Présidentielle tunisienne: l’étiquette française, «sparadrap» de Youssef Chahed

© AP Photo / Hassene DridiTunisian Prime minister Youssef Chahed arrives at his residence in Carthage outside Tunis, Tunisia, before a meeting with prime ministers from the Benelux, Tuesday, Dec. 6, 2016.
Tunisian Prime minister Youssef Chahed arrives at his residence in Carthage outside Tunis, Tunisia, before a meeting with prime ministers from the Benelux, Tuesday, Dec. 6, 2016. - Sputnik Afrique
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Youssef Chahed, candidat de la France à la Présidentielle tunisienne? Les adversaires du chef du gouvernement en veulent pour preuve sa seconde nationalité française et une affiche électorale controversée. Ses partisans estiment que tant son bilan que son programme électoral prouvent le contraire.

On lui faisait traîner son bilan économique à la tête du gouvernement comme un boulet. Désormais, c’est également d’une étiquette de présumé serviteur de la France que Youssef Chahed est affublé.

Alors qu’il sollicite la confiance des Tunisiens aux élections présidentielles du 15 septembre, la question de ses pseudo-affinités françaises est venue, plus d’une fois, s’inviter dans les pépites des médias. Et de la façon la moins opportune. Aurait-il pu en être autrement dans cet ancien protectorat français, où la question de la présumée hégémonie hexagonale continue de se poser, comme ailleurs en Afrique francophone, de nourrir la grogne populaire et d’alimenter les discours des plus révolutionnaires? Et cela, même si beaucoup de détracteurs de la France se placent volontiers sous la coupe d’autres hégémonies.

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Pourtant, l’affaire de sa seconde nationalité française avait été presque «inondée»… des suites du Tsunami provoqué par l’arrestation de son rival Nabil Karoui. Chahed y était-il pour quelque chose, lui qui venait la veille, comme par hasard, de déléguer ses attributions à la tête du gouvernement pour se consacrer à sa campagne électorale? Ce qui est sûr, c’est que l’on a cessé de tirer à boulets rouges (et blancs) sur un candidat «tricolore» pour s’alarmer aussitôt de son autoritarisme présumé. Une qualité janusienne, dans le contexte politique tunisien, où les insuccès postrévolutionnaires ont servi de rampe de lancement pour les Benalistes. Mais un (autre) faux pas, dans la communication politique du candidat Chahed, est venu rappeler «l’infâme» allégeance qu’il tentait de faire oublier.

Une affiche de campagne sarkozo-hollandaise…

Depuis le débat à la Présidentielle française du 2 mai 2012, Nicolas Sarkozy et François Hollande ne s’étaient réunis qu’en de très rares occasions. Il y a eu ce traditionnel tête-à-tête de passation de pouvoir, le 15 mai 2012, quelques cérémonies commémoratives, dont celle du 8 mai… et puis, il y a l’affiche de campagne de Youssef Chahed. Celle-ci réussit à combiner presque parfaitement les affiches de campagne de 2012 des deux candidats à la Présidentielle française. Le slogan de Nicolas Sarkozy vient s’y superposer, admirablement, à un arrière-plan, très nature, de l’affiche de François Hollande. Seulement, «la France forte» cède ici la place à «la Tunisie plus forte». Tout est dans la nuance.

«Quand un citoyen français se présente aux élections en Tunisie, il ne peut que voler des idées françaises», ironise Mohamed Amine Mtiraoui, proche de Nabil Karoui.

«Je n’ai visionné l’affiche que 24 heures avant sa publication!», s’est presque excusé Chahed quand la question lui fut posée sur le plateau la chaîne de la télévision privée Attessia, avant d’adopter aussitôt une attitude moins défensive. «Bon, on voit quand même des oliviers sur cette affiche, qui sont une spécificité tunisienne, et puis il y a les énergies renouvelables, c’est un projet personnel. On a voulu donner un horizon au secteur agricole, dont je suis issu. Alors si, par coïncidence…», a-t-il bredouillé devant l’intervieweur lui demandant, ironiquement, «si c’était ça vraiment tout ce que vous avez pu faire».

Cette affiche «piquée» chez les Français renforce l’image d’un candidat, «qui n’a rien de tunisien», selon cette activiste politique opposée à Youssef Chahed.

«Looser, et plagiaire par-dessus le marché!» 

L’équipe de campagne de Youssef Chahed aura tout de même fait preuve de quelque subtilité. L’ancien ministre de l’Éducation nationale, Néji Jalloul, lui, s’était carrément porté candidat au nom de…. «La Force tranquille», avant de troquer le slogan imaginé, en 1981, par le publicitaire Jacques Séguéla contre « la force de la volonté »! Si cet universitaire féru d’histoire n’a pas hésité à remonter jusqu’à François Mitterrand, force est de constater que Valéry Giscard d’Estaing est définitivement tombé aux oubliettes, sous les cieux tunisiens. Point de «Boulabiar à la barre» pour le jeune Hatem Boulabiar, l’un des candidats les moins en vue de ce scrutin présidentiel. Cela lui aurait pu permettre, pourtant, de rassembler autour de lui une jeune génération de militants politiques, avides de tourner la page du bourguibisme (gaullisme), après la mort inopinée de Béji Caïd-Essebsi (Georges Pompidou).

Narjess Babay, enseignante universitaire et spécialiste en communication politique, a effectué une partie de ses travaux sur les slogans politiques en période électorale. Elle explique à Sputnik que l’objet d’un slogan, qu’elle assimile à une «accroche», est de «provoquer une émotion et de susciter une adhésion avec les électeurs». «Le slogan peut être également là pour compléter un aspect de l’image, dont l’attitude ou le discours ne rendent pas compte suffisamment. D’où l’importance d’y accorder toute l’importance requise.»

«Ces exemples de slogans [de Chahed et de Jalloul, ndlr] dénotent que l’on prend cette question un peu à la légère. C’est vrai qu’il est préférable de privilégier, dans les slogans, les formules un peu consommées et intégrées par la mémoire. Mais faire du copier-coller, recourir à des formules récentes et toutes prêtes, c’est carrément contre-productif! J’y vois des problèmes éthiques et le signe d’un manque de créativité. Cela s’explique par le temps qui a pressé [suite à la mort impromptue du Président, ndlr], et par le fait, aussi, que l’on ne s’adresse pas à des professionnels de la communication politique!», analyse Narjess Babay pour Sputnik.

Pour le cas de Chahed, il semble plutôt que les concepteurs de l’affiche aient sous-estimé l’impact de l’affaire de sa nationalité sur l’opinion publique tunisienne.

Une «libération»… qui emprisonne Chahed dans l’image du «candidat de la France»

Tout commence le 20 août, avec une publication sur sa page officielle Facebook. Le candidat Youssef Chahed y informe l’opinion publique avoir renoncé à sa seconde nationalité (française), sans attendre d’être élu. Le chef du gouvernement citait l’article 74 de la Constitution qui impose à chaque candidat à la Présidentielle de s’engager à se séparer de sa seconde nationalité, sitôt élu. «Comme des centaines de milliers de Tunisiens qui ont résidé et travaillé à l’étranger, je détenais une seconde nationalité, à laquelle j’ai renoncé avant de me porter candidat», justifiait-il, en enjoignant d’autres candidats à en faire de même!

L’annonce a été faite peu après la publication d’un décret au Journal officiel de la République française annonçant, dans son article 2, que «sont libérés de leur allégeance à l’égard de la France, les Français dont les noms suivent (...) Chahed (Youssef) né le 18/09/1975 à Tunis (Tunisie)».

«En réalité, l’information commençait déjà à fuiter alors il a été jugé de limiter les dégâts en l’annonçant publiquement», avoue, à Sputnik, une source du cercle de Youssef Chahed.

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À en juger par l’effet qu’elle fit dans les réseaux sociaux, cette «libération» d’allégeance était assimilée à une déchéance. L’embarras était perceptible jusque dans le propre camp du candidat, d’après la source de Sputnik.

«Depuis trois ans à la Casbah, Youssef Chahed a caché sa nationalité française et même sa biographie n’en pipe mot!», pouvait-on lire sur le journal électronique Business News.

«Youssef Chahed a instauré un principe consistant à cacher la vérité, quand il a dissimulé aux Tunisiens et à leurs représentants au Parlement […], la nationalité française qu’il détenait des années durant, parallèlement à celle tunisienne», fustige de son côté, le député et ancien ministre Salem Labiadh, dans un article publié sur le site électronique arabophone londonien Alaraby.

«Le bilan et le programme électoral de Chahed, montrent qu’il n’a aucun lien avec la France»

«Balivernes!» lance Mohamed Rachdi, député et membre du bureau national de Tahya Tounes. Ce vieux routier de la politique tunisienne explique à Sputnik qu’il a rejoint Chahed parce que celui-ci «détonne par rapport à ses adversaires, sans oublier le fait que c’est un jeune!» Sur la prétendue affinité française, Rachdi dit s’en tenir aux faits plutôt qu’aux vues de l’esprit des adversaires. Il cite la décision du gouvernement de ne plus renouveler la convention, datant de 1949, et permettant à une filiale du groupe français Salins d’exploiter le sel tunisien à des tarifs dérisoires. Une mesure justifiée par la présidence du gouvernement par «l’intérieur supérieur de la nation».

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«N’est-ce pas Youssef Chahed qui s’était insurgé, à Lyon, samedi [31 août], contre la fuite de nos cerveaux à l’étranger? Contre cette politique européenne consistant à ponctionner nos compétences et de renvoyer notre main-d’œuvre peu qualifiée? Si les discussions sur l’ALECA (Accord de Libre-échange complet et approfondi) avec l’Union européenne n’ont toujours pas abouti, c’est bien parce que le chef du gouvernement tient à protéger nos intérêts nationaux», énumère Mohamed Rachdi.

La dernière sortie médiatique de l’ambassadeur de l’UE en Tunisie, Patrice Bergamini, dans laquelle il s’attaquait à un modèle économique construit autour de «groupes familiaux» et «faisant la part trop belle aux positions monopolistiques» dans ce pays, a de fait été perçue comme une riposte à la résistance tunisienne à la conclusion de l’ALECA.

«Il n’a pas à dire ça, ce n’est pas son rôle. S’il a des données, il peut venir nous en faire part. D’ailleurs, il a été convoqué au ministère des Affaires étrangères. […] Il n’a pas à s’ingérer dans nos affaires», tance Youssef Chahed, sur le plateau de la chaîne Attessia.

Parmi les cinq candidats binationaux a priori en lice pour la Présidentielle du 15 septembre, le chef du gouvernement est le seul à avoir effectivement renoncé à sa seconde nationalité. L’ancien chef du gouvernement Mehdi Jomaa, qui le talonne dans les intentions de vote, et qui est souvent critiqué pour ses liens présumément privilégiés avec la France, avait déclaré que le processus de renonciation était «en cours».

Les partisans de Chahed demeurent convaincus que cette image de «candidat de la France», qui colle à leur candidat, depuis quelque temps, à la manière du sparadrap du capitaine Haddock, est savamment entretenue par des adversaires politiques. Accéder au Palais de Carthage implique de pouvoir la déconstruire, contre vents, marées… et sabords.

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