Éric Serra: pour Anna, de Luc Besson, «je n’ai pas eu de temps d’hésiter ni de tergiverser»

© SputnikÉric Serra dans son studio
Éric Serra dans son studio - Sputnik Afrique
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«Anna», le nouveau film de Luc Besson, sort sur les grands écrans en France. Loin des polémiques autour du cinéaste, Sputnik a rencontré Éric Serra, son fidèle compositeur. Musique, passion, création, amitié, relation au succès, nostalgie, il s’est livré avec sincérité et modestie.

16, un chiffre porte-bonheur? En tous cas, Anna est le seizième film dans lequel le compositeur Éric Serra travaille avec le cinéaste Luc Besson.

Cette fusion ciné-musicale a connu ses heures de gloire avec Subway et Le Grand Bleu, consacré par le César de la meilleure bande originale et par Les Victoires de la Musique. On se souvient aussi de Nikita, avec ses passages de la musique synthétique vers le symphonique avec Atlantis. Les deux complices ont aussi connu leurs périodes où chacun a vogué de son côté: Éric Serra a lancé son premier album avec son groupe RXRA. Ils se sont virtuellement retrouvés autour du ciné-concert du Grand Bleu, avant de travailler à nouveau ensemble sur le dernier film de Besson.

Éric Serra nous accueille dans son studio, ermitage de la création et antre sacré de la composition.

Le film est un thriller qui plonge le spectateur dans la vie d’Anna la belle qui, à la fin des années 1980, en cherchant à échapper à son quotidien, se retrouve engagée par le KGB. Il n’en fallait pas plus pour ramener le thème «soviétique» dans notre entretien avec Éric Serra. Il démarre par une anecdote: s’étant retrouvé dans le même avion que Mikhaïl Gorbatchev, le compositeur n’a pas pu «une seule et unique fois» de sa vie demander un autographe à «l’auteur de la perestroïka»: le stylo ne voulait pas écrire sur l’ordinateur portable d’Éric Serra… en voilà un pâté! «Comme ça, je ne risque pas d’oublier qui m’a donné cet autographe,» rit de bon cœur le compositeur.

© Sputnik . Oxana BobrovitchÉric Serra dans son studio avec un autographe de Gorbatchev
«La seule et unique fois que j'ai demandé un autographe, c'était à Gorbatchev! » rit Éric Serra - Sputnik Afrique
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Éric Serra dans son studio avec un autographe de Gorbatchev
© Sputnik . Oxana BobrovitchUn autographe de Mikhaïl Gorbatchev sur le Notebook d’Éric Serra
Un autographe de Mikhaïl Gorbatchev sur le Notebook d’Éric Serra - Sputnik Afrique
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Un autographe de Mikhaïl Gorbatchev sur le Notebook d’Éric Serra
Éric Serra joue de la tamburica dans son studio
«Pour Anna je n’ai pas eu de balalaïka, mais j’ai eu une tamburica qui sonne Est pour nous,» raconte Éric Serra  - Sputnik Afrique
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Éric Serra joue de la tamburica dans son studio
© Sputnik . Oxana BobrovitchÉric Serra présente le hautbois duduk dans son studio
Éric Serra a largement utilisé le hautbois duduk dans «The Lady» - Sputnik Afrique
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Éric Serra présente le hautbois duduk dans son studio
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Éric Serra dans son studio avec un autographe de Gorbatchev
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Un autographe de Mikhaïl Gorbatchev sur le Notebook d’Éric Serra
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Éric Serra joue de la tamburica dans son studio
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Éric Serra présente le hautbois duduk dans son studio

Éric Serra est allé en Union soviétique bien avant la chute du mur de Berlin (et il a d’autres anecdotes à raconter sur son voyage à Moscou), mais il n’en fait pas une référence pour Anna.

«La musique pour Besson a un rôle des plus importants, raconte Éric Serra. Son travail est très précis. Il sait exactement ce qu’il veut dans chaque scène: suivre l’action ou créer le décalage, c’est lui qui me le dit, il l’a dans la tête au moment de l’écriture du scénario.»

Le compositeur explique que la création musicale pour lui résulte de ce qu’il ressent quand il voit le film.

«Je ne me pose pas trop de questions, ce n’est pas un concept intellectuel, c’est mon mode d’expression, précise Éric Serra, c’est purement émotionnel et cette émotion se transmet.»

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Et l’émotion se traduit par des instruments que le compositeur maîtrise parfaitement, sans se fixer de règles strictes, tout dépend de ce qu’il veut exprimer. Les scènes très tristes comme la mort d’Enzo dans Le Grand Bleu sont jouées au piano, mais il aime aussi utiliser «une guitare classique, notamment, dans The Lady». Pourtant, il existe un instrument que le compositeur utilise rarement, tout en affirmant que

«… si je devais désigner un instrument qui pour moi transmet le plus d’émotion, c’est un instrument arménien– le duduk. Le pouvoir émotionnel qu’il a! Personnellement, je trouve que c’est l’instrument le plus expressif.»

Éric Serra a utilisé ce hautbois de perce cylindrique dans The Lady et regrette presque de ne pas pouvoir en profiter davantage, puisqu’il n’en joue pas. Heureusement, il existe un joueur du duduk en France, considéré comme l’un des meilleurs au monde, Lévon Minasian, qui habite Marseille.

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Adepte de la mixité des styles musicaux, le compositeur en a également usé pour Anna et dit vouloir y «ramener les thèmes un peu ethniques».

«J’adore mélanger les styles, raconte le compositeur, il se trouve que je n’ai pas eu de balalaïka, mais j’ai eu une tamburica [un luth à long manche populaire en Europe du Sud et en Europe centrale, ndlr] qui sonne “Est” pour nous. Cela nous a amené une petite couleur intemporelle.»

La plupart de temps, Éric Serra travaille seul sur sa composition, bien qu’une expérience unique de plongée (dans le sens propre tout comme figuré) dans Le Grand Bleu par le passé le laisse quelque peu nostalgique. «On a fait un voyage avec un bateau, où Luc écrivait son scénario, on s’entraînait à la plongée» et l’équipe travaillait comme une «bande de copains». Une chose impensable aujourd’hui, puisque «Luc travaille beaucoup plus qu’avant. Il bosse, entre les films qu’il réalise et ceux qu’il produit, il est débordé. En plus, on n’a plus le même âge, nous avons des familles.»

«Effectivement, c’était superbe: à la fois extrêmement agréable et ça a eu un effet sur le résultat 100% positif, avoue Éric Serra. Et cela ne serait plus possible de faire cela maintenant. Je ne le regrette pas, parce que je fais d’autres choses à la place.»

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Et ces «autres choses» peuvent parfois altérer la création! «Une particularité d’Anna qui n’a rien d’artistique et qui ne fait pas rêver: quand Luc m’a appelé, il m’a dit “petit problème –il faut que ça soit fait dans trois semaines”, rit Éric Serra. Je me suis dit que ce n’était pas possible!» Il n’a pourtant pas eu d’autre choix que de travailler très vite, sous pression. Et même le mois et demi qu’il a finalement eu a paru «très court» au compositeur, puisqu’il «aime bien prendre son temps».

«Cela a fait une expérience très intéressante: ça m’a forcé à ne poser aucune question, je n’ai pas eu de temps d’hésiter ni de tergiverser, confie Éric Serra. La première idée était la bonne à chaque fois. Avoir si peu de temps pour Anna m’a obligé à être beaucoup plus spontané. Quand j’écoute le résultat, je suis plutôt très content de cette musique.»

Pourtant, la presse n’est pas tendre avec Luc Besson, en rappelant dès le départ le box-office mitigé d’Anna outre-Atlantique.

«Sur ce film, ça me désole un peu. Je trouve que c’est très injuste, dit Éric Serra. Personnellement, je trouve que c’est un bon Luc Besson, il me plaît. Je suis très fier d’avoir fait cette musique et d’avoir travaillé sur ce film.»

Les médias ne se sont pas limités à la critique cinématographique et ne se sont pas privés d’évoquer la situation financière délicate de la société de production de Besson et les accusations d’agressions sexuelles qui ont visé le cinéaste. Éric Serra, tout en précisant «ne pas trop s’intéresser à ce qui se dit», «ne pas être attaqué directement par la presse» et ne pas «avoir à se plaindre personnellement», ne cache pas son amertume:

«Je trouve leurs attaques envers Luc stupides et anormales. En règle générale, ils ne parlent pas du film, mais d’autres évènements. Je ne vois pas le rapport. En plus, on parle d’évènements pour lesquels Luc a été totalement blanchi, il a eu un non-lieu. Qu’on juge son film et qu’on ne mélange pas les choses!» martèle le compositeur.

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Il appelle à relativiser et à avoir une certitude intérieure solide pour suivre sa passion, d’autant plus que lui-même est issu «d’une génération où tous ces problèmes médiatiques n’existaient pas encore.»

«Je fais de la musique parce que je suis un passionné de musique, c’est tout! dit Éric Serra. Et quand je suis devenu musicien professionnel à l’âge de 17 ans, on ne faisait pas ça pour être connu. Être connu, c’était très rare. Ça n’était pas le but. On le faisait parce qu’on était passionné.»

Le compositeur reste persuadé qu’aujourd’hui, la relation avec la création «est très déformée à cause des médias» et qu’il y a beaucoup de gens qui «s’engouffrent dans les métiers d’entertainment –musique, cinéma– pour être connus.»

«La passion de l’art est remplacée par l’envie d’être connu, philosophe le compositeur. Forcément, ils ont des problèmes à l’arrivée, puisque le raisonnement et la ligne de conduite ne sont pas trop sains dès le départ.»

Éric Serra considère que la seule façon de rester sur la crête de la vague, c’est de rester droit dans ses bottes. «C’est mon secret!», ironise-t-il. Mais en fait, le secret pour lui est simple, c’est juste «rester le plus sincère, le plus honnête et le plus intègre possible.»

«Ayant eu beaucoup de succès, je me suis rendu compte que je n’avais pas la recette [du succès, ndlr], assure Éric Serra. La seule chose dont je suis certain, c’est que j’ai eu beaucoup de chance et que j’ai toujours fait ce que j’avais envie de faire, ce que j’aimais. Quand j’écris de la musique, je me fais plaisir.»

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Cette maxime reste le socle de sa création: «être la seule personne qui est juge et que je puisse satisfaire sans aucune ambiguïté». Un concept philosophique gagnant pour un créateur, un artiste. «Poète, ne fais pas cas de l’amour populaire! Le bruit momentané des louanges enthousiastes passera […], écrivait le poète russe Alexandre Pouchkine, Tu es content? Alors laisse la foule […] cracher sur l’autel où ton feu brûle, et avec une pétulance enfantine secouer ton trépied.»

La seule chose que le succès change, d’après Éric Serra, c’est «la pression» et il avoue «avant d’avoir vendu beaucoup de disques, ne s’être jamais posé» la question de la «recette».

«Donc, il ne faut pas se poser cette question, assure le compositeur. Cette question, je la chasse quand je travaille, parce que je sais qu’elle ne sert à rien. Et ma passion pour la musique me la fait oublier vite.»

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