Tueur de Villeurbanne, terroriste ou dérangé mental? «D’autres expertises viendront confirmer le premier examen»

© AFP 2023 PHILIPPE DESMAZESAttaque de Villeurbanne
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Des personnalités politiques, notamment de droite, remettent en cause les conclusions de l’expertise psychiatrique du tueur de Villeurbanne et soulignent le caractère islamiste de l’attaque. Sputnik France a rencontré un psychiatre près la Cour d’Appel de Paris afin de clarifier les conditions et procédures d’une telle expertise.

Au lendemain de la tuerie de Villeurbanne, qui a fait un mort et huit blessés, Nicolas Jacquet, le procureur de la République de Lyon, écartait la piste de l’attentat terroriste et décrivait l’homme interpellé comme troublé psychologiquement. Durant sa conférence de presse, il présentait le tueur présumé plongé dans

«un état psychotique envahissant avec délires paranoïdes à thématiques multiples, dont celles du mysticisme et de la religion». Il a aussi indiqué qu’il était sous l’emprise du cannabis et qu’il «pensait avoir reconnu dans sa première victime un individu avec lequel il était en contentieux depuis son passage en Angleterre il y a quelques années.»

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Néanmoins, certaines personnalités publiques et politiques françaises remettent en cause le caractère purement psychiatrique de l’attaque survenue dans la banlieue lyonnaise, pour y incorporer une variable idéologique. C’est par exemple le cas du président du parti Debout La France, Nicolas Dupont-Aignant, de Jean Messiah délégué du bureau national du Rassemblement national ou encore l’activiste Zineb El-Rhazoui. Cette dernière explique que

«Les terroristes islamistes seront-ils dorénavant considérés comme des malades mentaux et “soignés” au lieu d’être punis? Il a affirmé avoir entendu des voix insultant Dieu et lui donnant l’ordre de tuer, mais ce n’est pas du terrorisme, selon le procureur de Lyon.»

​Quel est donc le rôle de la toxicomanie et de l’idéologie dans un tel cas de figure? Une expertise de ce type peut-elle avoir lieu à peine 24 heures après l’interpellation du suspect et être fiable? Comment se déroule une expertise psychiatrique de ce genre? Autant de questions que Sputnik France a posées au Dr Paul Jean-François, psychiatre auprès du groupe hospitalier Paul Giraud et expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris.

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Sputnik France: En quoi consiste une expertise psychiatrique comme celle à laquelle a été soumis le tueur présumé de Villeurbanne?

Dr Paul Jean-François: «Je ne connais pas le dossier précis de cette personne, mais quand quelqu’un est interpellé dans ces conditions, plusieurs questions sont posées à l’intéressé afin de comprendre d’une part l’existence ou non d’un trouble psychique et d’autre part, le lien entre l’infraction et le trouble psychique, s’il existe. Ensuite, la compatibilité ou non de son état avec une procédure de garde à vue, il y a la question de son état dangereux ou pas au sens psychiatrique du terme. D’autres questions peuvent être posées en ce qui concerne son accessibilité à une sanction pénale, c’est-à-dire, est-ce qu’il présente un trouble psychique qui a pu soit altérer, soit abolir son discernement au moment des faits. Si son discernement est aboli, il n’y a généralement pas de poursuites. Dans certains cas graves, plusieurs expertises seront diligentées.»

Sputnik France: Combien de temps requiert une analyse psychiatrique comme celle qui a été présentée par le procureur de Lyon le lendemain de l’arrestation du tueur présumé de Villeurbanne?

Dr Paul Jean-François: «L’examen psychiatrique complet, dépendamment du sujet, de sa façon de s’exprimer et de collaborer (ce qui n’est pas le cas de tout le monde), dure un peu plus d’une heure environ.»

Sputnik France: Peut-on avoir un diagnostic fiable en un laps de temps aussi court?

Dr Paul Jean-François: «Tout à fait. Cependant, si j’ai bien compris ce qui s’est dit dans la presse, dans ce cas, cet individu a été hospitalisé d’office dans un établissement psychiatrique, d’où parviendront d’autres expertises dans le cadre de la procédure judiciaire, qui viendront confirmer ou infirmer les conclusions de ce premier examen.»

Sputnik France: Le procureur a évoqué à propos du suspect un «état psychotique avec un délire paranoïde». En termes profanes, que signifie ce diagnostic?

Dr Paul Jean-François: «Ce sont les propos du procureur et je n’ai pas accès au dossier, mais “paranoïde” sous-entend que nous sommes dans le registre d’une pathologie schizophrénique, ce que j’avance sous réserve. Il pourrait présenter des hallucinations, des idées délirantes ou des persécutions, des choses de ce genre.»

Sputnik France: Un tel état est-il de nature à rendre la personne non responsable de ses actes?

Dr Paul Jean-François: «C’est tout à fait possible.»

Sputnik France: Le suspect était sous l’emprise de cannabis. Cette drogue provoque-t-elle le type de symptômes psychiatriques évoqués par le procureur de Lyon? Cette drogue est-elle connue pour provoquer des accès de violence?

Dr Paul Jean-François: «Ça peut arriver, mais dans ces cas-là, c’est toujours complexe. Il y a la poule et il y a l’œuf: les gens peuvent avoir des pathologies psychiatriques et en même temps ils consomment des stupéfiants, cherchant peut-être des soulagements à leur maladie. Il y a aussi des personnes qui ne présentent pas de troubles psychiatriques, mais, qui, sous l’emprise de drogues, peuvent présenter des épisodes psychotiques. En l’absence de pathologies psychiatriques par contre, la question de l’emprise est plus mitigée.»

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Sputnik France: Comment évalue-t-on la responsabilité pénale d’un individu dans une affaire criminelle? À quel moment la folie prend-elle le pas sur la conscience? 

Dr Paul Jean-François: «La question qui est posée par les magistrats est: au moment des faits, est-ce que la personne était atteinte de troubles psychiques qui ont pu soit altérer soit abolir son jugement au moment des faits? Ça reste des actes conscients, mais était-il capable de juger des conséquences de ces actes? Est-ce que sa pensée est obnubilée par le délire et les hallucinations, ce qui expliquerait qu’il a agi sous l’effet de ces phénomènes psychopathologiques?»

Sputnik France: Tous les terroristes qui tuent au nom d’une idéologie ne sont-ils pas –par définition– atteints de troubles psychiatriques? Ces troubles sont-ils suffisants pour écarter, dans ce type de cas, la motivation politico-religieuse?

Dr Paul Jean-François: «Non. Tous les terroristes ne sont pas atteints de troubles psychiatriques, je dirais même que dans leur grande majorité, ce n’est pas le cas. Nous faisons là face aux questions des violences politiques et des extrémismes politiques, qui ont toujours existé dans l’histoire comme moyen d’expression politique. Ces personnes-là ne sont dans leur immense majorité pas du tout malades.»

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