Le tourisme irakien de retour en Tunisie… trente ans après

CC BY 2.0 / Jorge Franganillo / Tunis-Carthage International AirportTunis-Carthage International Airport | Aéroport International de Tunis-Carthage
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En Tunisie, responsables et opérateurs du tourisme tunisiens se félicitent d’une relance palpable du tourisme irakien. Un marché «nouveau», en provenance d’un pays en reconstruction qui, en dépit de son volume limité, pourrait s’avérer porteur.

C’est une première depuis 1991. Samedi 8 juin 2019, l’avion portant l’emblème de «l’oiseau vert»– devenu entre-temps un oiseau rare– atterrissait sur l’aéroport de Tunis-Carthage. À bord de l’appareil aux couleurs d’Iraqi Airways, 128 touristes irakiens, venus passer une semaine de vacances dans les zones phares de ce pays méditerranéen.

Pour le gouvernement tunisien, qui fait du tourisme l’une des priorités de cette année 2019, la reprise des vols directs à partir de Bagdad est «un retour à l’ordre normal des choses», même s’il s’agit encore, en l’occurrence, d’un avion charter affrété par un tour opérateur irakien, en partenariat avec un opérateur tunisien, et non de la reprise d’une ligne régulière.

«Arrivée d’un premier groupe touristique irakien.»

Longtemps demeurée insensible à l’appel de la «saisonnalité», la longue migration de l’Oiseau vert a néanmoins pris fin avec le changement du climat… international. Même si cela a pris du temps. Les sanctions imposées à l’Irak de Saddam Hussein, à la suite de l’annexion du Koweït en 1990, avaient également touché le transport aérien. Si bien qu’il fallut attendre l’automne 2004 pour que l’Oiseau vert reprenne son envol international. Toutefois, la destination Tunisie, comme d’autres, demeurait absente des programmations de la compagnie irakienne.

«À l’époque, rétablir le trajet n’était pas considéré comme une priorité tant du côté irakien, que celui tunisien. Mais les choses ont commencé à bouger ces dernières années», résume une source gouvernementale à Sputnik.

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Après un accord de principe sur la reprise des vols conclu en 2014 entre les deux pays et la programmation d’un vol éphémère du pavillon national tunisien vers Erbil, capitale du Kurdistan irakien, le rythme s’est accéléré en 2017 avec la visite du ministre des Affaires étrangères tunisien, Khemaïes Jhinaoui, à la tête d’une délégation d’hommes d’affaires. Quelques mois après, c’est la nomination d’un nouvel ambassadeur à Bagdad, alors que ce poste était demeuré vacant depuis 2016. En février 2018, nouvelle étape, avec la signature d’un mémorandum entre les directions de l’aviation civile irakienne et tunisienne. Les ministères tunisiens de l’Intérieur et du Tourisme ont été mis à contribution pour faciliter les conditions d’octroi de visa, insiste la source gouvernementale de Sputnik, qui a rattaché la reprise tardive des vols à la nécessité de «vaincre un certain nombre d’entraves juridiques.»

«Ce dernier accord prévoit deux vols charters par semaine. Certes, il ne s’agit, pour l’instant, que d’un vol charter qui est opérationnel et qui couvrira la période de juin à octobre 2019. À partir du moment, toutefois, où la rentabilité de la ligne sera confirmée (le coût d’un aller-retour Tunis-Bagdad s’élevant à 70.000USD), on pourra penser à exploiter un second slot horaire, pour passer finalement, à des vols réguliers», poursuit la même source.

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Une certaine remise en cause de la doxa tunisienne en matière de tourisme, suite aux chamboulements de l’année 2011, aura également contribué au déblocage de la situation. Jusque-là, on misait presque exclusivement sur le tourisme européen en provenance d’Allemagne, de la France, de Grande-Bretagne, ou d’Italie. Deux attentats terroristes en 2015, ciblant un haut lieu du tourisme tunisien, ainsi que la ville balnéaire de Sousse, ont sérieusement impacté les flux en provenance de ces fournisseurs traditionnels. Fethi Guizani, vice-président de la Fédération tunisienne des agences de voyage et de tourisme (FTAV), se rappelle avec amertume cette époque:

«Après ces attentats, plusieurs restrictions de voyage ont été émises par des chancelleries occidentales. Cela a provoqué d’une part le refus des compagnies d’assurance de ces pays de couvrir les déplacements en Tunisie, mais aussi la déprogrammation de la destination des circuits des tours opérateurs. Le marché domestique, algérien et russe sont alors venus à la rescousse, mais la question s’est posée de diversifier notre offre pour ne plus dépendre entièrement des marchés traditionnels», a déclaré Fethi Guizani à Sputnik.

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À la tête du tour opérateur «Open Tunisia», Guizani fait partie de ceux qui ont ouvert la voie à la reprise des vols directs depuis Bagdad. Depuis son lancement en octobre 2010, son agence a été la première à miser sur le marché irakien, que ce voyagiste germanophone connaît très bien pour y avoir travaillé, de 1981 à 1986, comme traducteur.

«Pour contourner l’absence de vols directs, “Open Tunisia” a donc dû se rapprocher des autorités irakiennes, mais aussi conclure des contrats avec les compagnies Royal Jordanian et Turkish Airlines pour faire venir des touristes irakiens en Tunisie, et ce, après transit à Amman ou à Istanbul, selon le cas», détaille Fethi Guizani à Sputnik.

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En 2018, près de 3.562 touristes irakiens ont ainsi pu se rendre en Tunisie, selon des chiffres communiqués à Sputnik par le ministère du Tourisme. Un nombre appelé à augmenter avec l’ouverture de la ligne directe. Si les voyagistes se réjouissent d’ores et déjà de cette brèche, des experts du secteur, comme Moez Kacem, qui dirige le magazine en ligne spécialisé TourismView, préfère rester dans la nuance. En rapprochant le marché irakien de celui du golfe, il rappelle que «ce n’est pas un marché de volume et à ce titre, il n’a jamais été considéré comme une cible prioritaire. Ces marchés dépendent en majorité des liaisons aériennes entre les deux pays et de la facilité d’accès à la destination, notamment l’octroi de visas.»

«La Tunisie a accueilli, en 2010, 1.600 touristes irakiens (soit 4% en termes de parts de marché des moyen-orientaux). Ce chiffre a réalisé un rebond de 123% en 8 ans, pour atteindre les 3.562 touristes en 2018. En 2017, le marché irakien a généré près de 2 millions de dinars de recettes [près de 600.000 euros, ndlr] ce qui apparaît dérisoire en termes de contribution aux recettes globales», explique à Sputnik cet expert international en tourisme.

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Un avis qui n’est pas partagé par Fethi Guizani, qui croit au potentiel important à plus ou moins longue échéance du tourisme irakien, en termes de génération de revenus. Tout en rejetant l’assimilation de ceux-ci à la clientèle du golfe, il relève que les Irakiens aspirent désormais à diversifier leurs lieux de villégiature, après avoir longtemps fait de la Turquie leur destination de prédilection. «On en voit aujourd’hui qui préfèrent s’orienter vers l’Azerbaïdjan ou vers l’Arménie, quand ils ne sont pas au Liban, à Charm el-Cheikh, ou en Turquie.»

«C’est en outre des touristes avec un fort pouvoir d’achat, qui n’est en rien comparable avec la clientèle all inclusive européenne sur laquelle on a misé, qui ne tire pas notre économie vers le haut et qui nous a laissé tomber aux moments le plus difficiles», maugrée le voyagiste tunisien.

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Si l’apport du tourisme irakien reste quantitativement dérisoire par rapport aux 6.920.188 entrées de non-résidents étrangers en 2018 et à ce titre, loin de pouvoir reconfigurer le paysage du tourisme tunisien, il n’en demeure pas moins que la reprise des vols directs Tunis-Bagdad est pourvue de «signification politique», confirme la source gouvernementale de Sputnik. Outre les potentialités économiques dont regorge le marché irakien pour les investisseurs tunisiens, ce pays est associé, dans la mémoire collective tunisienne, aux dons de livres scolaires, dans les années 70, à son rôle d’incubateur d’élites politiques qui s’y étaient expatriés vers la même période, mais aussi à la souffrance qui s’abattit, «injustement», sur sa population.

Hasard du calendrier, l’atterrissage de l’avion de la compagnie aérienne Iraqi Airways coïncidait, en ce début du mois de juin, avec un match de football amical disputé à Tunis entre les sélections tunisienne et irakienne. Pour prévenir la désertion des gradins en cette semaine d’Aïd, la fédération tunisienne de football a décidé que l’entrée serait gratuite. Là encore, les impératifs économiques savent plier… devant d’autres considérations.

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