L’Italie, la Commission européenne et les «Mini-BoTs»

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La Commission européenne et la BCE s’alarment depuis quelques jours du projet du gouvernement italien de créer des «mini-Bons ordinaires du Trésor» ou «Mini-BoTs».

Des «Mini-BoTs» figuraient dans le programme du gouvernement de coalition entre le M5S et la Ligue dès 2018, et dans le programme de la Ligue, le parti de Mattéo Salvini, dès 2017. C’est, naturellement, le succès de ce dernier aux élections européennes, où il a réuni plus de 34% des voix, qui a relancé ce projet. Ce dernier s’inscrit aussi dans un cadre politique particulier.

Aujourd’hui, la Commission envisage de lancer une procédure pour «déficit excessif» contre l’Italie. Cette dernière réplique, et non sans quelques bonnes raisons, que le problème n‘est pas le dépassement budgétaire (qui est d’ailleurs inférieur à celui de la France), ni celui de la dette, mais bien celui de la croissance. Et de menacer, si les choses devaient tourner au vinaigre, de lancer les «Mini-BoTs».

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Pourquoi cela a-t-il créé une telle émotion au sein de la Commission, mais aussi de la Banque centrale européenne? C’est que les «Mini-BoTs», s’ils circulent, pourraient à terme constituer une monnaie parallèle, et aboutir à une sortie «en douceur» de la zone euro. Or, cette dernière est de plus en plus considérée comme l’alpha et l’oméga de l’Union européenne. D’où l’inquiétude suscitée par les projets du gouvernement italien.

De quoi s’agit-il?

De quoi s’agit-il donc? Si en Italie le déficit est relativement maîtrisé, c’est que l’État italien est devenu, comme bien des États par ailleurs, un mauvais payeur. Quand il s’agit par exemple de régler des chantiers ou des contrats publics, il se fait tirer l’oreille. Résultat: l’État doit aujourd’hui beaucoup d’argent aux entreprises prestataires. Ces impayés représentent environ 50 milliards d’euros, soit plus de 3% du PIB, ce qui n’est pas rien. En retour, évidemment, les entreprises accumulent des dettes fiscales, mais aussi des dettes sur leurs cotisations sociales. L’idée de départ est donc de titriser cette dette aux entreprises.

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L’État émettrait des mini-Bons du Trésor avec lesquels il paierait aux entreprises ce qu’il leur doit. En échange, les entreprises pourraient alors payer leurs impôts et leurs cotisations sociales avec ces «Mini-BoTs».

Les «Mini-BoTs» apparaissent donc au départ comme un système de compensation de dettes entre les entreprises et l’État, ce que l’on appelle un système de compensation fiscale. En cela, ce système est parfaitement légal dans le cadre des réglements européens actuels. Mais, pour la comptabilité des entreprises, il allègerait leurs provisions pour impôts que ces entreprises doivent faire. L’introduction des «Mini-BoTs» serait donc l’équivalent du paiement des arriérés. De fait, il aboutirait à l’injection de 50 milliards d’euros dans l’économie, ce qui aurait un effet positif pour la croissance.

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Mais alors, d’où vient cette crainte que ces «Mini-BoTs» se transforment en une monnaie parallèle?

La nécessité d’une circulation des «Mini-BoTs»

Pour que ce système fonctionne, les «Mini-BoTs» doivent en réalité pouvoir circuler. La dette de l’État à une entreprise peut en effet être supérieure au montant des impôts qu’elle doit payer. Elle alors plus de «Mini-BoTs» qu’elle en aurait besoin. Qu’en ferait-elle? Par contre, une autre entreprise pourrait ne pas recevoir de «Mini-BoTs», parce que l’État ne lui doit rien et que cette entreprise n’a pas soumissionné à des marchés publics, mais elle aurait bien entendu des imports et des cotisations sociales à payer. Cette entreprise pourrait avoir besoin des «Mini-BoTs» dont disposerait la première entreprise. Donc, les «Mini-BoTs» doivent pouvoir circuler, au moins entre les entreprises. Celles qui ont reçu des «Mini-BoTs» en excédent de leurs besoins fiscaux doivent pouvoir régler l’achat de biens et services à d’autres entreprises avec ces «Mini-BoTs».

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Cela implique que le «Mini-BoT» ait un pouvoir libératoire pour les dettes entre entreprises et pour l’achat de biens et services. Si l’on établit ce pouvoir libératoire, se pose alors la question de la «valeur» du «Mini-BoT». Cette valeur du «Mini-BoT» libellée en euros sera la même que celle d’un billet en euros d’un montant équivalent TANT QUE LE MONTANT DES «MINI-BoTS» ÉMIS SERA INFERIEUR OU ÉGAL AU MONTANT DES IMPÔTS DUS PAR LES ENTREPRISES. De fait, tant que 100 euros d’impôts pourront être payés par 100 euros en «Mini-BoTs», ce dernier sera aussi «bon» que l’euro. Donc un «Mini-BoT» de 100 euros vaudra bien… 100 euros. Il faut alors noter que le «Mini-BoT» serait EXCLUSIVEMENT une monnaie fiduciaire et que l’euro resterait la seule monnaie scripturale.

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Extension du domaine de pertinence des «Mini-BoTs»

C’est ici que les problèmes se poseraient, que ce soit pour la Commission ou pour la BCE. L’introduction du «Mini-BoT» ne serait plus seulement une compensation entre les dettes de l’État aux entreprises (impayés) et les dettes des entreprises à l’État (impôts et cotisations sociales) mais bien une forme de création monétaire ex-nihilo dans une économie actuellement en récession du fait de la compression de la demande interne, et qui devrait donc avoir un effet positif sur la croissance. Notons que cette création monétaire de facto ne serait d’ailleurs plus le fait de la Banque centrale (et de la BCE) mais directement celui du gouvernement. Il est donc probable que la BCE et l’Eurogroupe prennent des mesures de rétorsion. L’une de ces mesures pourrait d’être des restrictions dans l’alimentation en liquidités de l’Italie. La réplique, possible, du gouvernement italien serait alors d’étendre le pouvoir libératoire des «Mini-BoTs» en décrétant que tous les agents économiques, entreprises et ménages pourront régler leurs impôts par le biais des «Mini-BoTs». Cela étendrait alors largement la circulation des «Mini-BoTs», surtout si l’État décidait de les utiliser non seulement en paiement des contrats publics aux entreprises mais aussi des salaires des fonctionnaires. Les entreprises pourraient alors payer une partie du salaire de leurs employés en «Mini-BoTs».

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Cependant, tant que la condition suivante sera respectée, la valeur du «Mini-BoTs» sera celle de l’euro: Somme du volume des «Mini-BoTs» = Somme des impôts et cotisations sociales.

On peut aussi imaginer que le gouvernement italien «conseille» aux commerçants d’accepter les «Mini-BoTs» en paiement des consommations et qu’il décide de transformer le «Mini-BoT» en monnaie scripturale. De fait, les montants en circulation rendraient alors nécessaire une telle mesure. Une caisse nationale (et il en existe plusieurs en Italie) pourrait donc recevoir les «Mini-BoTs» détenus par les entreprises et les salariés (de fait des «lignes de compte» en «Mini-BoT») et organiser sur cette base une compensation entre les recettes et les . Cette caisse nationale deviendrait alors, dans les faits, la «banque des Mini-BoTs» et pourrait accorder à ses utilisateurs carnets de chèques et cartes bancaires.

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Vers un retour à la lire?

Nous n’en sommes clairement pas là, du moins à l’heure d’aujourd’hui. Les «Mini-BoTs», en dépit d’une résolution votée à l’unanimité par le Parlement italien, n’ont pas encore vu le jour. Tout dépendra semble-t-il des relations difficiles avec la Commission européenne. Mais, les maquettes des «Mini-BoTs» qui circulent ressemblent furieusement à des… billets! On peut le constater avec la maquette du «Mini-BoT» de 100 euros, sur laquelle figure un personnage très symbolique en Italie, Enrico Mattei, grand résistant et grand patron de la société nationale des pétroles italienne dans l’après-guerre, jusqu’à sa mort en 1962.

© Photo mise à disposition de Sputnik Maquettes des «Mini-BoTs» qui circulent
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Maquettes des «Mini-BoTs» qui circulent
© Photo mise à disposition de Sputnik Maquettes des «Mini-BoTs» qui circulent
L’Italie, la Commission européenne et les «Mini-BoTs» - Sputnik Afrique
Maquettes des «Mini-BoTs» qui circulent

Si le gouvernement italien se décidait à lancer ces «Mini-BoTs» et s’il leur accordait le droit de largement circuler, cela équivaudrait bien alors à la création d’une monnaie parallèle qui se substituerait alors peu à peu à l’euro, et ce jusqu’au moment où le gouvernement italien déciderait que seuls les «Mini-BoTs» peuvent avoir «cours légal» en Italie. Alors, il suffirait de les rebaptiser «lire» et l’Italie serait sortie, en douceur, de l’euro…

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