Nicolas Sarkozy devant le Medef: «l’axe du monde est aujourd’hui asiatique»

© REUTERS / Philippe WojazerNicolas Sarkozy
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Invité de l’université d’été du Medef, Nicolas Sarkozy a plaidé pour une refonte des organisations internationales afin qu’elles soient plus en phase avec le monde actuel. Pour l’ex-Président, l’Europe doit profiter de l’absence de leadership des États-Unis et ne doit tourner le dos ni à la Russie ni à la Turquie par idéologie. Tour d’horizon.

«Le grand problème, c’est que nous sommes au XXIe siècle et nous avons les institutions internationales du siècle passé, celles du XXe. Ça ne peut pas fonctionner […] Il y a 30 ans, une dizaine de pays –dont la quasi-totalité était occidentaux– dirigeaient le monde. Aujourd’hui, ça n’a plus aucun sens, l’axe du monde a muté– je le crains assez définitivement– sur un axe Ouest hier, Est demain.»

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Le patronat français veut savoir «où va le monde» et c’est Nicolas Sarkozy qui lui a répondu. Invité ce jeudi 29 août à donner une conférence sur le contexte géopolitique international, à l’occasion de la 21e édition des universités d’été du Medef, l’ancien chef d’État n’a pas mâché ses mots à l’encontre des institutions et des organisations qui régissent aujourd’hui les relations internationales.

Entouré de membres du Comex 40 (l’organe de prospective de l’organisation patronale), il a notamment mis en avant le poids démographique grandissant de nombreux pays d’Asie et d’Afrique, alors même qu’aucun d’entre eux n’est aujourd’hui représenté de façon permanente au Conseil de sécurité de l’Onu.

«L’axe du monde est aujourd’hui un axe asiatique. Peut-être demain sera-t-il un axe asiatique et Afrique, mais en tout état de cause, les organisations internationales –ce n’est pas une question d’hommes ou de femmes– ne sont pas adaptées à cette réalité. Pensez que le pays le plus peuplé au monde, l’Inde, n’est pas membre permanent du Conseil de sécurité… Pensez qu’il n’y a pas un seul membre permanent du Conseil de sécurité qui est Africain… Pensez qu’il n’y a pas un seul membre permanent du Conseil de sécurité qui est Arabe», s’est emporté l’ancien chef d’État.

Nicolas Sarkozy est revenu sur la mise en place du G20, crée en 1999 mais dont il a impulsé la première rencontre de ses chefs d’États et de gouvernement, avec une anecdote du premier G8 auquel il avait participé à Heiligendamm, présidé par Angela Merkel en 2007. «La dernière matinée, comme on n’avait pas grand-chose à faire, Mme Merkel, intelligemment, avait invité la Chine, l’Inde, le Brésil, bref, quelques pays qui comptent un petit peu…»

Interrogé sur la «Guerre froide» sino-américaine, Nicolas Sarkozy regrette le bras de fer engagé par Washington avec Pékin, une situation où «n’importe quoi, y compris le pire, peut se passer» et revient sans ménagement sur la personnalité de Donald Trump. Pour lui, rien de positif ne peut ressortir d’un rapport de force avec la Chine et ses près d’1,4 milliard d’habitants «ça n’a littéralement pas de sens», martèle-t-il, évoquant également le cas de l’Iran «qu’on ne doit pas humilier».

L’ancien chef d’État souligne toutefois que l’attitude actuelle des États-Unis, à savoir recentrés sur eux-mêmes, trouve ses racines sous l’ère Obama. Malgré de fortes disparités en matière de tempérament, aux yeux de Nicolas Sarkozy, qui a côtoyé Barack Obama durant sa présidence, ce dernier et son successeur s’inscrivent dans la même «lignée», c’est-à-dire l’Amérique d’abord.

«C’est une tendance lourde de la première puissance du monde qui ne veut plus assumer de leadership. C’est quand même un changement absolument colossal, qui devrait pousser l’Europe à s’unir, à se rassembler et à prendre le lead… et elle fait le contraire! C’est parfaitement incompréhensible!»

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Une situation «insensée» d’une première puissance militaire, monétaire et économique qui, «en tout cas pour l’instant», refuse d’assumer son leadership. Sarkozy estime toutefois que le contexte offre une «opportunité fantastique» à l’Europe «et en particulier à la France» pour «faire entendre un discours de raison». Il estime que l’Union européenne doit être un «pivot, parlant avec tout le monde. Sans faiblesse, mais sans a priori.»

À ce titre, l’ancien Président lâche une pique concernant l’attitude «insensée» d’une «partie de nos élites» à l’égard de la Russie et salue l’invitation d’Emmanuel Macron à Vladimir Poutine, avant le G7, soulignant que recevoir un chef d’État ne signifie pas que l’on approuve l’intégralité de sa politique. «Si vous ne voyez que les gens avec qui vous êtes d’accord, vous aurez un emploi du temps assez libéré…», ironise-t-il, avant de continuer sous les rires et applaudissements de l’assemblée, «je pensais qu’il valait mieux discuter avec des gens avec qui on est en désaccord.»  

«L’Occident est devenu absolument minoritaire et on veut pousser la Russie dans les bras de la Chine? […] La Russie a 3.000 kilomètres de frontières communes avec la Chine, quand vous êtes sur le lac Baïkal, vous êtes à cinq heures d’avion de Moscou et une heure de Pékin. Pourquoi les pousser dans les bras des Chinois? Vous pensez que la Chine a besoin d’être renforcée absolument et nous d’être absolument affaiblis?»

Pour autant, cette même Europe, qui verrait se présenter «une opportunité, comme sans doute jamais, pour peser» offrirait aujourd’hui au monde un «spectacle insensé», selon l’ancien Président, qui pense à la crise du Brexit. Si, pour lui, le désarrimage du Royaume-Uni de l’Union européenne est «une erreur historique dont vous ne mesurez pas encore les conséquences», il tient à ne «donner aucune leçon» aux Britanniques, rappelant que son arrivée au pouvoir fut précédée par un rejet des Français (et des Hollandais) du traité établissant une constitution pour l’Europe, soumis à référendum par Jacques Chirac. Ainsi, pour Nicolas Sarkozy, le Brexit «n’a pas été pris assez au sérieux», tant dans ses conséquences pour le Royaume-Uni que pour les Européens.

«Peut être vais-je choquer, mais pour moi, le Brexit n’est pas un problème anglais et c’est pour ça qu’il faut le prendre sérieusement. […] Vous poseriez la même question partout en Europe, vous auriez la même réponse. Ne vous trompez pas!»

Pour Nicolas Sarkozy, il faut «réinventer l’idéal européen», soulignant qu’en 70 ans, l’Union européenne «a vieilli» et qu’elle présente a aujourd’hui bien plus de visages –de l’Union monétaire à celle de l’espace Schengen, en passant par celle de la Défense– que lors de sa création.

«L’Europe, au singulier, n’existera plus. Il n’y a pas une Europe, il y a des Europe et ces Europe doivent fonctionner avec des structures, un idéal et des procédures différents.»

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«L’Europe ne peut pas continuer comme cela!», assène-t-il, rappelant son engagement en faveur de l'UE. «Le problème, c’est qu’il y a des génies qui, il y a 70 ans, ont inventé la réconciliation franco-allemande et l’idéal européen et qu’il faut aujourd’hui réinventer cet idéal.» Face à ce qui lui apparaît comme «vraiment un contresens historique», l’Europe devrait notamment «aller vers moins d’intégration et récupérer les Anglais.»

«Notre génération est-elle capable d’être aussi imaginative que celle des bâtisseurs de l’Europe?», s’interroge l’ancien Président, devant une assemblée conquise.

Interrogé sur les sanctions à l’encontre de la Russie, Nicolas Sarkozy se dira «absolument» favorable à leur levée. Il rappelle qu’en août 2008, la «quasi-totalité des chefs d’État européens» était contre sa visite à Moscou pour ouvrir une médiation entre la Russie et la Géorgie, suite à la guerre déclenchée par l’attaque lancée par l'armée géorgienne sur les territoires d’Ossétie du Sud.

«Je pense qu’il faut inventer une nouvelle organisation internationale qui rassemblerait la Russie, la Turquie et l’Union européenne pour parler sécurité et économie.»

Autres points abordés, le poids des GAFA «géants au pied d’argile» –de par leur capitalisation boursière– ainsi que des grands groupes dans le monde, répétant qu’il «ne croit pas aux entreprises-monde.» Pour lui, «on ne peut pas défendre l’idée libérale de la même façon - dans le monde d’aujourd’hui où tout est ouvert - qu’on le défendait il y a 40 ans, où les banques étaient publiques, où les prix étaient administrés, où l’échange était contrôlé. Ce n’est pas possible, on est en décalage complet.  Il y a 40 ans le monde manquait de liberté, aujourd’hui, j’ose le dire, il manque de régulations.»

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