Au Maroc, l’amazighe à l’épreuve de la dernière résistance des «conservateurs»

CC0 / Pixabay / DanielWanke / Le dialectal au Maroc, l’arabe qui cache la forêt
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Des associations amazighes au Maroc ont fait part de leur «préoccupation» après le rejet en commission parlementaire d’un amendement ouvrant la possibilité aux billets de banque et pièces de monnaie de porter des inscriptions en amazighe. La langue berbère est pourtant une langue officielle et constitutionnelle du Royaume chérifien.

Un rejet à l’emporte-pièce. Les billets de banque et pièces de monnaie émis par la Banque centrale du Maroc ne porteront finalement pas de mention en Tifinagh, l’alphabet amazigh. La fin de non-recevoir a été apportée par une majorité de députés de la Chambre basse, alors même que l’amendement avait réussi à passer avec succès le cap de la Chambre des Conseillers, quelques semaines auparavant. Subrepticement, le groupe du Parti Authenticité et Modernité (PAM) avait pu profiter, pour ce faire, de l’absence des députés de la majorité et de l’abstention de leurs collègues du parti Istiqlal. Au terme de la première navette, l’amendement a finalement été supprimé en commission des finances de la chambre des députés.

«Ce vote en commission des finances à la Chambre du Parlement est une infraction claire à la Constitution et un manquement, de la part de certains partis politiques au gouvernement et dans l’opposition, à leurs obligations constitutionnelles, politiques et morales envers les revendications légitimes du mouvement amazigh», fustige le communiqué signé par un collectif réunissant plus de 400 associations et groupements amazighs, dont Sputnik a obtenu copie, samedi 25 mai.

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Au sein de la Chambre des députés, les débats avaient opposé ceux qui estimaient que l’amazighe étant déjà consacré par la Constitution langue officielle du Royaume, devait dès lors pouvoir s’inscrire sur les pièces de monnaie et billets de banque du Royaume. De l’autre côté ceux qui, sans s’opposer officiellement au principe de cette inscription, rappellent néanmoins la nécessité d’un « préalable ». Celui de l’adoption d’une loi organique définissant, selon l’article 5 de la Constitution, « le processus de mise en œuvre du caractère officiel de cette langue, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et aux domaines prioritaires de la vie publique, et ce afin de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle.»

Cette opposition, d’apparence juridique, cache pourtant une certaine résistance idéologique, estime dans un entretien avec Sputnik le professeur de philosophie et militant politique amazigh Ahmed Assid.

L’intellectuel marocain épingle ainsi «les conservateurs politiques et religieux», qui ont rejeté l’amendement au moyen d’une démarche juridique «contestable».

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Au chapitre de la première catégorie, le parti Istiqlal, dont le Président du groupe parlementaire a déclaré, afin de justifier sa position, «qu’on ne peut pas réduire l’amazighe à quelques lettres qui ne sont pas connues de 98% des Marocains, voire plus». Le conservatisme religieux, quant à lui, est le fait du Parti Justice et Développement (PJD-islamiste), aux affaires depuis 2011. Historique, cette hostilité de principe relève d’un antagonisme entre le référentiel islamiste et le militantisme amazighe, sous-tendu par «une ethnicisation arabe de l’islam» et une «sacralité» de l’arabe, langue du coran. Le tout, en dépit de la valorisation par le même texte coranique de la pluralité ethnique et linguistique (49-13), et de la Diversité, comme une finalité de la Création (11-118 et 119).

Aussi, pas plus que d’autres prédicateurs islamistes, Cheikh Hassan Ali Kittani n’est-il connu pour être un fervent partisan de l’identité amazighe. «À l’insu de tout le monde, et soudainement, on va trouver les lettres amazighes sur nos billets de banque. Ce sera d’autant plus de marginalisation pour la langue de l’islam et des musulmans», s’indignait le prédicateur salafiste dans une publication sur sa page Facebook, avant de la retirer, devant la virulence des réactions qu’elle a provoquée.

«Le PJD et Istiqlal se sont toujours opposés à la reconnaissance de l’amazighité du Maroc, notamment en 2011, quand le débat constitutionnel a abouti à la reconnaissance de l’amazigh comme langue officielle. Les deux partis ont travaillé à ce que l’arabe demeure la seule langue officielle et tous leurs comportements après 2011 sont basés sur cette conviction. Ils ont essayé de contrer le parti du PAM sous prétexte d’attendre que la loi organique soit adoptée», résume Ahmed Assid.

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Sauf que le projet de loi organique relative à la mise en œuvre au caractère officiel de la langue amazighe, déposé en 2016, traîne encore dans les couloirs des assemblées parlementaires. Le chef du gouvernement, Sâadeddine Othmani, n’est certes pas connu pour son hostilité à l’identité amazighe du Maroc. Sa formation politique fait pourtant de la résistance, accusent les berbéristes.

Pour Ahmed Assid, le blocage réside, plus particulièrement, autour de «passages flous», dans cette loi organique et s’apparentant davantage à des déclarations d’intention qu’à des dispositions légales. Objectif: arrimer ces dispositions à un socle plus solide, pour garantir leur efficience. «Il en est ainsi, par exemple, des dispositions relatives à l’enseignement de la langue amazighe. L’actuelle formulation ne permet pas de garantir un enseignement généralisé, aussi bien verticalement [ensemble des cycles et niveaux d’enseignement, ndlr], qu’horizontalement, [pour concerner les différentes régions du Royaume, ndlr] avec l’usage du graphique Tifinagh», illustre Assid.

«À quelque chose, malheur est bon. Cette mésaventure [relative aux monnaies et billets de banque, nldr] nous a quelque part rendu service. Elle nous permet aujourd’hui d’exercer plus de pression sur les partis du gouvernement pour qu’ils tranchent cette question de lois organiques en suspens, une fois pour toutes», promet Ahmed Assid.

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Les parlementaires marocains n’ont pas que la loi organique concernant l’officialisation de l’amazigh dans les cartons. La constitution de 2011 a également prévu une institution, le Conseil national des langues et de la culture marocaine, chargée de «la protection et du développement des langues arabe et amazighe et des diverses expressions culturelles marocaines». Là aussi, l’article 5 du texte fondamental marocain renvoie à une loi organique qui devra en fixer «les attributions la composition et les modalités de fonctionnement.»

L’adoption de ces deux textes constituera pour les défenseurs de l’identité amazighe du Maroc une consécration d’un combat de plusieurs décennies, dans ce pays qui compte la plus grande population berbérophone de la région: depuis 2001, date du discours royal d’Ajdir et du lancement de l’Institut Royal pour la culture amazighe à l’adoption de la nouvelle Constitution en 2011, en passant par des dates clés: en 2003, c’est le lancement de l’enseignement du berbère dans les écoles. En 2006, les premiers journaux télévisés quotidiens en berbère voient le jour. En 2010, c’est le lancement de Tamazight, la première chaîne (publique) berbère au Maroc.

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Autant dire que les berbéristes marocains sont convaincus que ce revers est conjoncturel. Ils en fichent déjà leur billet (de banque) que les lettres Tifinagh prendront bientôt la place qui leur est due et sans que personne n’y trouve à redire. Et pour cause, l’amazighe constitue un «patrimoine commun de tous les Marocains sans exception» (Constitution marocaine).

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