La hausse du cours de l'or, mauvais présage pour le dollar?

© REUTERS / Bobby YipLa hausse du cours de l'or, mauvais présage pour le dollar?
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Les banques centrales de plusieurs pays sont de plus en plus demandeuses en or. La Russie est en tête de ce processus - ce qui a déjà entraîné une hausse significative du cours de ce métal précieux. Pourquoi Moscou investit-il dans l'or et quel est le lien avec l'effondrement imminent de la monnaie américaine que de nombreux experts prévoient?

La semaine dernière, le prix de l'or en bourse a franchi pour la première fois depuis longtemps la barre des 1.400 dollars l'once, alors qu'il était encore d'environ 1.280 dollars fin mai, indique le quotidien Vzgliad. 

La dernière fois que l'or avait dépassé cette limite remonte à avril 2013. Et bien que l'on soit encore loin du record historique fixé en août 2011 (1.773 dollars), le comportement actuel de l'or rappelle son grand cycle de croissance antérieur.

Le départ de l'ascension entre 2008 et 2011, depuis un cours de départ à 761 dollars l'once, a été donné par la crise financière mondiale. Cette dernière a été rapidement stoppée par les banques centrales, après quoi le prix de l'or a commencé à descendre.

Après avoir atteint 1.069 dollars en décembre 2015, son augmentation a repris. D'abord de manière hésitante. Puis, ces dernières semaines, en pleine guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis et d'aggravation des relations américano-iraniennes, l'or est monté en flèche.

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L'intérêt des investisseurs pour l'or était également alimenté par les actions de différentes banques centrales, parmi lesquelles la Banque de Russie était la plus active. L'an dernier, les réserves d'or de la Russie ont augmenté de presque 13%, jusqu'à 2.113 tonnes, et durant les cinq premiers mois de l'année elles ont encore augmenté de 78 tonnes supplémentaires. Depuis le début de la dernière crise économique (2014), les réserves d'or ont plus que doublé.

Fin mai, les réserves d'or russes étaient estimées à 90 milliards de dollars, avec une part de 18,17% dans les réserves de change nationales. Aujourd'hui, la Russie est le cinquième plus grand détenteur d'or au monde, largement devant la Chine. Cette dernière a également accru significativement ses réserves d'or, qui sont passées de 1.054 tonnes en 2010 à 1.852,5 tonnes aujourd'hui.

Les analystes financiers ont donné une note élevée aux efforts de la Russie pour renflouer ses réserves d'or.

«Pendant de nombreuses années la Russie était le plus grand "scarabée d'or" souverain dans le monde: même quand les prix de l'or étaient bas, elle continuait d'augmenter ses réserves. A présent, quand l'or a atteint un record depuis 2013, cette tactique semble justifiée… La Russie a montré au monde entier qu'un pays avec une grande économie et détenant les cinquièmes plus grandes réserves d'or pouvait se débarrasser d'une grande partie de ses actifs en dollars et se sentir parfaitement bien. Pour l'instant cette stratégie n'a pas beaucoup d'adeptes, mais les achats d'or par les banques centrales augmentent», a récemment écrit l'agence de presse Bloomberg.

Au premier trimestre 2019, les plus grandes banques centrales ont acheté une quantité record d'or: 715,7 tonnes, poursuit Bloomberg. En d'autres termes, la tendance de l'an dernier, quand les banques centrales avaient augmenté leurs réserves d'or de 651,5 tonnes au total - soit le chiffre le plus élevé depuis 1971, quand avait été abandonné l'étalon-or - se maintient.

Parmi les pays qui achètent le plus activement de l'or, hormis la Russie et la Chine, figurent la Turquie, l'Inde, le Kazakhstan et la Mongolie. On notera également l'achat, l'an dernier, de 25,7 tonnes d'or par la Pologne - une première depuis vingt ans pour un pays de l'UE.

Des coïncidences qui ne doivent rien au hasard

Depuis des années, ce sont les États-Unis qui détiennent le plus d'or - environ 8.135 tonnes, un chiffre pratiquement inchangé depuis 2003. C'est pratiquement le double par rapport à l'Allemagne, en deuxième position avec près de 3.370 tonnes. C'est pourquoi les experts indiquent que le prix de l'or est déterminé en grande partie par la politique monétaire des États-Unis. Le dernier sursaut des prix de l'or a coïncidé avec l'information concernant l'intention des autorités américaines de dévaluer le dollar.

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Début juin, les experts de la Bank of America Michelle Meyer et Ben Randol ont averti que l'administration Trump, à des fins de stabilisation, pourrait décider d'une intervention monétaire qui affaiblirait le dollar. Actuellement, selon les analystes de la Bank of America, le cours du dollar est surévalué et dépasse de 13% le cours efficace réel.

«Le prix de l'or dépendra des actions de la Réserve fédérale (Fed), suppose Sergueï Khestanov, maître de conférences à l'Académie russe de l'économie nationale et du service public, conseiller du directeur général de la compagnie Otkrytie Broker. Si la Fed assouplissait sa politique, l'or pourrait poursuivre sa hausse. Si cet assouplissement était minimal ou se limitait à des paroles, il est fort possible que le prix de l'or se stabilise au niveau actuel, voire baisse.»

«L'or réagit aux différents facteurs conjoncturels comme les déclarations, mais stratégiquement le principal facteur déterminant sa valeur est bien la politique de la Fed. Cependant, pour qu'une dévaluation ait lieu il faut de très grands efforts, et il n'est pas prouvé qu'une dévaluation intentionnelle, même par la Fed, sera facile», indique Sergueï Khestanov.

De plus, le cours de la principale cryptomonnaie, le Bitcoin, a affiché une forte hausse parallèlement à celle de l'or. Au printemps, le bitcoin tournait autour de 8.000 dollars mais a franchi la barre des 12.000 dollars en juin (même s'il a diminué par la suite).

Même s'il s'agit d'une coïncidence, elle n'en reste pas moins très symbolique. C'est l'avis d'Alexandre Iakovlev, doyen de la chaire de théorie économique à l'université électrotechnique de Saint-Pétersbourg, auteur du livre Théorie de l'argent: de l'or au crypto-système de change. Selon lui, ce n'est pas l'or ou le bitcoin qui augmentent actuellement, mais la principale monnaie mondiale, c'est-à-dire le dollar, qui diminue.

«D'une part, c'est bénéfique pour l'économie américaine, mais de l'autre, ce processus déstabilise le monopole du dollar. Le dollar faiblit parce que l'économie américaine faiblit», indique l'expert.

Tout en sachant que la particularité fondamentale des monnaies fiduciaires contre l'or est la souplesse de leur cours, c'est-à-dire la présence de l'inflation. C'est pourquoi le dollar d'aujourd'hui et le dollar d'il y a quelques années, quand l'or valait également près de 1.400 dollars l'once, sont deux choses très différentes.

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«Le cygne, l'écrevisse et le brochet» de l'architecture financière

Mais contrairement à la crise de 2008, après laquelle la demande d'or avait significativement augmenté, il existe à présent une autre alternative à la monnaie fiduciaire: les cryptomonnaies. Pour l'instant, ces trois instruments de base - la monnaie fiduciaire (notamment le dollar en tant que principale monnaie de réserve), l'or et les cryptomonnaies (surtout le bitcoin), font moins penser aux trois piliers du nouveau système financier mondial qu'aux trois pins où errent les économistes et les affaires.

«C'est un véritable chaos qui règne actuellement. Le fiduciaire n'est pas fiable. Que reste-t-il? Le bon vieil or et/ou le nouveau crypto-système de change très volatile. L'«ancien» argent - l'or -, l'argent actuel - fiduciaire (pour simplifier: le dollar) -, l'argent du futur - la cryptomonnaie. Et ces cygne, écrevisse et brochet (référence à la fable d'Ivan Krylov, ndlr.) portent chacun le fardeau en ayant leurs propres intérêts opposés dans l'ensemble», déclare Alexandre Iakovlev.

Selon ce dernier, en toute situation de crise les affaires s'efforcent de vendre les actifs, mais la possession d'argent en soi n'apporte pas de profit. Il s'agit du problème connu en économie politique comme la crise de suraccumulation: la concentration du capital augmente, mais il est impossible de l'investir avec profit. Mais les États, représentés en l'occurrence par les banques centrales, ont d'autres objectifs: ces dernières jouent le rôle de «créanciers de dernière instance» ou de garants de la stabilité du système monétaire national dans l'ensemble. Le rôle de la banque centrale est crucial dans le cadre de la monnaie fiduciaire, et l'or est un garant en soi car il possède une valeur intrinsèque. D'où l'intérêt des régulateurs nationaux pour l'or.

«Cela met clairement en évidence le dualisme de la position de l'or. Dans sa fonction de moyen de préservation, il fonctionne comme un produit boursier, cependant son prix n'est pas défini directement mais par le fiduciaire; c'est également le cas du pétrole, à l'exception de la nature compacte et d'autres aspects pratiques de l'or. Autrement dit, l'or fonctionne en tant que moyen de sauvegarde, mais de manière déformée. En même temps, il a gardé la fonction d'argent mondial, mais de nouveau de manière déformée car dans les réserves nationales des banques centrales sa part ne dépasse généralement pas 20%, le reste étant de la monnaie de réserve. Il est indéniablement plus facile et plus rapide pour une banque de travailler avec l'argent fiduciaire qu'avec l'or, mais tout le monde prend déjà conscience des risques d'accumulation de «la plus importante monnaie de réserve». Au final, pour ne pas tenir tous les œufs dans le même panier, la Banque de Russie, en tant qu'investisseur passif débutant, répartit ses réserves entre plusieurs monnaies. Et cela suscite l'agitation non seulement dans la presse occidentale, mais également dans les milieux académiques et d'affaires», explique Alexandre Iakovlev.

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Mise en garde 

Il est toutefois important de ne pas surestimer le rôle de l'or en tant qu'instrument d'investissement. Sergueï Khestanov rappelle qu'encore récemment, entre 1982 et 2000, son prix avait été divisé par trois.

«Certains pays préfèrent tenir des réserves en or, mais il est aventureux de mettre l'accent sur ces réserves. On tente de donner à l'or une certaine signification en termes d'investissement, mais il faut se rappeler que cela ne rapporte aucun profit, nécessite des dépenses de stockage et, surtout, qu'il peut perdre de sa valeur», déclare l'économiste.

Selon lui, en ce qui concerne la Russie et la Chine, l'accumulation d'or revêt un autre aspect important: c'est le soutien public au secteur de l'extraction d'or, qui joue un grand rôle dans les économies des deux pays. La Banque de Russie est forcée d'acheter l'or aux producteurs pour ne pas suspendre l'extraction et préserver les emplois en Extrême-Orient.

L'or reste un instrument efficace en cas de nouvelle crise financière à l'échelle mondiale, estime Alexandre Iakovlev: si l'économie n'est pas forte il ne la sauvera pas, mais pourra amortir le coup.

«L'accumulation de réserves de change en or est plus prometteuse qu'en monnaie fiduciaire. En cas de grave crise, les réserves en monnaie fiduciaire ne sauveront pas un pays, car c'est identique à la situation du «joueur versus le casino». Le joueur perd toujours car son argent s'épuise avant celui du casino. En l'occurrence, le rôle du casino est joué par un autre pays qui imprime la monnaie fiduciaire pour nous en tant que réserve. Mais la monnaie fiduciaire est un argent dépendant de la confiance. Sans elle, l'effondrement du dollar est inévitable. Les bénéficiaires d'un tel processus seront notamment l'or, car la hausse de son prix a lieu en période d'instabilité économique et politique», conclut l'expert.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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