Saint Clair: «Macron n’est pas un stratège, son soi-disant machiavélisme est une imposture»

© Sputnik / Accéder à la base multimédiaEmmanuel Macron
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Alors que LREM a siphonné une grande partie de l’électorat républicain lors des élections européennes, des tensions apparaissent au sein de la majorité concernant la PMA. Signe que le Président aura du mal à tenir la droite et la gauche de son électorat? Le politologue Frédéric Saint Clair livre son analyse à Sputnik France.

«Cette interview dans le magazine d’extrême droite L’Incorrect est à mes yeux inacceptable. Sous couvert de naïveté, elle dit des choses absolument terribles. Si vous décryptez bien, elle sous-entend que le modèle hétérosexuel est supérieur à tous les autres, qu’il y aurait une minorité [les personnes LGBT, ndlr] qui chercherait à imposer un mode de vie... Et j’en passe et des meilleures. Et en plus, c’est prononcé de manière tellement insidieuse que ça m’est insupportable!»

Elle, c’est la députée LREM Agnès Thill. Et au micro de nos confrères de FranceInfo, Raphaël Gérard, député de la majorité de Charente-Maritime, ne cachait pas son courroux. Avec sa collègue parlementaire de l’Allier Laurence Vanceunebrock-Mialon, il menace tout simplement de quitter la majorité si Agnès Thill n’est pas exclue de LREM. En cause, ses propos tenus lors d’une interview au magazine L’Incorrect, dans laquelle elle s’en est à nouveau pris à la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes, promesse de campagne du candidat Macron qui devrait être examinée en conseil des ministres le 26 juillet. Agnès Thill avance qu’elle ne veut pas avoir «une quelconque responsabilité dans une loi qui restera dans l’histoire comme celle qui aura évincé les pères de la naissance et de l’éducation des enfants». Des propos inacceptables pour ses deux collègues, au point qu’ils ont décidé de poser un ultimatum à leur direction.

​Cette affaire intervient après la deuxième place de LREM aux élections européennes, qui ont vu le parti de la majorité siphonner l’électorat LR, notamment catholique. De très bon augure pour 2022. Mais Emmanuel Macron doit-il s’attendre à devoir ménager ses nouveaux électeurs concernant les questions sociétales, tout en conservant sa base centriste et progressiste? Le politologue Frédéric Saint Clair a livré son analyse de la situation à Sputnik France. Entretien.

Sputnik France: Raphaël Gérard et Laurence Vanceunebrock-Mialon menacent de quitter LREM si Agnès Thill n’est pas expulsée pour ses propos sur la PMA. Que se passe-t-il à LREM?

Frédéric Saint Clair: «Manifestement, à LREM, ils sont incapables de gérer les discours et les points de vue alternatifs. Ce n’est pas une nouveauté. À peine élu, Emmanuel Macron prenait une mesure de moralisation de la vie publique. Le terme de moralisation est important. Il signifie que la posture morale est extrêmement importante pour LREM. Cette morale macronienne passe son temps sur chaque sujet à définir où se trouve le Bien et où se trouve le Mal. À partir du moment où l’on transforme toutes les questions politiques, qui devraient avoir pour base l’intérêt des Français et la diversification des opinions politiques en matière démocratique, en une opposition entre le Bien et le Mal, il n’y a plus de discussion possible. Si vous considérez être du côté du Bien, vous considérez être du côté de la vérité. Vous en venez alors à voir votre opposant comme un ennemi, avant de l’exclure. Ce à quoi nous assistons en ce moment du côté de LREM est un micro-phénomène, qui ne concerne que trois députés sur l’ensemble des parlementaires LREM, mais qui est en revanche très représentatif de l’état d’esprit qui règne au sein d’une majorité où gouverne la morale et non pas la pensée politique. Emmanuel Macron, ses ministres et ses parlementaires sont incapables d’en produire.»

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Sputnik France: Quand on regarde la carte du vote lors des élections européennes, on s’aperçoit que LREM a siphonné une bonne partie de l’électorat des Républicains, notamment chez les catholiques. La majorité ne prendrait-elle pas un risque en expulsant Agnès Thill pour ses propos sur la PMA?

Frédéric Saint Clair: «Je ne suis pas certain qu’elle prenne un si grand risque que cela. Il sera toujours possible de caricaturer les propos d’Agnès Thill en les teintant d’homophobie, comme cela a d’ailleurs déjà été le cas. De plus, ce vote catholique est globalement un vote bourgeois. Il est assez naturel. Je n’ai pas l’impression que les catholiques qui ont rallié Macron sont tant que cela attachés à l’éthique portée par une partie de la droite LR qualifiée de plus traditionaliste. Ce vote catholique est avant tout attaché à la notion d’égalité avec une forte dimension sociale, nous sommes dans un catholicisme très “pape François”, ouvert à l’accueil des étrangers et favorable à l’égalité en faveur des minorités. Tout cela s’inscrit bien avec la posture d’Emmanuel Macron, sachant qu’ils lui font probablement confiance sur le fait qu’ouvrir la PMA à toutes les femmes ne suppose pas d’aller jusqu’à autoriser la gestation par autrui (GPA). Et je pense qu’ils ont raison. Il me semble que dans la tête du Président, cela ne se produira pas. En revanche, le mécanisme serait enclenché et les gouvernements suivants, s’ils sont progressistes et dans la même veine que Macron, sauteront le pas. Il faut l’accepter dès aujourd’hui. C’est dans l’ordre des choses.»

Sputnik France: La stratégie de Macron de siphonner l’électorat LR le place-t-il dans une position délicate par rapport à son électorat centriste et progressiste? Il va falloir concilier ces deux mondes en vue de 2022…

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Frédéric Saint Clair: «Il n’y a pas de stratégie d’Emmanuel Macron. Il faut cesser de croire qu’il est un stratège. C’est un tacticien partisan. La soi-disant stratégie machiavélienne dont il serait l’auteur dont nous parlent les magazines aujourd’hui est une imposture. Macron n’est absolument pas un machiavélien, il est en retard sur tous les événements. C’est la décomposition du pays et la crise démocratique que nous traversons qui lui profitent. Il n’est aucunement un stratège qui instrumentalise l’opposition avec le Rassemblement national. Cette dernière était déjà présente à l’époque de Nicolas Sarkozy. Je rappelle que ce dernier disait à Dominique de Villepin en 2007 avant les élections présidentielles qu’il était nécessaire pour lui de prendre les électeurs du Front national pour éviter la défaite. Le Front national était déjà le premier parti de France aux élections européennes de 2014, devant la droite traditionnelle et la majorité de l’époque de François Hollande. Macron compose avec la réalité qui est une absence de ligne politique claire chez LR et le manque d’adhésion à un chef. Laurent Wauquiez n’avait pas la stature. Les Français de “droite républicaine” comme on les appelle, ne parvenant pas à s’identifier à ce chef s’en sont cherché un autre. Macron a simplement ressuscité l’Union pour la démocratie française (UDF). Il a rompu l’alliance historique entre ce parti et Le Rassemblement pour la République (RPR). Le RPR est en grande partie parti chez Marine Le Pen, mais ses décideurs politiques sont restés dans le cadre de LR. L’UDF, de son côté, a quasi intégralement rejoint Macron qui les a alliés aux rocardiens. Macron est un tacticien. Il a juste changé le système d’alliance politique historique français. Il n’y a pas de stratège, de Machiavel, rien de tout cela. Il se trouve que la population fait comme elle peut et qu’elle décide au jour le jour vers qui se diriger. Il n’y a vraiment aucun mystère dans le nouveau monde de Macron.»

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Sputnik France: Dans quelle mesure une droite recomposée pourrait-elle profiter des dissensions au sein de LREM en vue des prochaines échéances électorales?

Frédéric Saint Clair: «Une droite recomposée est extrêmement difficile à mettre en place. Des initiatives commencent à se faire sentir et elles montrent une attente d’une forme d’alliance au sein de la population de droite. Mais politiquement, c’est très complexe. Des tensions partisanes très fortes existent, de même que des bagages historiques très divergents. Pour le dire de façon brutale: l’héritage politique historique du RN, c’est Pétain. Jean-Marie Le Pen a à nouveau rappelé dans son dernier ouvrage sa fidélité à Pétain et sa détestation de De Gaulle. à l’inverse, du côté des Républicains, il existe une détestation de Pétain et une fidélité gaulliste. Réconcilier de manière tactique ces deux droites-là en balayant ces héritages me semble extrêmement compliqué. Il faudrait créer un nouveau mouvement qui attirerait des dirigeants de grands partis et que cela soit suffisamment massif pour générer une nouvelle dynamique. Encore une fois, cela me semble très compromis. Emmanuel Macron a un boulevard.»

Sputnik France: L’alliance de Marion Maréchal et de François-Xavier Bellamy n’est donc pas prête de voir le jour?

Frédéric Saint Clair: «Je pense qu’effectivement elle n’est pas pour tout de suite. Mais je peux me tromper.»

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