Quelles conséquences pourrait avoir une attaque des USA contre l'Iran sur le marché pétrolier?

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Les nouvelles en provenance du Golfe sont de plus en plus inquiétantes. L'Iran a commencé à abattre des drones américains. Comment une probable guerre se répercuterait-elle sur le marché pétrolier, notamment du point de vue de l'approvisionnement du reste de la planète en pétrole?

Il est difficile de procéder à une analyse détaillée du rapport de forces entre les États-Unis et l'Iran dans un éventuel conflit sans comprendre les objectifs et les tâches des belligérants, écrit le journal Vzgliad. Les deux pays ne pourraient pas se fixer l'objectif «classique» d'une victoire militaire contre l'autre, généralement sous la forme d'une reddition inconditionnelle signée «sur le blindage du premier char» entré sur la place centrale de la capitale de l'ennemi.

Cette situation est évidente pour Téhéran. Pour Washington, cependant, l'impossibilité d'une victoire militaire classique nécessite des explications.

A quoi ressemblerait l'attaque américaine contre l'Iran

Une des dernières fuites d'informations sur les projets militaires américains vis-à-vis de l'Iran (sans compter l'éventuelle réaction au drone américain abattu) a été suivie d'un débat public entre Donald Trump et le Pentagone concernant les projets d'envoyer 120.000 militaires américains dans le Golfe. Compte tenu de l'opacité des actions du Pentagone et de la confidentialité des plans de ce genre, la position du département de la Défense a été présentée sous la forme de révélations de quelques responsables militaires anonymes au quotidien américain Le New York Times.

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A première vue, le plan d'envoi de 120.000 soldats américains pour la «guerre contre l'Iran» paraît utopique: dans un éventuel conflit ils devraient faire face à plus de 650.000 militaires iraniens. A titre de comparaison, pendant la première guerre des USA contre l'Irak de Saddam Hussein, les Américains avaient concentré près de 700.000 soldats et officiers de leurs propres forces et des alliés dans la région. C'est seulement ensuite qu'ils avaient attaqué l'Irak, qui s'était retrouvé dans une situation d'isolement international total. Au début des opérations, l'armée irakienne comptait environ 350.000 hommes. Ainsi, les États-Unis avaient garanti leur supériorité en engageant deux fois plus de forces dans le conflit.

Toutefois, même l'envoi de 120.000 militaires pourrait ne pas ressembler à une démarche aventureuse. Les détails des plans du Pentagone qui ont fuité dans la presse sont d'un réalisme inquiétant.

Le texte révélé s'intitule OPLAN 1002-18 et, conformément à la classification américaine, constitue un «plan de guerre dans le Golfe rédigé en 2018». Selon ce texte, le Pentagone compte prendre la province iranienne du Khouzestan, ainsi que plusieurs ports du Golfe. Effectivement, pour remplir cette mission le Pentagone aurait seulement besoin de 2 divisions d'infanterie, d'une brigade de blindés et d'une division d'infanterie de marine - avec le soutien de la flotte et de l'aviation à partir des bases des pays frontaliers avec l'Iran. Seulement près de 120.000 soldats y participeraient.

Le Khouzestan est une cible pratique pour plusieurs raisons. La province est essentiellement peuplée d'Arabes, et non de Perses, sachant que la population du Khouzestan connaît d'anciennes traditions de séparatisme. En cas de débarquement au Khouzestan, le corps d'expédition américain aurait derrière lui l'Irak de facto contrôlé, serait couvert sur le flanc droit par sa propre flotte dans le Golfe, tandis que sur le front et sur le flanc gauche l'armée iranienne aurait énormément de mal à mener une offensive car ce territoire situé à la frontière de la province est principalement constitué de montagnes, avec seulement quelques routes praticables. Sachant que le Khouzestan n'est pas seulement frontalier de l'Irak: cette province se situe également à proximité du Koweït et de l'Arabie saoudite, ce qui prive l'Iran de plusieurs coups militaires de riposte. Enfin, dernier «bonus»: le Khouzestan renferme près de 80% des réserves pétrolières et gazières de l'Iran, ainsi qu'un tiers des sources d'eau douce.

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Dans ces conditions, en effet, les États-Unis pourraient mener une opération contre l'Iran avec un contingent limité, avant de pousser Téhéran aux négociations sans même une capitulation inconditionnelle formelle. C'est de cette manière que les USA ont agi en Syrie: en utilisant le séparatisme kurde qui a permis d'assurer une longue présence américaine dans le Rojava syrien et de faire pression sur le gouvernement de Bachar el-Assad à Damas.

Le talon d'Achille du marché pétrolier

Comment l'Iran pourrait-il contrer ce plan agressif, qui entraînerait une division du pays en cas de succès? La riposte de Téhéran est déjà connue et, qui plus est, a déjà été utilisée par le passé: l'Iran pourrait bloquer le détroit d'Ormuz. Sa flotte relativement faible suffirait, car dans ce cas la géographie jouerait en sa faveur - contrairement à la configuration d'un conflit dans le Khouzestan.

Dans sa partie la plus étroite, le détroit d'Ormuz est large de 39 km, mais moins de 10 km sont praticables pour la navigation maritime, répartis en deux parcelles navigables de 3 km chacune, séparées par une zone tampon. Le détroit relie le golfe Persique à la mer d'Arabie et à l'océan Indien. Cette artère est traversée par les cargos pétroliers saoudiens, émiratis et irakiens, ainsi que ceux transportant le GNL qatari. Près de 80% du pétrole transitant via le détroit d'Ormuz part à destination des pays de la région Asie-Pacifique. La navigation maritime est contrôlée par la flotte iranienne, conjointement avec Oman. Lors de leur passage via le détroit d'Ormuz, tous les navires franchissent les eaux territoriales iraniennes.

La deuxième étape de la guerre Iran-Irak, qui a été déclenchée en 1984, est nommée «guerre des pétroliers». La bataille menée contre la flotte de pétroliers alternativement par l'Irak et l'Iran contre des navires de l'ennemi et des pays tiers a duré quatre ans. Au cours de cette période ont été endommagés plus de 300 navires, essentiellement des cargos pétroliers. Ce n'est pas la flotte qui était l'arme principale dans cette guerre, mais l'aviation et les mines. L'Iran et l'Irak étaient parvenus tous les deux à bloquer plusieurs fois les 10 km de la partie navigable du détroit d'Ormuz avec des mines. La sécurité dans la région devait être garantie par trois groupes aéronavals américains, qui se sont avérés pratiquement inutiles face à l'aviation iranienne et aux barrages de mines.

Au final, c'est la flotte auxiliaire des États-Unis - des dragueurs de mines, des frégates et des corvettes de guerre - qui a dû assumer le fardeau principal du conflit Iran-Irak.

D'ailleurs, l'attaque retentissante contre la frégate américaine Stark, quand, pour la première fois depuis 30 ans, un navire américain a été touché par un missile antinavire, montre tout le caractère «d'opérette» de la participation américaine à la guerre des pétroliers. Le 17 mai 1987, un chasseur Mirage F1 de l'armée de l'air irakienne a attaqué par erreur avec deux missiles la frégate américaine USS Stark, provoquant un incendie à bord. 37 marins ont été tués et 21 ont été blessés. Par la suite, Saddam Hussein a personnellement présenté ses excuses aux États-Unis, déclarant que le pilote avait pris la frégate Stark pour un cargo iranien.

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La participation des USA aux conflits Iran-Irak était donc purement nominale: la marine américaine veillait à la sécurité dans le détroit d'Ormuz en essayant d'empêcher le banditisme dans le golfe Persique, sans pour autant entrer en confrontation directe avec l'Iran et l'Irak. Pourtant, le bilan matériel et humain n'est pas négligeable avec 300 navires coulés et endommagés, ainsi que les blocages d'Ormuz pendant des semaines avec des mines, draguées pendant les quatre années de la guerre des pétroliers et dont certains cargos ont été victimes jusqu'en 1990. Et voilà qu'aujourd'hui, les États-Unis voudraient se lancer dans une guerre, certes limitée, mais directe, contre l'Iran!

Les réserves stratégiques sont-elles suffisantes?

Bien évidemment, les États-Unis sont conscients du danger des contremesures iraniennes, susceptibles d'impacter près de 40% des exportations pétrolières mondiales - c'est la part de l'or noir mondial qui transite via ce détroit étroit au large de l'Iran.

Dans l'ensemble, les USA sont certains de leur propre sécurité. Leurs réserves stratégiques contiennent près de 730 millions de barils de pétrole brut, ce qui suffit amplement pour compenser 60 jours d'importations pétrolières. Toutefois, ces derniers temps, les ventes d'essai des réserves américaines ont montré qu'une partie du pétrole «stratégique» était mal stockée, sous terre, et polluée par le sulfure d'hydrogène. Le fait est que pour stocker le pétrole, les États-Unis utilisent des cavités géologiquement stables. Le plus grand réservoir, situé à Bryan Mound et d'où provient le pétrole pollué, se présente sous la forme de cavernes de sel où se trouvent près de 250 millions de baril de pétrole. De toute évidence, ces grottes étaient contaminées par des bactéries produisant du sulfure d'hydrogène, qui ont pollué un tiers des réserves stratégiques de pétrole. Aucun antibiotique ne pourra y remédier, c'est pourquoi l'on peut dire que désormais les États-Unis disposent de 40 jours de bon pétrole et de 20 jours de pétrole pollué.

En principe, la situation est la même dans les pays de l'UE. Conformément à une directive européenne, chacun des 28 États membres doit stocker sur son territoire une réserve stratégique de pétrole équivalente à 90 jours de consommation nationale. Mais en réalité, à l'heure actuelle, seulement 13 pays de l'UE ont créé une telle réserve (Hongrie, Danemark, Allemagne, Irlande, Espagne, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Slovaquie, Finlande, France, République tchèque, Suède). La durée couverte par ces réserves varie également: tandis que Prague a prévu une réserve de 100 jours de consommation, Dublin ne peut assurer qu'un mois d'autonomie. De plus, le Royaume-Uni compte également se doter de sa propre réserve stratégique de pétrole car ses propres gisements en mer du Nord sont pratiquement épuisés.

Sans oublier les réserves stratégiques des «tigres» économiques asiatiques - le Japon, la Chine, la Corée du Sud et l'Inde. La réserve stratégique de pétrole de la Chine a atteint 450 millions de barils, avec l'objectif de 476 millions de baril d'ici 2020. Ce qui, compte tenu d'un niveau de consommation pétrolière inférieur par rapport aux États-Unis, suffirait pour compenser les importations pétrolières pendant 90 jours.

Les réserves stratégiques du Japon et de la Corée du Sud paraissent plus modestes, aussi bien en volume qu'en durée de substitution: on parle ici d'un délai de 40 à 60 jours.

Enfin, les réserves de l'Inde ne lui permettraient de tenir que deux semaines.

Bien sûr, depuis la guerre des pétroliers dans les années 1980, des tentatives ont été entreprises pour contourner le problème du détroit d'Ormuz. Des oléoducs de dérivation ont été construits, comme l'ont fait les Émirats arabes unis, tandis que l'Arabie saoudite choisissait de mettre sur pied une infrastructure à part pour exporter le pétrole en mer Rouge. La principale crainte ne concerne pas la suspension physique des fournitures pétrolières sur le marché mondial (ce que les États-Unis chercheront à éviter), mais plutôt la hausse inévitable des prix qui découlerait de l'escalade militaire du conflit entre les États-Unis et l'Iran.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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