Transplantation cardiaque: le porc est-il l’avenir de l’homme?

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Sir Terrence English, pionner anglais de la transplantation cardiaque, affirme que la greffe d’un cœur de porc vers l’homme sera possible d’ici trois ans. Vrai espoir, miroir aux alouettes ou boîte de Pandore éthique? Le professeur Oliver Bastien, directeur de l’activité prélèvement et greffes à l’Agence de Biomédecine, se penche sur cette annonce.

Sir Terrence English, le premier cardiologue à avoir réussi une transplantation cardiaque au Royaume-Uni en août 1979, a déclaré au Sunday Telegraph, lors du quarantième anniversaire de l’opération, que la transplantation d’organe de porc vers l’homme se fera sous peu avec succès. Il va même jusqu’à affirmer que la transplantation d’un cœur de porc vers l’homme pourra se faire d’ici trois ans. Une transplantation appelée xénogreffe, une pratique où le donneur et le receveur sont d’espèces différentes. Une véritable avancée pour la médecine si elle s’avérait réalisable, mais qui reste très controversée d’un point de vue éthique.

La xénogreffe a déjà été réalisée sur l’homme, une première fois en 1978 à Montréal. Un individu atteint d’une hépatite s’est vu temporairement greffer un foie de porc afin de laisser le temps à son propre foie, qui ne lui avait pas été retiré, de récupérer. Deuxième tentative en 1984, aux États-Unis: Stéphanie Fae Beauclair, un nourrisson d’à peine quelques semaines avec une maladie cardiaque, s’était fait remplacer son cœur par celui d’un babouin. Surnommée Bébé Fae, elle décède un mois plus tard, non pas du rejet du greffon, car des traitements antirejet existaient déjà, mais d’une infection. Après plusieurs autres tentatives, les recherches ont été abandonnées du fait d’une part de la mauvaise maîtrise du processus du rejet interespèce, d’autre part à cause du risque de transmettre une maladie non connue chez l’homme, provenant d’un animal. En France, c’est la crise liée à la maladie de la vache folle, qui a provisoirement sonné le glas de ces recherches. 

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«Il y a le système immunologique et le système de défenses naturelles qui font qu’une espèce est incompatible avec une autre espèce. Donc, si on prend un organe d’un chimpanzé –qui est l’une des espèces les plus proches de l’Homme– et qu’on veut le greffer à un homme, eh bien même avec un traitement antirejet, il y a un rejet quand même, parce que les mécanismes sont différents du rejet traditionnel en matière de greffe à l’intérieur d’une espèce. Donc, il y a un rejet quasi-immédiat, qui se compte en heures ou en minutes, et même une destruction du greffon», détaille à Sputnik le professeur Oliver Bastien, directeur de l’activité de prélèvement et de greffes d’organes et de tissus en France à l’Agence de Biomédecine.

Bien que le chimpanzé soit biologiquement l’animal le plus proche de l’homme, le porc est devenu récemment potentiellement la clé dans la xénogreffe de l’animal vers l’humain. Les deux espèces n’étaient autrefois pas compatibles, notamment à cause du PERV, un virus présent chez le porc et qui pouvait aussi affecter l’homme. Il y a deux ans, des chercheurs américains ont réussi à modifier les gènes de l’animal pour empêcher le virus de s’exprimer, et donc de ne plus être transmissible à l’homme. En 2016, deux babouins se sont vus greffer des cœurs de porc, ils ont survécu près de six mois après l’opération, battant ainsi le record de survie en termes de xénotransplantation.

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Le professeur Olivier Bastien affirme que médicalement, la transplantation d’organe de porc vers l’Homme sera possible, mais la réflexion éthique reste primordiale.

«Il y a plusieurs types de xénogreffes: il y a celle, historique, où on prend un animal, on vérifie qu’il n’y a aucun risque infectieux, éventuellement on neutralise certains risques et puis on donne un traitement antirejet massif à l’homme qui va recevoir le greffon. Ce n’est probablement pas une bonne solution, parce qu’il y aura tellement de traitements antirejet qu’il y a un risque de décès par infection comme le bébé Fae aux États-Unis. 

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La deuxième possibilité évoquée était de prendre une cellule embryonnaire fœtale, de greffer celle-ci sur un animal de façon à ce que l’animal puisse développer un organe humanisé. C’est une piste qui est développée dans certains pays comme au Japon. Mais là, de nombreux comités d’éthique s’élèvent contre cette recherche qui pose la construction d’une chimère comme animal, donc c’est une barrière éthique qui parait très lourde. Peut être que certains pays franchiront ce pas, sauf effectivement dans le contexte français, où ce n’est pas possible.

Et enfin la troisième, qui est donc de modifier certains gènes de l’animal pour que l’organe soit moins détecté comme d’origine étrangère par le corps humain, ce qui est moins problématique sur le plan éthique et plus à portée de réalisation.»

Dans l’entretien accordé au Telegraph, Sir Terrence English a annoncé que son confrère, le professeur McGregor, et son équipe vont procéder à une transplantation d’un rein de porc à un être humain d’ici quelques mois. «Si les résultats de la xénotransplantation sont satisfaisants avec des reins de porc chez l’homme, il est probable que des cœurs porcins soient utilisés avec succès chez des humains d’ici à quelques années. Si cela fonctionne avec un rein, cela fonctionnera avec un cœur», affirme Sir English. Une déclaration à ne pas prendre au mot, comme l’explique le professeur Bastien à Sputnik:

«Je ne serais pas aussi affirmatif, parce que la différence c’est qu’un rein n’est pas un organe vital, donc s’il y a un échec, on peut l’enlever et le passer en dialyse alors qu’avec un cœur, s’il y a un échec, la personne décède. Mais effectivement, si on est capable de faire une greffe de rein et qu’elle fonctionne plusieurs années, alors il y aura un bond en avant fantastique pour la xénogreffe, ça, c’est sûr. Mais je pense qu’avant qu’il y ait des greffes de rein et de cœur, il y aura des greffes de tissus dont on a besoin, de cornée par exemple, ce qui permet de rendre la vue à des gens qui sont aveugles. La greffe de cornée a très peu de rejet, d’ailleurs les Chinois ont commencé à tester l’hypothèse et donc ça sera probablement fait avant les greffes d’organes.»

Une avancée qui, si elle se vérifie, permettra de réduire la liste d’attente, déjà très longue, pour les transplantations de tous types. En France, ils sont chaque année plus de 20.000 à attendre un organe, un chiffre qui ne diminuent pas au fil des ans: près de 22.700 en 2016 et plus de 23.800 en 2017 selon les données de l’agence de la Biomédecine.

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