C’est trash à Chiess ou la chronique du scandale des ordures ménagères moscovites

© Sputnik . Pavel Lvov / Accéder à la base multimédiaLe ramassage des déchets dans la zone arctique de Russie
Le ramassage des déchets dans la zone arctique de Russie - Sputnik Afrique
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Chiess, une petite station ferroviaire, à mille kilomètres de Moscou, dans le Nord russe, est devenue ces derniers jours le terrain d’un conflit entre propriétaires d’un chantier d’un site d’enfouissement de déchets ménagers et activistes écologiques. Sputnik fait le tour de cette question trash.

La question des décharges et des sites d’enfouissement d’ordures est un sujet épineux en Russie depuis plusieurs mois. Dans la région de Moscou, on peut parler de «phase aiguë» depuis mars 2018, quand les discussions sont passées des tables rondes aux rondes de protestations. À une centaine de kilomètres à l’Est de Moscou, la décharge «Yadrovo», non loin de la ville de Volokolamsk, a fait parler d’elle en mars dernier, puisqu’une situation d’urgence a été déclarée à cause d’une odeur désagréable, émanant du site d’enfouissement. Plusieurs dizaines d’enfants, qui souffraient de difficulté à respiratoires, ont été confiés à des médecins à Volokolamsk. Et depuis, les habitants ne décolèrent plus: un mois plus tard, des manifestations de rue contre les décharges d’ordures ont lieu dans neuf villes de la région de Moscou.

«La manifestation aujourd’hui à Syktyvkar contre la construction d’un site d’enfouissement à #Shies, semble très impressionnante. Ce n'est pas surprenant, Syktyvkar est situé à 90 km de Chiess et les gens ne veulent tout simplement pas que leurs terres soient transformées en poubelles.»

En avril dernier, la «Carrière Alexinskyi», près de Klin, une autre petite ville historique, à une centaine de kilomètres au nord de Moscou, pourtant déclaré comme fermée, a été de nouveau citée comme dangereuse lors d’une manifestation d’activistes écologiques.

Pour l’instant, la région de Moscou traite environ 3,5 millions de tonnes d’ordures sur son propre territoire, auxquels s’ajoutent environ 6 millions de tonnes des déchets de la ville de Moscou proprement dite. Ainsi, environ 9,5 millions de tonnes de déchets, soit environ 16,5% de tous les déchets municipaux de Russie, devraient être stockées dans les décharges de la région moscovite. Mais les 15 sites en exploitation dans la région de Moscou ne peuvent recevoir qu’environ 4,6 millions de tonnes par an.

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Il fallait donc trouver une solution pour presque cinq millions de tonnes de déchets ménagers solides annuels. Et celle-ci n’est pas en odeur de sainteté. «Le Nord russe n’est pas une poubelle», est le slogan-type que l’on peut voir lors des manifestations dans la région d’Arkhangelsk. Et le chantier aux abords de la station Chiess («Шиес», en russe) a focalisé ces derniers jours l’opposition au «transfert du problème de déchets», bien présente dans les régions du nord de la partie européenne de la Russie.

La nouvelle qu’un site d’une superficie de 5.000 hectares pour l’enfouissement de déchets solides «moscovites» serait aménagé près de la gare de Chiess, dans le district Lensky, est tombée durant l’été 2018. Le projet prévoit que le site, ouvert 24/24, accueillera de 55 à 90 wagons d’ordures, jusqu’à cinq trains par jour. Le site d’enfouissement rapporterait au budget régional 912,1 millions de roubles (11,4 millions d’euros, sur un milliard d’euros du budget annuel 2019) et la première phase du chantier est prévue par le prestataire vers le 30 juin prochain.

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Le 4 juin, la situation est à nouveau devenue explosive sur le site de Chiess, au moment où les ouvriers du chantier ont commencé à remettre en place une clôture démontée par des activistes. Les papiers d’autorisation présentés par le représentant du ministère d’Intérieur n’ont pas étés jugés valides et les éco-activistes ont essayé de s’opposer de force à l’avancée du chantier. Ils ont été balayés par la police anti-émeute et plusieurs personnes ont été interpellées.

Les habitants de la région d’Arkhangelsk et de la république autonome des Komis voisine s’opposent à ce projet depuis des mois, en organisant de nombreux rassemblements dans différentes villes, en multipliant des pétitions à l’attention des autorités locales, qui y ont fait sourde oreille. Ainsi, un groupe d’activistes avait souhaité organiser un référendum sur l’interdiction de l’importation de déchets dans la république des Komis. Une initiative qui n’a pas passé l’examen au Conseil d’État de la République: elle a été reconnue comme n’étant pas pertinente vis-à-vis de la législation et les fonctionnaires ont proposé aux activistes de «réfléchir à la formulation de cette réclamation». Les habitants de nombreux villages de la région d’Arkhangelsk– Urdoma, Yarensk, Koryajma et d’autres– ont multiplié les actions de protestation contre le projet. Le 2 juin, ils ont été soutenus par les habitants de la capitale de la république des Komis, Syktyvkar.

La situation est complexe, puisqu’il est vrai que de nombreux habitants d’Arkhangelsk étaient ravis de pouvoir enfin obtenir un travail, auparavant difficile à trouver, comme d’ailleurs dans d’autres parties de la région et dans la République des Komis. Mais, ceux qui travaillent sur place sont obligés de se justifier et ne souhaitent pas être filmés, puisqu’ils sont traités de “briseurs de solidarité”, voire de “traîtres”.

«Nous n’avons pas besoin de décharges! Beaucoup de gens sont venus! Ceux qui savent réfléchir ont choisi la bonne manif! (Le slogan sur l’image –“Non aux déchets de Moscou dans le Nord”)»

Il y a un an, lors de sa traditionnelle émission “Ligne directe”, séance de réponses télévisées aux questions de ses concitoyens, Vladimir Poutine a parlé du problème de traitement des déchets ménagers, en citant “environ 70 millions de tonnes de déchets par an” produits par le pays et en admettant que “ce problème s’aggrave”.

“Nous devons changer radicalement la situation. Jusqu’en 2024, nous devons construire 200 usines de gestion des déchets. Et l’ensemble du programme prévoit la construction de 238 usines”, a déclaré Vladimir Poutine lors d’une séance de questions-réponses avec les Russes le 7 juin 2018.

Interpellé en décembre dernier par les habitants de la région d’Arkhangelsk à ce sujet, Vladimir Poutine n’a toutefois pas donné suite. «Nous avons vu cet appel dans les médias, bien sûr, et cela a été rapporté [au président, ndlr]. Nous devons expertiser cette question», a déclaré aux journalistes Dimitri Peskov, le porte-parole du Kremlin.

Le Président a lui-même avoué que dans le traitement des déchets, dont l’organisation remonte à la période soviétique, “environ 1.100 sites sont dans un état plus ou moins normal, tandis que des dizaines de milliers d’ouvriers y travaillent sans être enregistrés, et une partie de cette activité est criminalisée.”

«Viktor Yevtukhov, directeur adjoint du ministère de l’Industrie et du Commerce russe, a déclaré que la Russie disposerait l’an prochain des premiers éco-Technoparc, composé d’une unité de traitement des déchets, d’une unité de tri et d’une unité de transformation des déchets ménagers solides.»

Le concept, clair sur le papier, a du mal à faire du chemin dans la pratique.

Pourtant, la presse cite des exemples plus réussis, où, même dans la province profonde, des solutions se mettent en place: le 1er janvier 2019, les déchets municipaux solides collectés dans le nord de la presqu’île de Kola, toujours dans le Nord, sont acheminés vers le site éco-technologique de Mejdouretchye (un village qui compte quelque 1.000 habitants, à 20 km de Mourmansk), constitué d’un complexe municipal de stockage de déchets solides et d’un centre de tri.

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La mise en place de cet éco-Technoparc a pris cinq ans: en 2013, un accord de concession a été conclu entre le gouvernement régional et l’entreprise moscovite “Gestion des déchets” (“Upravlenie otkhodami”), portant sur la construction et l’exploitation ultérieure d’une décharge d’une capacité de 250.000 tonnes/an, d’un complexe de tri de déchets d’une capacité de 180.000 tonnes/an et de quatre stations de transfert de déchets. Cette prestation, qui est un premier pas vers l’enfouissement organisé des déchets, serait en partie financée par les taxes locales, qui représentent dans cette région 133,56 roubles par personne et par mois (2 euros/mois par personne, avec un tarif dégressif, notamment pour des familles nombreuses).

À partir du 1er janvier dernier, le “traitement des déchets” est passé à la charge des ménages russes, provoquant des réactions mitigées, principalement à cause de l’inefficacité de certaines régions à organiser le ramassage systématique et à pallier à l’invasion des décharges sauvages. À la fin du mois de mars, le ministère des Ressources naturelles et de l’Écologie a établi la liste des régions qui remplissaient les objectifs de la réforme, en promettant de baisser à 30% leurs tarifs de collecte.

La région d’Arkhangelsk, où se trouve le site de Chiess, n’y figure pas…

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