«Trump, Bush ou Jammeh, tous les autocrates doivent être jugés» (Reed Brody, activiste HRW)

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Reed Brody, avocat américain surnommé «le chasseur de dictateurs», fait partie des défenseurs des droits humains s’activant pour que les autocrates, selon lui, soient jugés, qu’il s’agisse du Gambien Yahya Jammeh ou de l’ Américain Donald Trump. La Cour pénale internationale seule ne suffit pas, explique-t-il au micro de Sputnik.

«Je ne pense pas qu’il faille réduire la justice internationale à la seule CPI (Cour pénale internationale). Il faut soutenir évidemment la CPI, mais je pense qu’on a trop tendance à se fixer sur elle» quand il est question de poursuivre des autocrates, notamment en Afrique, a déclaré à Sputnik Reed Brody, avocat et conseiller juridique à Human Rights Watch (HRW).

Cet Américain polyglotte qui s’exprime parfaitement en français, aura 66 ans le 20 juillet 2019. Il est réputé, notamment, pour son travail dans le domaine des poursuites judiciaires contre d’anciens dirigeants accusés de violations massives des droits humains. Reed Brody a ainsi œuvré en faveur de l’arrestation de l’ex-Président chilien Augusto Pinochet à Londres en 1998, et en faveur d’un procès de l’ex-Chef de l’État tchadien Hissène Habré, jugé et condamné à Dakar en 2016. D’où son surnom de «chasseur de dictateurs», d’après le titre d’un documentaire que lui a consacré la réalisatrice néerlandaise Klaartje Quirijns ("The Dictator Hunter", 2007).

© Photo Reed Brody-HRW / Portrait Reed BrodyReed Brody, activiste et conseiller juridique HRW.
«Trump, Bush ou Jammeh, tous les autocrates doivent être jugés» (Reed Brody, activiste HRW) - Sputnik Afrique
Reed Brody, activiste et conseiller juridique HRW.

Reed Brody a aujourd’hui dans son collimateur l’ex-Président gambien Yahya Jammeh, qui a quitté la Gambie en 2017 après plus de 22 ans de pouvoir marqué par des violations des droits de l’Homme. Depuis, l’ex-chef de l' État gambien vit paisiblement en exil en Guinée équatoriale.

Mais l’activiste américain aimerait également voir comparaître en justice l’ex-Président américain George Bush ainsi que l’actuel dirigeant américain Donald Trump qui, selon lui, devrait rendre compte de ses actes, notamment au sujet de sa politique migratoire dite de «Tolérance Zéro».

«Je me bats pour que les "puissants" soient jugés. Les puissants du monde, les George Bush, Donald Trump, semblent hors d’atteinte de la justice internationale. Je pense que c’est aussi cela qui donne à la justice internationale une mauvaise réputation (...) J’ai participé à des tentatives pour faire juger George Bush, pour le moment, ça n’a pas abouti, ils ont verrouillé les différentes possibilités aux États-Unis évidemment, mais chaque fois qu’on a tenté de faire juger les responsables américains pour les crimes de Guantanamo [centre de détention militaire américaine de haute sécurité à Cuba, ndlr], Abou Ghraib [en Irak, ndlr], etc., les Américains ont exercé beaucoup de pressions politiques. Pour le moment, on n’a pas réussi», a expliqué Reed Brody.

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Et le défenseur des droits humains de poursuivre:

«En ce qui concerne Donald Trump, je pense que sa politique, consistant à séparer les enfants migrants de leurs parents à la frontière (américano-mexicaine) et à maintenir les jeunes enfants dans des conditions de détention inhumaines, pourrait constituer un crime contre l'humanité».

En Afrique, quand il est question de justice internationale et de lutte contre l’impunité, certains ont tendance à se focaliser sur la CPI, a souligné le défenseur des droits humains.

La CPI, siégeant à La Haye, aux Pays-Bas, a été créée 2002. Elle est compétente pour juger les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crimes de génocide commis sur le territoire des États qui ont ratifié le Statut de Rome, son traité fondateur. Elle est devenue ces dernières années la cible de critiques en Afrique, où des États et les citoyens lui reprochent de ne poursuivre que des Africains. Parmi ses prévenus, figuraient Jean-Pierre Bemba, ancien Vice-Président de la République démocratique du Congo, et Laurent Gbagbo, ancien Président ivoirien, tous deux acquittés (le Congolais en juin 2018, et l’Ivoirien en janvier 2019).

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En novembre 2016, alors qu’il était encore au pouvoir, Yahya Jammeh avait annoncé le retrait de la Gambie de la CPI, suivant le même chemin pris par d’autres pays africains. Reed Brody a constaté ces réticences sur le continent, voire la «résistance» des Chefs d’État envers la CPI, mais il considère qu’il existe aujourd’hui d’autres possibilités que la CPI pour faire juger les dirigeants africains accusés d’atrocités ou de crimes de masse. Et de citer les Chambres Africaines Extraordinaires (CAE), le tribunal spécial africain créé grâce à un accord entre l’Union africaine (UA) et le Sénégal, devant lesquelles a comparu Hissène Habré à Dakar.

«Les CAE ont fait condamner un ancien Chef d’État de plus que la CPI, avec beaucoup moins de moyens et avec beaucoup plus de satisfaction - sauf sur la question des indemnisations [des victimes du régime d’Hissène Habré, ndlr] -, avec beaucoup plus de présence des victimes», a estimé le conseiller juridique de HRW.

Si «les États sont toujours à la traîne» en Afrique en matière de lutte contre l’impunité, ce n’est pas le cas au sein des opinions, de société civile et des victimes elles-mêmes, a observé Reed Brody. Selon lui, «la société civile et les victimes sont beaucoup plus mobilisées en faveur de la justice. On le voit en Guinée, au Burkina Faso, en Gambie, un peu partout, mais surtout dans la sous-région [Afrique de l’Ouest, ndlr]. On voit que l’exigence de justice est beaucoup plus présente et cela est une avancée».

«On a montré dans l’affaire Hissène Habré que les victimes, avec ténacité et persévérance, peuvent parfois créer les conditions pour faire juger un ancien Président, y compris en Afrique. Le Burkina Faso est en train de gagner l’extradition de François Compaoré, le frère de Blaise Compaoré [ex-Président burkinabè. François Compaoré, réfugié en France, est mis en cause dans le meurtre, en 1988, de Norbert Zongo, un journaliste burkinabè, ndlr]. La Guinée avance sur la question du massacre du stade du 28 septembre [lorsque au moins 157 personnes ont été tuées en septembre 2009 lors d’un rassemblement d’opposants dans un stade à Conakry, plusieurs dizaines d’autres sont portées disparues depuis lors, ndlr]. Au Liberia, il y a un fort mouvement pour une Cour spéciale pour les crimes de guerre. Donc, il y a beaucoup plus que la CPI» en matière de lutte contre l’impunité, a détaillé l’activiste.

Reed Brody et HRW soutiennent actuellement trois Gambiennes qui accusent Yahya Jammeh de viol et d’agression sexuelle alors qu’il était au pouvoir. L’une d’elles est une ancienne reine de beauté estudiantine, Fatou «Toufah» Jallow, la seule à s’exprimer à visage découvert. Leurs accusations ont été révélées le 26 juin 2019 dans une enquête commune de HRW et TRIAL International, autre ONG de défense des droits humains.

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Pour l’heure, ces allégations ne peuvent faire l’objet de plainte formelle, puisque deux des trois jeunes femmes accusent l’ex-Président gambien sous couvert d’anonymat et surtout parce que Yahya Jammeh est en exil. «En droit gambien, on ne peut pas porter plainte contre quelqu’un qui est absent» du pays, a-t-il précisé. Le chemin semble encore long, vers un éventuel procès dans ce dossier, mais le défenseur des droits humains se dit confiant.

«On ne peut jamais prédire l’avenir», a dit Reed Brody. En vue d’un éventuel procès, «pour le moment, l’option préférée serait l’extradition de Yahya Jammeh vers la Gambie. Mais le gouvernement gambien attend que le rapport de la Commission Vérité, Réconciliation et Réparation (TRRC) soit délivré avant d’entreprendre des actions dans ce sens. Donc, on attend le travail de la TRRC. En même temps, pour le moment, la situation sécuritaire, politique et institutionnelle en Gambie ne favorise pas un jugement serein de Yahya Jammeh. Donc, il est question en Gambie de plusieurs années», a-t-il expliqué.

La TRCC a été lancée en octobre 2018 pour étudier les violations des droits humains durant la présidence de Yahya Jammeh. Ses audiences se sont ouvertes le 7 janvier 2019 et elles se poursuivaient au 2 juillet 2019.

© Photo Jason Florio/Human Rights WatchReed Brody à Banjul en 2019 lors d’une marche en mémoire de victimes du régime de Yahya Jammeh, ancien Président gambien
«Trump, Bush ou Jammeh, tous les autocrates doivent être jugés» (Reed Brody, activiste HRW) - Sputnik Afrique
Reed Brody à Banjul en 2019 lors d’une marche en mémoire de victimes du régime de Yahya Jammeh, ancien Président gambien

Reed Brody considère que l’ex-Président gambien pourrait aussi être jugé hors de Gambie pour un «massacre» commis en 2005 par des escadrons de la mort du régime de Yahya Jammeh, dont les victimes incluent des ressortissants de plusieurs nationalités, dont des Ghanéens, des Nigérians et des Sénégalais.

«Ce massacre a fait des victimes dans plusieurs pays, y compris la Gambie, il y a beaucoup de possibilités. L’affaire Hissène Habré montre qu’il y a différentes possibilités à envisager. Il peut y avoir aussi un tribunal spécial de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), mais il faut d’abord créer les conditions politiques pour que la Guinée équatoriale se sente obligée de l’extrader», a estimé Reed Brody.

S’il n’était pas mobilisé à plein temps aux côtés des victimes de violations des droits humains en Afrique, le juriste américain jetterait ses forces dans la bataille contre les prédateurs de masse de l’environnement.

«Si je recommençais aujourd'hui ma carrière juridique, je me concentrerais sur la création des moyens et outils juridiques pour faire en sorte que les dirigeants qui n'agissent pas pour adopter des politiques visant à atténuer les effets néfastes des changements climatiques, tout comme des gros pollueurs, soient tenus pour responsables devant la justice», et en refusant de prendre des mesures pour atténuer ces effets, «les dirigeants politiques comme Donald Trump, mais pas seulement lui, acceptent sciemment la mort de millions de personnes, tout aussi sûrement comme s'ils avaient tué ces personnes avec leurs propres armées», a-t-il conclu.

 

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