À Tripoli, «les humiliations, la torture, le kidnapping, les crimes n’ont que trop duré!» - reportage

© Sputnik . @holzbauermadisBenghazi détruite pendant l'occupation de Daech
Benghazi détruite pendant l'occupation de Daech - Sputnik Afrique
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Depuis Benghazi, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du gouvernement provisoire de l’Est libyen, non reconnu par la communauté internationale, Abdelhadi Ibrahim Lahweej, a exprimé à Sputnik son indignation face aux «crimes» du gouvernement d’union nationale de Fayez el-Sarraj. Reportage sur place.

En ce 14 juillet à Benghazi, l’ambiance est surchauffée dans la capitale régionale de la Cyrénaïque (à l'est de la Libye), encore meurtrie par cinq ans d’occupation par les combattants djihadistes de Daech*. Prévu pour la veille, l’entretien exclusif que le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du gouvernement provisoire, Abdelhadi Ibrahim Lahweej, avait accepté d’accorder à Sputnik France a finalement eu lieu alors que tombait la nouvelle d’une offensive des troupes du maréchal Khalifa Haftar sur Tripoli.

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Plongée dans le chaos depuis le renversement du gouvernement et le meurtre de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est aujourd’hui divisée entre plusieurs entités rivales avec la présence à Tripoli du gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj, reconnu par la communauté internationale, à commencer par l’Onu et l’Union européenne (UE).

Tandis qu’à l’Est, un parlement élu par le peuple, et appuyé par l’Armée nationale libyenne (ANL), avec à sa tête un homme fort, tente de renverser le rapport de force en sa faveur. Depuis le 4 avril, les troupes du maréchal Haftar ont entamé leur marche vers Tripoli. Elles font face aux milices fidèles au gouvernement d’el-Sarraj qui ont lancé une opération baptisée «Volcan de la colère». Selon le dernier bilan des Nations unies rendu public le 12 juillet, ces affrontements ont déjà fait plus de 1.000 morts, parmi lesquels 106 civils, et plus de 5.000 blessés.

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Tout au long de l’entretien, l'ex-ministre de la Jeunesse sous l’ancien régime, qui a rejoint la coalition non reconnue par la communauté internationale du maréchal Haftar en 2014 afin, selon lui, de l’aider à bouter les quelque 5.000 combattants de Daech* hors des murs de Benghazi, n’a pas caché son indignation vis-à-vis des «crimes» qu’il impute au camp adverse. Sur toutes les accusations portées récemment par le GNA contre l’ANL, que ce soit le bombardement le 2 juillet d’un camp de migrants attribué aux forces du maréchal Haftar ou la découverte il y a un mois de missiles français dans un QG de l’ANL, Abdelhadi Ibrahim Lahweej a répondu sans détour, rendant coup pour coup:

«Nous sommes un gouvernement responsable qui respecte ses obligations, le droit international et le droit international humanitaire. Nous sommes très regardants sur la dignité de chaque citoyen dans les régions où nous sommes présents. C’est affligeant, et faux, de nous comparer avec Tripoli, en termes de traitement des migrants. La comparaison ne se tient pas», a-t-il déclaré au micro de Sputnik France.

© ministère des Affaires étrangères du gouvernement provisoire de LibyeLe ministre Lahweej visitant le camp de migrants de Benghazi
À Tripoli, «les humiliations, la torture, le kidnapping, les crimes n’ont que trop duré!» - reportage - Sputnik Afrique
Le ministre Lahweej visitant le camp de migrants de Benghazi

Un sujet qui lui tient à cœur et sur lequel il s’était déjà exprimé lors d’un passage à Paris pour accompagner le maréchal d’autant que, a-t-il révélé, l’un des objectifs pour la nouvelle offensive menée par l’ANL sur Tripoli visait justement «à libérer les Africains qui sont vendus en pleine mer» et «finissent comme nourriture pour les poissons»:

«Tripoli est une prison à ciel ouvert. Même les migrants n’ont pas été épargnés. Nous sommes en 2019, dans le troisième millénaire, et malheureusement il y en a qui font de la traite humaine et réduisent en esclavage nos frères et sœurs africains. C’est une honte, qui n’est pas digne des Libyens, et qui même ne fait pas partie ni de leur culture, ni de leur attitude», a déploré le ministre du gouvernement provisoire de l’Est regrettant le «drame humanitaire» ayant coûté la vie à plusieurs dizaines de migrants subsahariens et fait des centaines de blessés dans le bombardement du camp de Tajoura le 2 juillet dernier, selon un rapport de la mission des Nations unies en Libye.

Pour lui, il ne fait aucun doute que c’est le GNA de Fayez el-Sarraj qui «instrumentalise les Africains et les migrants comme boucliers humains», utilisant les centres de détention et d’accueil comme autant de dépôts d’armes. Concernant la mise en cause de l’ANL dans ce bombardement, il nie catégoriquement que celle-ci ait pu viser sciemment des civils, arguant que les milices qui contrôlent actuellement Tripoli ont utilisé les migrants comme des leurres:

«L’armée ne sait pas qui ou ce qui se trouve dans ce centre. Ce qui a été identifié [par l’armée], ce sont d’importantes caches d’armes. Bien entendu, nous refusons de viser les civils qu’elles que ce soit leur nationalité. Ces migrants sont nos frères. Ils sont des Africains tout comme nous le sommes. Mais les milices n’ont pas de scrupule. Elles ne respectent ni morale, ni loi. Elles obligent les migrants à porter des uniformes militaires pour les instrumentaliser dans les guerres. Ces centres-là sont contraires à la loi et il n’y a aucun critère [permettant de les classifier]», a-t-il ajouté.

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Concernant le soutien que la France apporterait au maréchal Haftar, un soutien censé être accompagné de ventes d’armes, il nie en bloc, précisant que les armes retrouvées dans le camp de Gharyan appartenant à l’ANL «remontaient à 2011», c’est-à-dire au moment de la chute de Kadhafi et qu’il s’agissait d’armes «endommagées et hors d’usage.»

«La France qui est le pays de la démocratie et des libertés ne pourrait pas et ne devrait pas se tenir du côté des milices et des hors-la-loi, a-t-il affirmé arguant que ce que veut Benghazi, c’est la liberté pour tous nos parents à Tripoli!»

Pour lui, il est inadmissible que la Libye, un pays méditerranéen riche de son pétrole et connaissant, de surcroît, une très faible densité de sa population [un habitant par kilomètre carré, ndlr], ait ainsi fait un bond en arrière de 50 ans avec des coupures d’électricité dans les hôpitaux qui peuvent durer 10 à 15 heures!

«Le défi, c’est donc de libérer la capitale de ses geôliers pour se consacrer à la construction de l’État. Car, pour les Libyens, le dépôt d’un bulletin dans les urnes, vaut mieux qu’un dépôt de munitions», affirme Abdelhadi Ibrahim Lahweej.

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Il rappelle également que pour qu’un dialogue politique puisse reprendre en Libye, le gouvernement (provisoire) de Tabrouk établi à l’Est, ainsi que le maréchal Haftar qui le soutient et l’a clairement laissé entendre à chacun de ses déplacements à l’étranger, ont posé comme préalable «le démantèlement à Tripoli des milices libyennes comme étrangères»:

«Ce qui est sûr, c’est qu’on n’acceptera pas de continuer dans ce triste feuilleton [de ce qui est en train de se passer à Tripoli, ndlr]. Les humiliations, la torture, le kidnapping, les crimes n’ont que trop duré. Nous sommes pour la voix du dialogue, que l’on préfère au bruit des armes. Ceux qui veulent faire de la médiation sont les bienvenus. Mais ils doivent, d’abord, mettre fin aux milices», a-t-il martelé.

Très critique à l’égard des Nations unies «qui n’ont pas été capables jusqu’à présent, de garantir la démilitarisation et la démobilisation des milices», il ne rejette pas la possibilité d’une médiation et l’appelle même de ses vœux, notamment en ce qui concerne la Tunisie, mais «pas avant que la capitale ait été libérée des milices et du chaos des armées».

© Sputnik . @holzbauermadisBenghazi detruite pendant l'occupation de Daech
À Tripoli, «les humiliations, la torture, le kidnapping, les crimes n’ont que trop duré!» - reportage - Sputnik Afrique
Benghazi detruite pendant l'occupation de Daech

«Jusqu’à présent, nous n’avons jamais entendu l’Onu évoquer un plan pour démilitariser les milices. Qu’est-ce que les Nations unies ont apporté aux Libyens qui meurent tous les jours ou aux blessés, parmi l’armée libyenne, qui meurent à l’intérieur même des hôpitaux? Ou bien aux 50 civils qui ont été tués à Gharghour pour avoir réclamé l’État civil? On n’a pas entendu les Nations unies quand des innocents ont été tués, en quittant la prison de Rwimi. Douze jeunes qui ont été démembrés, avant d’être jetés dans la rue...On n’a pas entendu non plus les Nations unies quand les milices ont détruit les avions et les aéroports», déplore-t-il.

Ce qui n’empêchera pas la Libye, qui est «un membre à part entière de l’Onu, malgré la partition actuelle de facto», rappelle-t-il, d’inviter le moment venu à la table des négociations «les Nations unies, l’Union africaine et les pays voisins pour les besoins du dialogue national et de la réconciliation nationale». La Russie, un «allié traditionnel de la Libye», devrait également être associée, selon lui. Mais là encore, pas avant que Tripoli n’ait au préalable été «libérée» et «nettoyée» de ses milices.

«Nous seront (alors) prêts à tout, y compris aller à des élections et vers la démocratie», lance-t-il.

Pour le visionnage intégral de l’entretien, cliquer sur

Traduction par Safwene Grira

* Organisation terroriste interdite en Russie

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