Arrestations après des posts Facebook, craintes pour la liberté d’expression au Sénégal

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Deux récentes arrestations liées à des publications sur Facebook suscitent des craintes pour la liberté d’expression au Sénégal, pourtant salué à l’étranger pour la vitalité de sa démocratie. Les appels se multiplient pour la libération de Guy Marius Sagna, un activiste panafricaniste, et d’Adama Gaye, un journaliste-consultant.

«Ces arrestations et détentions arbitraires coûtent cher à l'image du Sénégal», a estimé Alioune Tine, figure de la société civile sénégalaise, défenseur des droits de l’Homme à la réputation exemplaire dans son pays et à l’étranger, dans un tweet posté le 1er août 2019.

Cette appréciation d’une des sentinelles les plus alertes de la démocratie sénégalaise concerne l’interpellation de Guy Marius Sagna, le 16 juillet, et celle d’Adama Gaye, le 29, en lien avec des commentaires postés sur Facebook. Les deux demeuraient détenus le 2 août.

Guy Marius Sagna, un syndicaliste du secteur de la santé, est un habitué de diverses formes de protestations contre l’impérialisme, la mauvaise gouvernance politique et économique notamment, pour lesquelles il a souvent été arrêté ces dernières années.

Il a publié le 15 juillet deux messages sur son compte Facebook déplorant que des dirigeants sénégalais aillent se faire soigner à l’étranger, grâce à des fonds publics, alors que la grande majorité des Sénégalais ne dispose pas d’hôpitaux de qualité. Mais, a dit à Sputnik un de ses avocats, Moussa Sarr, c’est un autre message qui lui aurait valu son inculpation pour «fausse alerte au terrorisme»: un post du mouvement FRAPP-France Dégage (FRAPP: Front pour une Révolution Anti-impérialiste Populaire et Panafricaine), dont il est membre, qui dénonce la présence militaire française au Sénégal et en Afrique. Or, il n’a pas partagé cette publication et n’est pas l’auteur de son contenu, a assuré son défenseur.

«Donc, son arrestation ne repose sur aucune base légale. À mon avis, cette arrestation est une atteinte - et cela est incontestable - à la liberté d’expression et d’opinion», a déclaré Me Moussa Sarr. «Nous sommes en train de nous battre pour obtenir le plus rapidement possible sa liberté. Parce qu’il n’a rien fait pour être mis en prison. Il y a une erreur d’appréciation manifeste dans cette affaire, (...) la justice s’est trompée.»

Adama Gaye, également détenu pour des posts Facebook, est un journaliste réputé devenu «consultant en affaires», selon ses propres mots, qui a aussi fait des études sur le pétrole et le gaz. Il se définit lui-même comme «militant» pour «une justice, démocratie, transparence, et un  progrès inclusif».

Jusqu’à son interpellation par la police judiciaire à son domicile, il a multiplié sur les réseaux sociaux les posts visant Macky Sall, le Président sénégalais, ainsi que ses proches. Après son interpellation, il lui d’abord été notifié comme griefs «offense au président de la République» et «diffusion d’écrits contraires aux bonnes mœurs», mais le juge qui l’a inculpé a abandonné ce dernier motif. Il l’a mis en examen pour «atteinte à la sûreté de l’État» en plus de l’offense au Président de la République, a indiqué à Sputnik son avocat, Cheikh Koureyssi Ba

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Ces affaires interviennent dans un contexte de mobilisation pour réclamer la clarté dans la gestion du pays.

Depuis juin, de nombreux mouvements de la société civile dont Y’En A Marre, des partis politiques ainsi que des personnalités indépendantes sont vent debout pour exiger la transparence dans la gestion des ressources naturelle du Sénégal, à la suite de la diffusion par la BBC d’un documentaire sur un scandale pétrolier et gazier mettant directement en cause Aliou Sall, frère cadet du Président Macky Sall, et Frank Timis, un homme d’affaires australo-roumain, avec sa société PetroTim.

«Via ses publications sur son compte Facebook, Adama Gaye s’est signalé par beaucoup d’écrits concernant la gestion des hydrocarbures, les ressources pétrolières et gazières du Sénégal, les mines, les questions de bonne gouvernance, les marchés publics, etc.», a déclaré au micro de Sputnik Me Cheikh Koureyssi Ba, regrettant que les griefs exprimés par le juge à l’encontre son client se limitent à ses écrits invectifs.

Après son interpellation, Adama Gaye a été interrogé sur trois publications sur Facebook. «Il a reconnu la paternité» de deux des posts, mais a rejeté celle d’un «troisième post très long, très mal écrit, rempli d’insanités, d’injures de toutes sortes. Manifestement, ce n’était pas de lui», a précisé Me Cheikh Koureyssi Ba.

Les affaires Guy Marius Sagna et Adama Gaye relèvent certes du champ des libertés d’expression et d’opinion, mais «elles ne sont pas de même nature», a analysé Sadikh Niass, secrétaire général de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO), une ONG panafricaine basée à Dakar, interrogé par Sputnik

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«L’affaire Guy Marius Sagna est différente de l’affaire Adama Gaye. À mon avis, il ne faut pas faire d’amalgame entre elles», a dit le défenseur des droit humains de longue date. Selon lui, la première relève d’une détention arbitraire ayant suivi une «arrestation qui n’a pas de fondement», et la seconde, d’une utilisation «abusive» de la liberté d’expression impliquant des propos injurieux ou attentatoires au «respect de la dignité et de la notoriété d’autrui».

Cependant, Sadikh Niass considère que la liberté d’expression est «de temps en temps menacée» au Sénégal quand des activistes sont arrêtés ou que des citoyens sont empêchés de manifester pacifiquement, comme cela fut le cas de nombreuses fois ces dernières années, avec des protestations interdites à Dakar pour des mouvements comme Y’En A Marre ou des opposants.

«Ces derniers temps, on a noté que les manifestations étaient autorisées. À force d’interdire les manifestations pacifiques, on est dans la phase de menace contre les libertés d’expression et d’opinion, mais il ne faut pas faire l’amalgame entre la liberté d’expression et d’opinion, et le droit de faire ce qu’on veut, de dire ce qu’on veut et d’accuser qui on veut», a insisté le secrétaire général de la RADDHO.

L’affaire Guy Marius Sagna a suscité des protestations à l’étranger, en France, notamment, de la part de mouvements ou organisations partageant les causes qu’il défend. Elle a pris une tournure plus internationale avec le lancement, le 1er août, d’une pétition pour réclamer sa libération, signée par des écrivains, universitaires, acteurs et activistes de renom.

Parmi eux, les écrivains Boubacar Boris Diop, qui est sénégalais, et Koulsy Lamko, qui est tchadien, les deux initiateurs de la campagne. La pétition a été signée notamment par Danny Glover, cinéaste américain et engagé contre les violations des droit humains, plusieurs écrivains dont Moshen Elmadi (Iran) et David Huerta (Mexique), plusieurs universitaires dont Cornel West et Samba Gadjigo (États-Unis) et des organisations de défense de droits des peuples et des cultures.

«Guy Marius Sagna dérange à cause des différents fronts sur lesquels il se bat contre les dérives du régime [du Président Macky Sall, ndlr] et aussi contre le néocolonialisme français au Sénégal et en Afrique», est-il écrit dans le texte de la pétition publié par SenePlus, site d’information sénégalais. «Nous, signataires, exigeons la cessation de la violation des droits des citoyens au Sénégal, le respect de la liberté d’opinion et la libération immédiate de Guy Marius Sagna».

L’avocat de Guy Marius Sagna a refusé de se prononcer à Sputnik sur le contenu des publications de son client initialement mises en cause, que des Sénégalais ont cependant largement partagées sur leurs comptes de réseaux sociaux.

L’activiste y réagissait après l’annonce du décès en France, le 15 juillet, d’Ousmane Tanor Dieng, chef du Parti socialiste (PS) sénégalais et allié de Macky Sall, ainsi que de l’hospitalisation à l’étranger de Mahammed Boun Abdallah Dionne, ancien Premier ministre.

Au Sénégal, les arrestations du journaliste-consultant et de l’activiste sont dénoncées au quotidien, de différentes manières -chaque cas séparément, ou les deux ensemble- , au sein de la société civile mais aussi par des citoyens ordinaires, notamment lors d’émissions interactives des radios et télévisions locales. Sur les réseaux sociaux, les messages allant dans ce sens s’accompagnent de #FreeGuy, #FreeGuyMariusSagna ou #LibérezAdamaGaye, entre autres hashtags ou slogans.

Certains expriment des inquiétudes pour les citoyens et pour l’image du pays à cause de ces détentions.

Sur Twitter, @AbdoulAhaaad estime ainsi que «les libertés individuelles et collectives (...) sont en danger au Sénégal» tandis que @Bassirane pense que son pays «est en train de prendre un virage dangereux avec les droits civiques».

Toutefois, des soutiens du Chef de l’État se réjouissaient de la détention d’Adama Gaye, que certains, dans le grand public, critiquent pour ses écarts de langage.

«La virulence, la vulgarité et la grossièreté inqualifiables des écrits de M. Gaye indignent beaucoup de monde», a commenté Racine Tall, journaliste, directeur général de la télévision publique RTS et membre de l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall, dans un commentaire diffusé à la presse et dont copie a été transmise à Sputnik. «Tant qu’ils restaient dans le cadre de l’expression libre d’une opinion sur des faits publics libres d’interprétation, ils ne susciteraient que des réactions propres à l’écosystème des réseaux sociaux. En revanche, les écrits qui lui valent son interpellation ont été appréciés par l’autorité judiciaire comme susceptibles d’être soumis à un juge», a-t-il ajouté dans ce texte publié le 31 juillet, sans donner de détails.

Un avis que ne partage pas Fatou Jagne Senghor, directrice pour l’Afrique de l’Ouest d’Article 19, une organisation qui défend la liberté d'expression et l'accès à l'information. Elle plaide pour laisser s’exprimer la critique, «même acerbe».

«La détention provisoire pour des accusations de délits d'opinion ou tout autre motif liées à l'expression contribue à créer un climat de peur. L'offense au chef de l'État n'a pas sa place en démocratie. Il faut libérer Adama Gaye. La critique, même acerbe, nourrit la démocratie», a écrit Fatou Jagne Senghor sur Twitter le 31 juillet.

 

 

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