Jean-Michel Blais, alter ego musical de Xavier Dolan dans «Matthias et Maxime»

© Photo Presse SacemLe compositeur quebecois Jean-Michel Blais
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De solides bases académiques, un sens délicat du style, une passion pour les nouvelles technologies, telle est l'alchimie de Jean-Michel Blais, qui opère pour façonner une forme musicale faisant vibrer notre âme. Sputnik a parlé à Cannes avec le compositeur, juste après la première de «Matthias et Maxime», de Xavier Dolan.

Dans un film où le déroulement d'images est polyphonique, où des dialogues parallèles coulent en consonance, où les césures sont rares dans des dialogues hachés qui se chevauchent, une pause musicale vient dans le tissu narratif comme une respiration salvatrice… sans en devenir ni un contrepoint ni un contraste.

«Ce sont des moments de rétrospection, de recul, dans cette façon de faire que je trouve comme post-moderne, confirme le compositeur. Les dialogues du film sont à l'image de la génération de Xavier Dolan: on téléphone, on consomme, on passe d'un truc à un autre, on est dans notre bulle, ça passe très vite.»

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La «génération de Xavier» dit-il… mais Jean-Michel Blais appartient pourtant à la même génération. Il commence à jouer de l'orgue familial à l'âge de neuf ans et deux ans plus tard, il compose déjà ses propres pièces de théâtre et suit des cours de piano. Le compositeur dit lui-même que ses vastes horizons musicaux et ses goûts ont été influencés par des compositeurs de l'époque romantique, impressionnistes et minimalistes: de Sergei Rachmaninov aux contemporains, tels que Chilly Gonzales et Yann Tiersen. À 17 ans, le jeune québécois entre au Conservatoire de musique de Trois-Rivières, mais l'esprit «trop classique» de l'enseignement universitaire ennuie rapidement ce pianiste en quête de liberté et d'expérimentation. Jean-Michel Blais lève les voiles et part à la conquête du monde de l'improvisation.

Ce n'est donc pas une question de générations… mais une question de deux tempos, deux rythmes de la vie moderne. Enserrés dans l'agitation et les contraintes, on cherche à fuir le déroulement saccadé de l'actualité, on cherche une pause, on essaye de suspendre nos problèmes le temps d'une respiration et plonger dans un lac révélateur de notre moi interne. La musique de Jean-Michel Blais nous y guide.

«Dans la musique de "Matthias et Maxime", il y a beaucoup de "moi" et beaucoup de "pas moi", raconte Jean-Michel Blais. Xavier a une vision très claire du travail, il sait où il va et il nous utilise abondamment. Et nous, on s'y prête avec un grand de plaisir.»

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C'est une première expérience de bande originale de film pour le jeune compositeur et rien a priori ne le prédestinait à cette carrière. Alors, le coup de fil de Xavier Dolan, une vedette absolue au Québec, l'a surpris à tel point qu'il a «fait une sauvegarde de mon écran du téléphone quand j'ai découvert son message». Le réalisateur de «Matthias et Maxime», présenté à la sélection officielle du 72e Festival de Cannes, a souvent souligné qu'il avait eu envie avec cette production de faire un film avec ses copains. Une atmosphère d'amitié lors du tournage qui déteint également sur le nouveau de la «bande de copains très touchante» comme les décrit Jean-Michel Blais: «Dans la vraie vie, ils sont finalement très proches des personnages: on ne sait plus si on est dans un film ou dans la réalité.»
Et le plus important,

«Il y a eu avec Xavier une amitié musicale, ce rapport extrêmement touchant, raconte Jean-Michel Blais. Je pense que Xavier avait une telle envie de retour chez lui, avec ses amis, à Montréal qu'il m'a choisi, bien que je n'ai jamais fait de musique de film, j'ai été amené dans la "gamme".»

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Dès le début du film, le spectateur doit s'accrocher, puisque les dialogues vont à une vitesse effarante. Les ralentir ou être québécois? Ni l'un ni l'autre ne sont en notre pouvoir. Mais la musique nous est donnée. La première fois que l'on prend une pause, c'est avec la pièce intitulée «Le lac».

«Musicalement, c'est assez effervescent, on prend une note et tout évolue là-dessus comme un champagne, raconte le compositeur. Mais c'est la première fois quand dans tout le cafouillis que l'on vit, où grâce à la musique du piano aussi, on voit le personnage se retrouver face à lui-même, grâce à de vraies questions existentielles: "qui suis-je", "est-ce que je vis la vie que je devrais vivre". Le piano tout de suite s'adresse au cœur, avec sa simplicité.»

Cet exercice de bande-son d'un film a au début été très difficile pour un compositeur ayant fait ses armes dans l'improvisation inspirée. Il nous avoue d'être «un peu comme Xavier, très perfectionniste», avec son besoin viscéral de tout contrôler: image, son, mixage. «Je suis super chiant», confesse le compositeur, en s'étonnant du résultat:

«Et du coup, cette tendance au perfectionnisme m'a donné confiance. Bien qu'au début, ce n'était pas "ça", certains passages musicaux prenaient trop de place, nous raconte Jean-Michel Blais. Il y a ce rapport-là qui est préexistant à l'écoute des pièces musicales. Ça marche dans nos vies et ça marche également dans le film.»

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Les deux jeunes créateurs ont trouvé un moyen de se retrouver dans un film alliant l'image et la musique, tout en gardant son caractère très spontané et improvisé. Un pas de chaque côté: Xavier Dolan a fait confiance au compositeur et reçu en retour «une entière confiance»: «J'ai vu tous ses films, j'approuve totalement, c'est quelqu'un que j'admire pour mille raisons», s'enthousiasme Jean-Michel Blais, sans considérer le travail sur le concept proposé par le réalisateur comme une limite ou un frein à la création.

«Je me mets au service, je fais ce que Xavier me demande, raconte Jean-Michel Blais. Lui, il sait comment le piano va jouer en contrepoint avec d'autres pièces plus pop. Lui, il sait la durée, l'équilibre avec l'image. Mais j'ai l'impression qu'on a cherché ensemble. La majorité de la musique que l'on entend dans le film, ce sont des impros.»

Certaines improvisations sont même issues du film lui-même, où, pour la dernière pièce musicale du film- «L'appel»- Xavier Dolan faisait jouer la musique sur le plateau du tournage; la musique était tellement forte vers la fin, qu'il voulait revenir à la version de départ. Seul hic, il s'agissait d'improvisation…

«Je lui ai dit: "je ne peux pas tout refaire, l'improvisation est faite, il faut la reconnaître avec ses imperfections", nous raconte le jeune compositeur. Parfois, ce n'est pas une interprétation des mieux maîtrisée, le rythme bouge un peu, c'est "organique". On m'a dit que ça allait de pair également avec la prise d'images, où le cadre n'était pas toujours parfait, il y a des flous. C'est la vie.»

«Je suis prêt à refaire un autre film. N'importe quand!» s'exclame Jean-Michel Blais qui affirme avoir adoré travailler avec Xavier Dolan, soulignant «que cela a été très efficace aussi».
Cette première expérience ouvre au compositeur des perspectives nouvelles. Il tire de cette expérience la compréhension intime qu'une bande sonore du film, tout en restant «de la musique à l'image» et «un peu subordonnée», peut trouver son indépendance:

«Je suis un artiste indépendant, je donne des concerts, le film ce n'est qu'une corde à mon arc. Chaque projet est unique. Il faut savoir reconnaître ce qui est nécessaire pour chaque film. Et Xavier sait ce qu'il veut. Il dit: "voici le cadre dans lequel tu peux t'amuser".»

Et brusquement, notre conversation sort, par on ne sait pas quel miracle, du sillon tout tracé de l'interview de promotion et dévie sur la Russie. «Je suis un grand amoureux de la Russie!» s'exclame Jean-Michel Blais, et on découvre des traces de grands classiques russes dans «Matthias et Maxime» de Xavier Dolan.

«J'ai envie que ma musique fasse grandir, affirme le compositeur québécois. Beaucoup de films fonctionnent avec des "trucs" de base. Mais je me plais dans la transcendance, il y a de la virtuosité. Dans la première pièce —"Le lac"- il y a du concerto de Rachmaninov. C'est un challenge.»

Pour mieux comprendre la musique de Jean-Michel Blais, de celles qui ne restent pas à l'extérieur, qui rentrent en vous et vous fait plonger dans son univers, pour comprendre son amour pour la Russie, il faudrait écouter «Rose», dans son dernier album «Dans ma main», où «à la toute fin, il y a un "sampling" [un échantillonnage, nldr] du deuxième mouvement du deuxième concerto de Rachmaninov», comme l'explique le compositeur, qui a suivi dans cette composition «le plus grand des postromantiques» qu'il adore.

Et le compositeur entrouvre la porte de sa cuisine artistique: «En jouant, je me suis rendu compte qu'on dirait du Rachmaninov et j'ai décidé, au lieu de le cacher et de donner l'impression que je l'ai composé, de se dire "je l'assume"! Là, il y a des violons qui repartent par-dessus mon piano, et l'espace de quelques secondes, on est dans un concerto, avec un orchestre. Ce que j'aime, c'est que ce mouvement de Rachmaninov a été repris dans le morceau "All by Myself", chanté par Céline Dion, une québécoise aussi. Il y a donc ce rapport entre la pop, Céline et le classique.»
Le don inné du compositeur d'une broderie sonore, qui est de savoir mixer les styles de musiques, les styles de vie, a trouvé sa place également dans la musique du film:

«Chez Xavier, il y a un mélange-fusion entre les classes sociales —les pauvres, les riches- dans le même film. J'aime beaucoup ce rapport et c'est avec cette pièce que Xavier est venu nous voir, en voulant la mettre dans le film. On l'a retiré à un moment donné et on a mis "Le lac", car il a dit "je veux une musique originale".»

… pour le plus grand bonheur du spectateur.

«Matthias & Maxime» de Xavier Dolan, dont Jean-Michel Blais a composé la bande originale, a été soutenu la Sacem, qui met en valeur la Musique de Film lors du Festival de Cannes.

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