Au Maroc, pourquoi le roi a décidé d’en finir avec la célébration de son anniversaire?

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Le souverain chérifien a décidé d’en finir avec les célébrations officielles de son anniversaire, un rendez-vous annuel incontournable qui rythmait la vie monarchique et nationale depuis 1956. Une décision qui s’inscrit dans la quête de modernisation de la monarchie insufflée par le roi depuis son accession au trône, il y a 20 ans.

Pour ses 56 bougies, qu’il soufflera le 21 août, Mohamed VI du Maroc a opté pour la discrétion. Point de cérémonie officielle célébrant une nouvelle année de la glorieuse vie de Sidna (Sa Majesté). Ce sera tout au plus, une soirée en cercle restreint, avec quelques convives triés sur le volet pour célébrer l’anniversaire du monarque «normal». L’information a été donnée, mercredi 13 août, par un communiqué du ministère de la Maison Royale, du protocole et de la Chancellerie. Le roi a décidé «de ne plus organiser, à partir de cette année, la cérémonie officielle». Un autre rituel du Makhzen (le pouvoir royal) sapé par celui qui a commencé son règne en marquant sa désapprobation envers la pratique du baisemain.

Roi Mohammed VI, archives - Sputnik Afrique
Le roi du Maroc annonce la fin de la célébration de son anniversaire à travers le pays
Même si elle abolit une tradition vieille de quelques dizaines d’années, la décision n’étonne qu’à moitié. En remontant à l’édition 2017, la presse locale faisait état d’un entrain royal plutôt mitigé. On s’étonnait, par exemple, que le protocole royal omît la traditionnelle cérémonie de décoration. Qui plus est, à l’occasion de la dernière Fête du Trône qui célèbre, à la fin du mois de juillet de chaque année, l’accession du roi au pouvoir, le Cabinet royal avait décidé de réduire les célébrations de cette fête à sa plus simple expression, rappelle à Sputnik l’éditorialiste marocain Younès Masskine.

Fidèle à lui-même, Mohamed VI aime à rappeler aux observateurs les plus avisés de la vie publique marocaine qu’il reste le véritable maître à bord du calendrier politique. Sa décision avait été prise, en effet, au moment où l’on s’y attendait le moins.

«Certains s’attendaient, pourtant, à des festivités exceptionnelles cette année, puisque cette édition de la Fête du Trône coïncidait avec le vingtième anniversaire de l’accession au pouvoir du roi Mohamed VI», explique Younès Masskine.

La sobriété des festivités publiques n’avait toutefois d’égal que «l’emphase médiatique» qui a accompagné cet événement exceptionnel. Emmanuel Dupuy, président du Think Tank IPSE, (Institut Prospective & Sécurité en Europe) y décèle un autre élément explicatif de la suppression de la cérémonie officielle de son anniversaire:

«Il y a eu une telle saturation dans la célébration du 20e anniversaire de l’accession au trône avec toute une polémique autour du traitement médiatique, un agenda «parisien» très chargé, alors que le roi aurait voulu davantage focaliser l’attention sur la pérennité de la monarchie. Par ailleurs, cette célébration du 20e anniversaire a semblé occulter ce que le roi lui-même a mis en exergue dans son discours: les problèmes sociaux et les inégalités qui grèvent la vie quotidienne des Marocains», énumère Emmanuel Dupuy à Sputnik.

Certes, seule la célébration de l’anniversaire du roi est concernée par cette décision, à l’exclusion de la Fête de la Jeunesse à laquelle il est associé. C’est, tout de même, la fin d’une époque.

1956: Une fête nationale décrétée, et couplée à l’anniversaire du prince héritier

Au Maroc, la première édition de la Fête de la Jeunesse remonte à l’année 1956. À l’époque, le roi Mohamed V, grand-père de l’actuel souverain, se saisit volontiers d’une proposition qui lui fut soumise par Ahmed Bensouda, ministre de la Jeunesse du premier gouvernement post-indépendance: fêter l’anniversaire du prince héritier, Moulay Hassan, et par là-même, célébrer la jeunesse marocaine qui faisait l’objet de convoitise entre le mouvement national, d’un côté, et le Palais de l’autre, comme le rappelait, il y a quelques années, l’historien Maâti Monjib, dans une déclaration au site d’information marocain Hespress.

Dès le départ, la dimension politique était au cœur de cette célébration nationale doublée, bientôt, d’une fête mondaine. Sous le règne de Hassan II, on continua de célébrer la jeunesse marocaine chaque 9 juillet, en l’associant désormais à l’anniversaire du monarque, plutôt qu’à celui du prince héritier. Hassan II, dont le style détonnait par rapport à l’image austère de son prédécesseur, aimait à fêter son anniversaire dans une ambiance particulièrement festive, entouré de centaines de proches et amis du Maroc.

Mais la tentative de coup d’État de Skhirat, au cours de l’été 1971, perpétré pendant que le roi était absorbé par son 42e anniversaire, finit par tirer le signal d’alarme sur les corrélations dangereuses entre lubies royales et remous militaires ou même, mécontentements populaires. De fait, la coïncidence du renoncement à la célébration de son anniversaire, avec le constat qu’il fit, récemment, des «inégalités» persistantes dans son royaume, pourrait accréditer cette thèse, approuve Emmanuel Dupuy.

«Quoiqu’elle corresponde à l’un des rendez-vous traditionnels de la vie monarchique, la célébration de l’anniversaire du roi grève le budget de l’État marocain. Le roi a peut-être estimé qu’il pourrait en faire l’économie pour donner à son discours, où il fustige l’inégalité et l’insuffisance de l’action gouvernementale, plus de crédibilité. En renonçant à fêter son anniversaire, il fait aussi preuve d’empathie envers les plus démunis, s’assurant leur sympathie, et se prémunissant contre leur mécontentement », a déclaré Emmanuel Dupuy, président de l’IPSE dans une déclaration à Sputnik.

À l’occasion du dernier discours du Trône, prononcé le 30 juillet 2019, Mohamed VI, a en effet regretté «l'incapacité de notre modèle de développement à satisfaire les besoins croissants d'une partie des citoyens, à réduire les inégalités sociales et les disparités spatiales».

Younès Masskine recommande, quant à lui, de replacer ces événements dans un contexte plus général. Celui d’«une récente sortie d’un conseiller du roi, [Abdellatif Mannouni, ndlr], qui évoquait la monarchie parlementaire comme une orientation inévitable pour le Maroc. Mais aussi, la tonalité qui a imprégné les discours du roi, ces dernières années, sur l’échec du modèle de développement en cours au Maroc».

«Tout cela ne peut qu’indiquer qu’on va vers une institution royale, et un roi, moins omniprésent dans la gestion de la chose publique. L’idée est de provoquer, plutôt, l’émergence de nouvelles élites, politiques et économiques, qui vont prendre leurs parts de responsabilité, gérer les interactions sociales par les outils démocratiques. Cela permettra de conduire les réformes nécessaires, tout en protégeant l’institution royale des soubresauts circonstanciels, pour lui permettre de poursuivre son rôle stratégique à la tête de l’État», analyse cet observateur marocain.

Des soubresauts, la Couronne alaouite en a connu, sous Mohamed VI. À commencer par le mouvement du 20 février 2011, né dans le sillage du Printemps arabe, mais que la monarchie neutralisa habilement, non sans concéder des réformes institutionnelles. C’est l’avènement d’un nouveau gouvernement, avec des prérogatives accrues…qui se retrouvera en première ligne de mire quand éclateront des révoltes sociales à Jérada ou à Houceima (Nord). La réaction du pouvoir a alterné entre répression et réponses favorables aux doléances…le plus souvent par la voie de Deus ex machina royaux.

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