur 24. Cependant, selon les représentants officiels russes, cette procédure n'est pas vérifiée et l'irréversibilité de ce retrait ne peut pas être confirmée. Des reproches similaires ont été formulés concernant la transformation d'une partie des bombardiers lourds B-52H en vecteurs de missiles uniquement conventionnels (JASSM-ER d'une portée de plus de 1.000 km).

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Ces reproches sont parfaitement logiques, tout comme le comportement des Américains qui exploiteront ces sous-marins au moins jusqu'en 2040, alors que le traité pourrait ne pas survivre après 2021. Et les B-52, ne datant pas non plus du début de la guerre froide, vont encore servir.

En la matière les Américains commencent également à critiquer la Russie — pour l'instant officieusement, à travers la presse et les experts indépendants. Le problème concerne la nouvelle version du bombardier Tu-22M3M, sur lequel a été réinstallé le système démantelé de ravitaillement dans les airs et dont l'arsenal de bord a été complété par le missile de croisière Kh-32 qui, selon certains spécialistes occidentaux, a une portée jusqu'à 1.000 km (ce qui n'a jamais été officiellement confirmé). D'après les experts américains, cela soulève des questions par rapport au statut du Tu-22M3: ne doit-il pas être déclaré en tant que bombardier lourd dans le cadre du START? Cette question n'a pas encore été officiellement soulevée, du moins publiquement.

Les nouveaux types d'armes stratégiques

La Russie a affirmé à différentes occasions que les nouveaux types d'armements stratégiques annoncés au printemps 2018 n'enfreignaient pas le traité de Prague. Ils existent simplement en dehors de son cadre, dans ses «zones grises» non définies par le traité. Cela concerne aussi bien les futurs systèmes de missiles Avangard que les torpilles stratégiques Poséidon.

De tels armements n'ont jamais figuré d'aucune manière dans les accords de contrôle. L'Avangard, tel qu'il est apparu, est encore soumis au contrôle dans un certain sens via la prise en compte des missiles UR-100NUTTKh, reconnus comme intercontinentaux dans le traité (quota sur les vecteurs), ainsi que par la prise en compte des silos (quota sur les systèmes de lancement déployés et non déployés). Cependant, il ne sera plus du tout soumis à aucun contrôle après la création d'un nouveau système de missiles avec un planeur hypersonique.

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Cela concerne également le Kinjal, qui est un missile air-sol. Les missiles air-sol d'une portée supérieure à 600 km ont déjà été définis, limités (Salt II de 1979) et même entièrement interdits (START-1, en vigueur jusqu'en 2009), mais ils ne figurent pas dans le traité de Prague.

La situation des armes stratégiques américaines est identique. Alors que le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire de 1987 était encore en vigueur, en automne 2018 les militaires américains prouvaient arguments à l'appui que leurs futurs missiles d'une portée supérieure à 500 km ne transgressaient pas l'accord. Parce que leur trajectoire, tout comme dans le cas de l'Avangard, n'était pas balistique. A noter qu'il est impossible d'assimiler les systèmes planeurs aux missiles de croisière: cette définition nécessite la présence d'un moteur. Autrement dit, même si l'on octroyait à un missile planeur une portée intercontinentale, il faudrait conclure qu'un tel type d'arme stratégique n'existe pas.

Dans un premier lieu, il faut désigner les nouvelles armes stratégiques en reconnaissant juridiquement leur impact sur la stabilité stratégique. Ensuite, il serait utile de les classer en fonction de leur effet déstabilisant et d'élaborer des mesures restrictives (par exemple, sur la quantité et les régions de déploiement), qui ne seraient peut-être pas juridiquement contraignantes dans un premier temps pour être codifiées par la suite dans le nouvel accord sur les armes stratégiques.

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En voyant ces différends accumulés et le fond extrêmement négatif des relations russo-américaines, on éprouve involontairement des doutes justifiés concernant les perspectives d'un quelconque régime de contrôle des armes stratégiques. Le traité FNI — un accord symbolique conclu à la fin de la guerre froide, qui a ouvert pour la première fois les bases militaires de l'URSS et des USA aux inspections réciproques et à la destruction contrôlée de plusieurs classes de missiles, ce qui était sans précédent à l'époque — vient de s'effondrer sous nos yeux.

Dans ces conditions, la prolongation de cinq ans prévue par le traité de Prague, jusqu'en février 2026, apparaît pratiquement comme un résultat idéal. Parce qu'une autre issue est également très plausible: au printemps 2021, le monde se réveillera sans aucune limitation juridique des armes stratégiques. Et qu'attendre ensuite? Une nouvelle course aux armements? Est-elle vraiment nécessaire pour les acteurs en question?

Le thème des nouveaux types d'armes stratégiques nécessite indéniablement des travaux significatifs d'experts techniques. Au début des années 2010, des propositions de poursuivre la réduction des armes stratégiques jusqu'à 1.200, voire 1.000 ogives, avaient été posées sur la table. Selon certains experts, cette réduction permettrait de préserver les potentiels de dissuasion tout en rendant les opérations nucléaires de contre-force très inefficaces. Pendant plusieurs années, les militaires russes insinuaient que 1.200 ogives étaient également une bonne option, mais qu'il fallait des garanties de restriction des systèmes ABM. Bref, il y a matière à discuter.

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De plus, le facteur chinois refait surface et il doit être assimilé d'une certaine façon aux régimes bilatéraux. Mais comment le faire s'il n'existe pas de précédent en matière de contrôle des armes stratégiques, alors que Pékin feint de ne pas comprendre pourquoi il devrait s'occuper de ce problème? L'arsenal chinois serait «trop réduit», et «les grands devraient descendre jusqu'à notre niveau», aux yeux des autorités chinoises. Mais nous ne vous dévoilerons pas son ampleur parce que cela saperait notre stratégie de dissuasion minimale.

C'est la raison pour laquelle une éventuelle prolongation de cinq ans ressemblerait pratiquement à un salut: elle offrirait du temps pour un travail pratique substantiel, permettrait à tout le monde de se calmer un peu, tout en reportant la décision finale à 2026 — c'est-à-dire sous de nouvelles administrations aussi bien aux États-Unis qu'en Russie. Toutefois, l'histoire a déjà vu des impasses de plusieurs années surmontées en quelques mois, et des nœuds solides être tranchés. Mais on s'écarte ici du thème du contrôle des armements pour s'approcher de celui de la confiance politique, voire de la «chimie personnelle» entre les dirigeants — ce facteur, suscetpible de jouer un rôle central dans les négociations, est un sujet de discussion à part.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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