Macron s’apprête-t-il à trahir ses belles promesses sur l’écologie?

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Un projet de décret gouvernemental prévoit de faciliter les autorisations de travaux sur les sites classés. Plusieurs associations de défense du patrimoine et de la biodiversité sont vent debout contre le texte. Sputnik France a interrogé Julien Lacaze, de l’association Sites et monuments, qui dénonce un double discours des autorités.

«Projet de décret portant déconcentration de la délivrance des autorisations de travaux en site classé.» C’est le nom d’un texte disponible en consultation publique depuis le 31 mai. Un vocabulaire technique qui cache, selon de nombreuses associations, un recul dans la protection du patrimoine et de la biodiversité. Le texte est surveillé de près, notamment par Julien Lacaze, vice-président de l’association Sites et Monuments, qui a confié à Sputnik France être «très inquiet». Et il est loin d’être le seul.

​La France compte 2.700 sites classés, qui recouvrent 2% de la surface du territoire. Ces derniers bénéficient d’un régime de protection centenaire, en relation avec leur caractère «pittoresque, légendaire, artistique, historique et scientifique». Parmi eux, se trouvent le massif du Mont-Blanc, la butte de Doue en Seine-et-Marne, le marais poitevin, la forêt de Fontainebleau, l’île de Ré, le mont Saint-Michel ou encore les calanques de Marseille. Aujourd’hui, tous travaux susceptibles de modifier l’aspect de ces sites comme des démolitions, des travaux soumis à permis de construire, l’abattage d’arbres ou des ouvrages d’infrastructures des voies de communication nécessitent l’aval du ministre de la Transition écologique.

«La philosophie de la protection des sites classés qui existe depuis la loi 1906, confirmée par la loi 1930, est celle d’un équilibre lorsqu’il s’agit de faire des transformations dans ces zones qui ne sont pas inconstructibles par définition. L’équilibre c’est: d’abord une instruction locale puis une décision ministérielle. Cela permet de bénéficier de l’expertise du local pour voir concrètement quel projet de transformation est envisagé et ensuite de pouvoir compter sur une décision ministérielle, aidée par un bureau des sites qui peut apporter distance et hauteur de vue dans le processus décisionnel. Sans parler de la nécessité de résister aux pressions locales qui sont très fortes sur ces sites classés. C’est le meilleur système possible», explique Julien Lacaze.

Le projet de décret du gouvernement prévoit de donner le pouvoir décisionnaire au préfet du département, en d’autres mots de «déconcentrer». «Il n’y a jamais eu d’attaque aussi importante du dispositif, les inspecteurs à la retraite qui m’appellent me disent que c’est la fin des sites classés», s’est ému David Couzin, président de l’Association des inspecteurs des sites, auprès de nos confrères de Reporterre, qui ont révélé l’affaire courant mai.

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Julien Lacaze s’inquiète particulièrement des pressions que pourraient subir les préfets de la part de notables locaux.

«C’est évident, presque mécanique et nous le vivons dans d’autres domaines de la vie administrative du pays qui sont déconcentrés. Cela peut concerner la villa d’un notable local qui s’agrandit ou des projets d’exploitation touristiques de sites classés. Cela peut être légitime dans le cadre de créations d’emplois, mais à la longue, on banalise ces sites. Des précédents ont montré que certains sites avaient perdu leurs caractéristiques premières et ont fini par se dégrader. Nous avons vraiment besoin du ministère pour lutter contre ces pressions, mais aussi pour avoir une cohérence dans la politique de préservation des sites au niveau national.»

Reporterre relaie les propos d’Élodie Martinie-Cousty, représentante de FNE (France Nature Environnement) à la commission supérieure des sites, perspectives et paysages. Elle partage les préoccupations de Julien Lacaze: «Et puis, les moyens des préfets de département ont déjà été considérablement réduits». Avant de poursuivre: «Ils ont parfois du mal à juste exercer le contrôle de légalité, alors on a du mal à imaginer qu’ils vont résister aux pressions des gros opérateurs.» Et des cas précis se dessinent d’après la membre de FNE: «Par exemple, à Chamonix, sur le Mont-Blanc, de gros opérateurs voulaient installer des retenues collinaires afin de faire des réserves d’eau pour produire de la neige artificielle. Jusqu’ici, le maire et l’inspecteur des sites locaux ont résisté parce que les inspecteurs généraux ont dit non.» 

​Toujours à Reporterre, un inspecteur local assure que «des dossiers de projets d’aménagement» seront «débloqués dès la publication du décret» et cite l’exemple d’un «hôtel cinq étoiles avec héliport» sur «un secteur viticole».

Écologie, le discours et les actes

Les initiatives se sont multipliées ces dernières semaines pour faire barrage au gouvernement. L’Association des inspecteurs des sites et des chargés de mission paysage a publié un manifeste dénonçant le «nivellement par le bas de paysages emblématiques» qui «remettra en cause l’avenir de [notre] cadre de vie et paradoxalement l’avenir d’un tourisme de qualité accessible à tous». Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a quant à lui publié un avis daté du 21 mars dans lequel il s’en prend au projet du gouvernement:

«Pour le CNPN, une déconcentration totale des autorisations de travaux remettrait en cause les efforts accomplis pendant plus d’un siècle pour la protection des sites les plus remarquables de France, qui font par ailleurs l’objet d’un intérêt croissant par le grand public, et elle constituerait un danger pour la protection de la biodiversité et des paysages qui fonde cet intérêt. Le CNPN considère que cette déconcentration serait en contradiction flagrante avec la loi de 2016 pour la “reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages”, dont l’essence même repose sur leur reconquête, et non d’aller en sens inverse, en concourant à les affaiblir par une approche locale et non nationale.»

Le Réseau des grands sites de France, l’Union calanques littoral, les parlementaires Éric Gold (Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, RDSE), Sarah El Haïry (Modem) ou encore l’ancienne ministre de l’Écologie Delphine Batho ont tous interpellé les autorités pour exprimer leur inquiétude vis-à-vis de ce projet de décret.

En dehors de possibles modifications des paysages qui poseraient des problèmes esthétiques, plusieurs des sites classés offrent des havres de protection pour la biodiversité. Contacté par Sputnik France, Anne Dieleman, de l’association Nature et société, a dénoncé l’attitude du gouvernement:

«C’est absurde. On n’arrête pas d’alerter sur la chute de la biodiversité. à notre petite échelle, on nous demande de sensibiliser sur le danger de l’artificialisation des sols, l’importance de garder des sols qui ne sont pas bétonnés, etc. Et dans le même temps, on lâche du lest sur les textes censés protéger la biodiversité.»

Le 6 mai, Emmanuel Macron s’exprimait à la suite d’une rencontre avec des membres de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). «C’est la première fois qu’au meilleur niveau scientifique sont établis des faits cruels pour nous tous et qui appellent à l’action. Ce qui est en jeu est la possibilité même d’avoir une Terre habitable», avait-il déclaré. Avant d’ajouter: «La biodiversité est un sujet aussi important que le changement climatique et nous ne pouvons gagner cette bataille qu’en mettant ces deux objectifs ensemble.»

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Julien Lacaze dénonce un paradoxe entre les actes et les mots:

«Avec notre spectre un peu particulier, qui est celui de la préservation du patrimoine et de la nature, nous voyons que nous sommes confrontés à une dérégulation depuis le début du quinquennat. Des normes qui pour certaines existent depuis plus de 100 ans sont détricotées. Il est très compliqué pour le public de s’en rendre compte avec l’utilisation d’un langage très technique. Par exemple, le terme “déconcentration” ne parle pas à tout le monde. Il y a un double discours entre la communication gouvernementale et la réalité. Nous avons envie de dire à Monsieur Macron: “Si vous voulez une politique écologique, alors faites là, y compris dans les textes techniques”. Malheureusement, nous avons droit aux grands discours d’un côté et à dérégulation de l’autre.»

D’autant plus que plusieurs observateurs s’interrogent sur le timing de la mise en consultation publique du projet de décret. «Soucieux de verdir sa politique avant l’échéance des élections européennes, il [le gouvernement Ndlr] a préféré reporter le lancement de la consultation publique, qui était prévue à une date antérieure», affirme Actu environnement. Une analyse partagée par Julien Lacaze:

«La consultation publique devait commencer le 20 mai et a été repoussée au 31, soit après les élections européennes. Comme l’écologie et la préservation de la biodiversité étaient parmi les enjeux majeurs de ces élections, le gouvernement a dû penser que la mise en consultation publique de ce projet de décret pouvait tomber au mauvais moment et catalyser des oppositions, qui auraient d’ailleurs été légitimes.»

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Le gouvernement se défend de toute volonté de nuire à la protection du patrimoine ou de la biodiversité. Il a répondu à un article de Reporterre: «L’évolution visée par le décret mis en consultation ne porte absolument aucune régression dans la réglementation applicable et dans la politique de préservation des sites classés. Il se borne à poursuivre la démarche de déconcentration de la délivrance des autorisations de travaux réalisés en site classé, initiée dès 1988, et qui a conduit à ce que les deux tiers des autorisations de travaux en site classé (environ 1.500 par an) soient d’ores et déjà déconcentrés au niveau départemental. Une démarche qui visait à réduire les délais de décision et à la rapprocher le plus possible des réalités locales. [...] De plus, le ministre chargé des sites conservera un pouvoir d’évocation, dont les principes seront réaffirmés. Il pourra ainsi s’autosaisir ou être saisi par un tiers sur tous les projets afin que l’avis soit donné à son avis.»

«C’est tout à fait vrai. Mais la question ici est de maintenir l’essentiel. Nous ne sommes pas absolutistes. Nous souhaitons que les permis de démolir, de construire et d’aménager continuent à passer par une autorisation ministérielle. Pour le reste, il peut être et est déjà en partie sous la responsabilité du préfet. Il est vrai que l’on ne change pas la substance des textes, mais l’on modifie l’autorité décisionnaire. Passer du ministre au préfet de département, qui est en bas de la hiérarchie administrative, représente un énorme changement.

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À la limite, la région est déjà un peu plus loin des pressions locales, mais là, nous allons nous retrouver avec une centaine de départements qui vont mener leur propre politique, sans avoir conscience de ce que font les autres. Tout cela, ajouté à l’instabilité provoquée par la rotation des préfets, va provoquer des tentatives de plus en plus nombreuses des promoteurs. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Le bureau des sites du ministère est très stable. Il y a donc une vraie vue d’ensemble et un vrai recul. Jusqu’à aujourd’hui du moins», répond Julien Lacaze.

Selon Reporterre, le décret devrait être publié en juin. Au grand dam de Julien Lacaze:

«Nous ne pouvons pas avoir un tel discours de la part des autorités sur la préservation de la biodiversité et ensuite se retrouver avec des projets de décret qui vont dans la direction inverse.»

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